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La SSLA du Béarn ressuscite les temps passés

Depuis près de 150 ans, la Société des sciences, lettres et arts de Pau et du Béarn diffuse le résultat de ses méticuleuses recherches touchant à l’histoire et au patrimoine...
Gaston Febus
Son président Ricardo Saez, professeur émérite des universités, répond à nos questions.

Comme nombre d’autres sociétés savantes héritées du XIXe, la SSLA a prospéré jusque dans les années 70, avant de connaître un trou d’air et de voir ses sociétaires se raréfier. Mais les choses pourraient bien changer dans les années à venir… C’est en tout cas ce qu’espère son président, qui s’efforce de démocratiser l’accès aux travaux de ses contributeurs. Et qui nous rafraîchit un peu la mémoire…

La SSLA produit des études historiques, mais elle est elle-même le produit d’une longue histoire. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Ricardo Saez : La SSLA peut d’abord être considérée comme la descendante de l’Académie Royale de Béarn, créée en 1718 et instituée par lettres patentes datées du 23 août 1720. Celle-ci a d’abord été une académie de musique, mais en raison de problèmes financiers, elle s’est concentrée à partir de 1744 sur les sciences et les lettres, avant de s’éteindre juste avant la Révolution. L’antériorité de cette académie peut dans une certaine mesure s’expliquer par l’importance de la culture curiale dans la région. Gaston Fébus tint une cour à Orthez dès le XIVe siècle, puis Marguerite de Navarre et Jeanne d’Albret en firent autant à Nérac tout au long du XVIe (ces cours furent particulièrement réceptives aux idées nouvelles, NDLR). Ensuite, la SSLA est l’héritière plus directe d’une société du même nom, fondée en 1841 par des bourgeois palois, mais dont l’activité a brutalement cessé trois ans plus tard, sans que l’on en sache véritablement pourquoi. L’actuelle société a été refondée en 1871, reprenant le principe de la rédaction d’un bulletin (trimestriel puis annuel), ancêtre de notre Revue de Pau et du Béarn, qui l’a continué et qui existe sous ce nom depuis 1973.

Il serait peut-être intéressant de préciser dans quel contexte est survenue cette « refondation », dans un siècle au cours duquel se sont créées la plupart des sociétés savantes…

R. S. : L’on peut en effet dire que cette refondation est intervenue à la faveur de la défaite de 1870, qu’à l’époque on a bien entendu cherché à s’expliquer. On s’est alors rendu compte que cette défaite avait moins résulté d’une infériorité militaire que d’un défaut d’instruction. Les Prussiens, eux, lisaient… La création de beaucoup de sociétés a participé de cet examen de conscience national. Y ont ici adhéré des gens du Barreau de Pau, des enseignants, des ingénieurs. Par la suite, le discours historique a tendu à devenir hégémonique dans ces sociétés, qui reposent avant tout sur l’esprit de curiosité et qui, si elles sont parfois traitées avec dédain dans les milieux universitaires, n’en ont pas moins largement contribué à l’invention de la Nouvelle Histoire. Il en subsiste aujourd’hui environ 3.000 dans toute la France, dont 160 en Nouvelle-Aquitaine.

Que peut-on dire des travaux de celle de Pau et du Béarn pendant toutes ces années ?

R. S. : D’abord, il faut dire que la société a joué un rôle dans la consignation par écrit d’éléments de cultures orales comme celle de Soule, en reprenant des contes et des légendes, publiés sous forme de volumes. On pourrait ensuite citer de nombreux travaux, à commencer par ceux du grand historien Achille Luchaire (1846-1908, NDLR), qui a été professeur d’histoire au lycée de Pau et qui a laissé deux excellents travaux à la SSLA, un texte sur un acte de révolte paysanne contre Alain, sire d’Albret, et un autre, très beau, sur l’origine des Basques. Nous pourrions aussi parler des très nombreux travaux de l’archiviste Paul Raymond ou du chanoine Jean-Baptiste Laborde, qui a été un véritable anthropologue des mœurs en Béarn. Toutes ces personnes ont exploré des territoires méconnus et leurs travaux sont apparus comme une alternative à l’histoire très académique des Lavisse et des Seignobos. Le bulletin était en son temps tenu pour la meilleure revue régionale, et c’est d’ailleurs la première publication de ce genre qui a été numérisée par Gallica (bibliothèque numérique de la BNF, NDLR). Par la suite, nous avons eu les travaux de Pierre Tucoo-Chala et de Christian Desplat, à l’exemple de celui sur l’histoire de l’Académie Royale dont nous parlions. Plus récemment, les travaux de Benoît Cursente sur l’histoire locale des marginaux, des serfs et des fameux cagots, ont suscité beaucoup d’intérêt, comme auparavant ceux de Louis Lacaze, Adrien Planté, Victor Dubarat et René Ancely.

