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    EnjeuxLa privatisation des aéroports en zone de turbulences

    Le projet concernant les sites parisiens provoque de vives réactions au Parlement, tandis que la réalité toulousaine illustre les dangers et les limites de l’exercice…
    AEROPORT DE PARIS 3
    Alors que depuis ce mercredi, la loi Pacte est de nouveau discutée à l’Assemblée Nationale, le dossier de la privatisation d’ADP (Aéroports de Paris) revient sur le tapis. Avec le risque de se prendre les pieds dedans…

    Le gouvernement, qui souhaitait ramener à 20% la participation de l’État dans ADP, semble se heurter à une opposition de plus en plus vive. Celle-ci peut notamment invoquer l’exemple toulousain, qui n’a pas vraiment été une franche réussite jusqu’ici.

    Tandis que la privatisation de l’aéroport de Toulouse-Blagnac ne semble pas avoir produit les effets escomptés (voir notre article du 20 février  - cliquez ici), c’est au tour de celle d’ADP de venir sur la table des parlementaires, dans le cadre de la deuxième lecture de la loi Pacte (plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises). Pour mémoire, le Sénat avait rejeté le projet de cession d’actifs du groupe aéroportuaire, dont l’État détient encore un peu plus de 50%, proportion que le gouvernement se propose d’abaisser à 20%.

    Ce dossier est tout sauf anodin, puisque ce groupe ADP pèse autour de 12% des participations boursières de l’État (ce qui place ADP au second rang derrière EDF). La société aéroportuaire a réalisé un chiffre d’affaires de près de 4,5 milliards d’euros en 2018. Environ 280 millions de passagers auraient transité par ses infrastructures l’an dernier, ce qui fait provisoirement d’ADP le leader mondial en termes de parts de marché.

    On comprend donc que ce dossier emblématique suscite un peu d’émoi. D’autant que les bénéfices d’ADP auraient encore progressé de 6% en 2018. Le résultat net a doublé en 5 ans, et le groupe a versé plus de 170 millions d’euros de dividendes l’an dernier.

    Le débat porte donc sur l’intérêt de céder 30% d’actifs supplémentaires et d’abandonner le contrôle d’ADP (on rappelle qu’ADP était au départ détenu à 100% par l’État, puis est entré en bourse en 2006, avec cession d’un tiers des actifs). Pour le gouvernement, c’est une occasion idéale de valoriser à bon prix ses actifs boursiers d’une activité florissante, et ainsi de financer son « fonds pour l’innovation de rupture » et/ou de réduire notre endettement.

    Le rapporteur de la loi a aussi suggéré que le rôle de l’État n’était pas de gérer des activités comme les centres commerciaux associés à ces aéroports. Pour rassurer, les promoteurs de ce projet de cession évoquent la disposition prévoyant à long terme un retour à l’État des actifs. En d’autres termes, l’exploitation serait cédée sur un modèle voisin de celui des infrastructures autoroutières…

    Vers un ADO, Aéroports d’Occitanie ?

    Sans surprise, un front d’opposition s’est constitué et pointe du doigt un risque lié à l’absence de contrôle des flux migratoires, mais aussi et surtout les risques inhérents à l’établissement d’un monopole, d’un cartel ou d’une rente…

    Le triste exemple que leur fournit en ce moment la privatisation de l’aéroport de Toulouse ne fait qu’attiser les inquiétudes. Casil Europe, la holding créée par l’entreprise d’État chinoise Shandong High Speed Group et un fonds d’investissement hongkongais, avec ses 49,9% du capital, a pu s’affranchir largement des engagements imposés par l’Etat et les collectivités territoriales, notamment des investissements qui devaient être faits dans le développement d’infrastructures régionales. Après seulement quatre ans, le groupe chinois a décidé de se retirer en faisant une belle opération financière.

    Une poignée d’acteurs se sont déclarés candidats à la reprise des parts de Casil Europe. Eiffage, Vinci, Ardian et EDF Invest sont désormais en compétition, ainsi que la société Edeis, qui proposerait d’unir Toulouse-Blagnac à trois des 18 aéroports qu’elle gère déjà à Nîmes, Tarbes-Lourdes et Toulouse (Francazal), le tout sous une bannière « Aéroports d’Occitanie ».

    Un projet intéressant mais qui serait plus long à mettre en œuvre et ne part pas favori. La polémique actuelle se doublerait des récentes critiques du député François Rufin, qui a parlé de favoritisme à l’endroit d’un Vinci, accusation rejetée par le gouvernement.

    L’avenir des aéroports français en jeu ?

    Autres précédents en la matière, on peut citer la vente, en 2016 (dans le cadre de la loi Macron), de 60% des parts de l’État dans les aéroports de Nice (à un consortium impliquant l’Italien Atlantia, qui gère les autoroutes italiennes et dont on a entendu parler au moment de l’effondrement du pont Morandi, à Gênes) et de Lyon (désormais aux mains du consortium français formé par Vinci, la Caisse des dépôts et le Crédit Agricole).

    Derrière ce vaste débat qui s’ouvre, la privatisation d’ADP pose surtout la délicate question économique d’un arbitrage entre d’un côté ce qu’il serait possible d’en retirer aujourd’hui par une vente d’actifs, et de l’autre ce que nous pourrions continuer d’en retirer chaque année en en disposant en propre dans le futur.

    Mais ce qui serait une affaire de savants calculs d’actualisation est en train de se muer en combat idéologique, alors que Benjamin Griveaux explique sans détour que « le rôle de l'État, c'est de s'occuper de l'éducation, de la recherche, de la santé, de la justice, de la sécurité », et donc qu’il « faut aussi savoir dire qu'il y a certaines activités qui doivent être rendues au secteur concurrentiel ». Pas sûr que l’argument fasse mouche dans le contexte actuel…

    Le feuilleton à venir s’annonce donc assez explosif, avec d’un côté des cessions qui iraient dans le sens de l’histoire récente, mais de l’autre une opinion qu’on devine plutôt défavorable, sur fond de mécontentement lié à l’exploitation actuelle des autoroutes. Un mécontentement qui, paraît-il, serait déjà en train d’exclure d’office Vinci de ces futurs débats autour de l’exploitation des Aéroports de Paris…

    Quoiqu’il en soit de la conclusion de ces débats, l’avenir d’une partie des aéroports secondaires français pourrait être affecté. Seront-ils logés demain à la même enseigne, via une cascade de regroupements ?

    Photos : Aéroports de Paris et Aéroport de Toulouse-Blagnac

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