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    Les dits du vendredi

    Le poète et le rond-point… regard de Christian Laborde
    Flocons de poésie à Saint-Lary-Soulan avec Christian Laborde
    Parvenu au sommet de la côte de Bénéjacq, je tourne à droite et m’engage sur la route qui mène à Saint-Vincent. C’est une route étroite posée sur l’échine du coteau, une route qui offre à mes roues fines son goudron rêche : le préféré des pneus.

    Je roule avec, devant les yeux, les Pyrénées, et, sur les lèvres, des vers de Serge Pey, les trois premiers de son poème « De la montagne », paru dans « Mathématique générale de l’infini », son recueil chez Gallimard :

    « Les montagnes

    que nous voyons ne sont que celles

    qui se sont arrêtées »

    Il y a donc les montagnes à l’arrêt, superbes, visibles, et celles, invisibles, qui continuent de marcher, chaussées de souliers à semelle d’orages, serrant dans leur main le bâton des nuages, bâton sur lequel Serge Pey grave ses poèmes. Poète, philosophe, Serge Pey se vêt volontiers, non d’une toge immaculée, mais d’un puncho hérissé de clous et de flocons de neige, orné de plumes d’oiseau et de cils d’autruches. Sa bouche est d’ombre, mais pourquoi, diable, ce titre : « Mathématique générale de l’infini » ?

    Le mot mathématique évoque pour moi, non l’infini mais le zéro, ce zéro qu’écrivaient en rouge sur ma copie les profs de math successifs qui ont eu affaire à moi. Pey, rassurez-vous, n’est pas un prof de math mais, je le redis, un poète, c’est-à-dire un homme qui concentre dans son langage, dans sa voix, un maximum d’âme, d’esprit, d’astres, de désastres et de chair.

    Pey dit, Pey hurle, Pey pense, Pey danse en brandissant ses fameux bâtons avec lesquels il guide le troupeau cabossé des étoiles. Il faut lire Pey, écouter Pey, voir Pey pris au lasso de sa propre danse incantatoire. Pey est un athlète du poème. Pey se dope. Il a son pot belge à lui, sa poule au pot belge qu’il avale avant de hurler. La soupe au pot belge de Pey est une soupe épaisse qu’un romancier ne pourrait digérer, une soupe noire composée de fientes d’hirondelles, de salive d’ours, de lait de lune, de coquilles de givre, de rognons de rivières, et de mégots. Ces mégots que les anges défoncés écrasent sur les barriques avant d’aller roupiller.

    2

    Tout rond-point pue la mort en plein. Et ceux que les agents cimenteurs du Conseil départemental ornent de cailloux ressemblent à des tombes. Ci-gît l’ombre habitable des chemins, les écorces, la chorale des insectes. Ci-gît les paupières bleutées du vent, le gymkhana des hirondelles, le nombril des mûres. Ci-gît le temps qu’il fait, le temps qui passe, le temps qui dure.

    Christian Laborde

    www.christianlaborde.com

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