À travers tous ces travaux, il s’agit finalement davantage d’histoire que de sciences, de lettres et d’art…

R. S. : Les travaux de la SSLA sont effectivement très centrés sur l’histoire. Depuis que j’en suis le président, j’essaie néanmoins de l’ouvrir à de nouveaux discours, et notamment aux histoires de l’art et de la littérature. Notre dernier numéro comporte ainsi des écrits sur Francis Jammes (dont on célébrait en 2018 le 150ème anniversaire de la naissance à Tournay, NDLR) ou sur Joseph Peyré (natif d’Aydie, prix Goncourt en 1935, NDLR), aussi bien qu’un travail commémorant le 200ème anniversaire de l’élévation de Jean-Baptiste Bernadotte sur le trône de Suède ou qu’un article de recherche sur Edmond Vansteenberghe, évêque résistant de Bayonne pendant la deuxième guerre mondiale. À propos de ce dernier, de sa lettre de protestation contre la déportation des Juifs dans le Bulletin diocésain et de son refus du STO (Service du Travail Obligatoire), j’avais aussi donné une conférence à l’abbaye de Belloc en juin dernier. Va d’ailleurs bientôt se tenir, au musée de la résistance de Pau, une exposition sur le clergé résistant et le fameux « groupe de la charrette ». Pour en revenir à la revue, nous nous efforçons donc de l’équilibrer en dosant les époques et les genres de contributions.

Auriez-vous quelques indications à nous donner sur le rayonnement actuel de cette revue ?

R. S. : La revue, qui a sa propre ligne éditoriale et paraît tous les ans, est un peu le cordon ombilical de l’association. Actuellement, ce sont environ 250 personnes qui la reçoivent, alors que nous comptions encore 1.300 adhérents dans les années 70, qui ont en quelque sorte constitué l’apogée de la société. Cette revue, qui a été très universitaire, a été portée par une succession de présidents très cultivés et curieux de leur Béarn. Aujourd’hui, le monde politique béarnais ne lit plus cette publication et nous avons perdu une grande partie de notre public originel de magistrats et d’enseignants. Il y a désormais un vrai paradoxe entre le nombre actuel d’adhérents et la qualité intrinsèque de la revue, qui se veut épurée des jargons et dans laquelle nous défendons l’idée d’une recherche locale et non localiste, c’est-à-dire l’idée de penser l’universel à travers le régional. L’on doit pouvoir, comme le disait Bloch (grand historien décédé en 1944, co-fondateur des Annales d'histoire économique et sociale et précurseur de la Nouvelle Histoire, NDLR), s’adresser sur le même ton aux écoliers et aux savants.

Comment vous y prenez-vous pour essayer d’étendre ce rayonnement ? Quel serait un objectif de diffusion raisonnable ?

R. S. : Nous avons l’ambition, dans un premier temps, d’essayer d’atteindre la barre des 300 adhérents. Ce qui paraît raisonnable puisque rares sont par exemple les bibliothèques de Béarn abonnées à cette revue, alors que les mairies pourraient y avoir accès pour 35 euros par an, somme qui peut-être défiscalisée à hauteur de 66 % (l’association a été déclarée d’utilité publique en 1939, NDLR). Parallèlement, nous proposons une assez large offre de conférences mensuelles. Celle de décembre, animée par Claude Laharie, a eu pour thème la précocité de la résistance dans les Basses-Pyrénées. La prochaine sera consacrée, le 17 janvier, à la chanson du « Beth Ceü de Paü » et à son auteur, le poète Charles Darrichon. Cette conférence sera animée par Noël Maignan et se tiendra aux archives départementales, boulevard Tourasse à Pau, où est également situé notre siège local. Les conférences suivantes devraient traiter des fouilles archéologiques à Orthez et de Georges Despaux (originaire de Salies-de-Béarn, déporté à Buchenwald), qui a su illustrer par ses dessins l’horreur concentrationnaire. Grâce à ces conférences, qui réunissent un public fidèle et où nos sociétaires peuvent amener leur entourage, il nous est possible d’agrandir notre cercle d’habitués, adhérents ou non. Ces conférences sont l’occasion de mesurer l’intérêt suscité par certains sujets. L’an dernier, notre conférence sur les charbonniers en Béarn, dans les vallées d’Ossau, d’Aspe et de Barétous, avait par exemple été suivie d’une séance de questions et réponses qui a duré plus d’une heure et demie.

Vous organisez également des sorties thématiques…

R. S. : Oui. Parmi les dernières en date, on peut citer une sortie en vallée d’Aspe pour en explorer le patrimoine ferroviaire, des visites en lien avec l’art roman en Béarn, ou encore des excursions à Bayonne et à Bagnères-de-Bigorre. Les prochaines devraient avoir lieu à Mauléon, dont le vieux château date du XIe siècle, et à Peyrehorade, où se visitent un musée d’art contemporain et plusieurs cimetières juifs. Au-delà de ces sorties, nous participons également à des expositions et à des événements comme le salon du livre de Pau, où nous pouvons distribuer et faire connaître notre revue. À la revue s’ajoute une activité de publication d’ouvrages. Notre collection comprend déjà 8 volumes. Le dernier en date est une transcription du Livre Noir de Salies, qui retrace la vie d’une communauté protestante au XVIe siècle. Nous travaillons actuellement à la publication d’une thèse soutenue dernièrement et consacrée à la censure en Béarn sous Vichy. On peut aussi rappeler que nous sommes soutenus par le conseil départemental, la mairie et l’agglomération de Pau. Et que nous sommes membres du CTHS (Le Comité des Travaux Historiques et Scientifiques).

On vous propose de nous aider à réviser un peu notre histoire du Béarn. Si vous ne deviez en retenir que 5 dates-clés, lesquelles seraient-elles ?

R. S. : D’abord, je retiendrais la date du 25 septembre 1347, jour où Gaston Fébus (Gaston III de Foix-Béarn, dit Fébus en référence au dieu Apollon, NDLR) a proclamé la souveraineté du Béarn. Ce prince, qui était tout à la fois un homme d’état et de pouvoir, un chef militaire et un écrivain, a su jouer habilement des conflits entre l’Angleterre et l’Espagne et entre l’Angleterre et la France, regardant vers le Sud pour échapper à l’influence de ces deux dernières puissances.

En second lieu, je retiendrais le 25 juillet 1593, jour de l’abjuration d’Henri IV, qui abandonna le protestantisme et se convertit à la foi catholique au temps des guerres de religion, créant ainsi ce qu’on appelle aujourd’hui le « vivre ensemble ». Il y a chez le roi Henri IV (né à Pau en 1553, NLDR) ce génie d’avoir su faire converger les intérêts des pouvoirs locaux et royal pour que se créent les conditions d’une prospérité économique. Mais nous aurions aussi pu parler de sa mère Jeanne d’Albret…

En troisième lieu, il faut parler de l’annexion du Béarn, consacrée par un édit donné à Pau par le roi Louis XIII en octobre 1620. La logique de cette réunion du Béarn (et de la Basse-Navarre) à la couronne de France est très intéressante en ce qu’elle a débouché sur la création d’un parlement à Pau, et finalement d’un particularisme béarnais reposant à la fois sur l’autonomie du pouvoir local et sur l’influence du pouvoir central. C’est un peu depuis ce temps que les élites béarnaises ont su regarder l’intérêt local sans se couper des enjeux nationaux.

Ensuite, je parlerais volontiers de la « grande diaspora » béarnaise et basque. Entre 1818 et 1820, pas moins de 100.000 personnes vont quitter la région, principalement à cause d’un système de succession fondé sur le droit d’aînesse, qui poussait des cadets toujours plus nombreux à s’expatrier, notamment en Amérique latine, dans les îles ou aux États-Unis. On peut dire qu’il y a dans l’esprit de chaque Béarnais un ailleurs plus ou moins lointain. Les exemples emblématiques sont innombrables, de Francis Jammes ou du résistant Jean Cassou et de leurs racines mexicaines jusqu’au poète Pierre Emmanuel, dont les parents avaient émigré aux États-Unis, ou à l’écrivain Jules Supervielle, né en Uruguay d’un père béarnais et d’une mère basque.

Pour finir, je reviendrai sur ce groupe de prêtres palois à l’origine du groupe de la charrette, entré en résistance contre Vichy et le nazisme, et sur les prises de position courageuses de l’évêque Vansteenberghe (à travers sa magnifique lettre de 1942 contre les lois antijuives) et du chanoine Jean-Marie Rocq, archiprêtre de Saint-Martin de Pau, qui se sont faits les pourfendeurs d’un article imposé par Laval à la presse locale et paru dans le Patriote des Pyrénées. La lettre indignée du chanoine Rocq au rédacteur en chef du Patriote sera mise à l’honneur, aux mois d’octobre-novembre 1942, dans les Cahiers du témoignage chrétien, publication interdite. Ce sont là de remarquables exemples d’une résistance du clergé pendant la seconde guerre mondiale.

Est-ce qu’on peut finalement dire qu’il y a eu, au fil de l’histoire, une sûreté de jugement des Béarnais ?

R. S. : On reconnaît au moins au Béarn, au-delà d’un certain « modérantisme », un souci de justesse et de justice. Outre ces positions morales exprimées par le clergé pendant la guerre, on pourrait ajouter qu’aucun des 6 députés des Basses-Pyrénées envoyés à Paris en 1793 n’a voté la mort du roi. En 1940, 3 de nos 5 députés ne voteront jamais les pleins pouvoirs à Pétain. Il y a sans doute en Béarn un certain esprit d’indépendance et de justice, un sens du choix raisonnable.

On n’a pas encore parlé de vous. Quelques mots sur votre parcours et les recherches que vous aimeriez encore mener ?

R. S. : Même si mon cas personnel n’est pas très important, je peux dire que j’ai opté en 1971 pour la France, pays où je suis arrivé en 1959. Ce pays, qui m’a rendu à moi-même, s’est harmonieusement fondu avec mon enfance espagnole rurale et émerveillée. Je suis un universitaire, aujourd’hui retraité, heureux, aimant passionnément la vie et ses couleurs chatoyantes. J’aime les personnes et respecte leurs différences. J’aime construire et aller de l’avant avec le CA de la SSLA, avec les autres et par les autres, dans la fidélité et la loyauté de nos engagements. J’adore la recherche, sa rigueur et la découverte de la nouveauté. Je suis un passionné de littérature, surtout de poésie, autant que d’histoire et de rugby. Le Béarn est devenu mon coin de paradis depuis 1987. Pour la recherche, les sujets ne manquent pas, à commencer par les deux ans et demi de clandestinité à Pau, sous un nom d’emprunt, de Paul Louis Landsberg, devenu le numéro deux de la revue Esprit (fondée en 1932 par Emmanuel Mounier). Paul Louis Landsberg était un philosophe de talent. Il mourut d’épuisement en 1944, au camp d’Orianenbourg.

Pour finir, quel regard porte l’historien que vous êtes sur le climat social actuel dans l’Hexagone ? Dans les médias, on a beaucoup joué au jeu des comparaisons entre les mouvements actuels et la Révolution, la Commune de Paris ou les « jacqueries » du XIVe. Qu’est-ce que tout cela vous inspire ?

R. S. : Le climat social actuel témoigne d’un cri de souffrance peut-être mal formulé, mais d’une souffrance néanmoins réelle. Il témoigne de l’existence d’une double société, avec ses gagnants et ses perdants. Cette crise, au départ animée par une révolte fiscale, ne surprend pas. Elle doit être un signe salutaire, purgée de ses excès, de ses débordements intolérables et de ses propos haineux, racistes ou antisémites. Ce doit être le moment de remédier aux disparités et aux dysfonctionnements de la société, de créer les conditions d’un meilleur vivre ensemble, dans un monde plus juste, porté par un souci plus affiché du bien universel. Il devrait y avoir une volonté collective de sortir démocratiquement du malaise actuel, en employant d’abord l’arme du dialogue. Il est impératif de réussir ce moment historique, car trop d’appétits populistes guettent un éventuel échec. Il nous faut par l’intelligence trouver des solutions dignes et durables, celles qui correspondent aux valeurs qui ont fait la France et sa permanence dans l’histoire.

Plus d’informations sur le site de la SSLA

Quelques sources 

Lettre du chanoine Rocq (p. 27-28) dans les Cahiers du témoignage chrétien – cliquez ici

Texte d’Achille Luchaire via Google Livres – cliquez ici

Tous les anciens bulletins de la SSLA – cliquez ici

 

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