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    Les dits du vendredi

    Ici l’ombre… signé Christian Laborde
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    Notre époque pourrie ne mérite qu’une seule chose : se prendre un bon roman dans la gueule. Ce roman – youpi ! – est écrit ! Il a pour titre «  Le chemin des fugues », compte 311 pages, paraît aux éditions du Rocher. Et son auteur est l’un de mes écrivains préférés : Philippe Lacoche. Bref, c’est bel et bien un bel et bon roman que notre époque, sans chair ni mémoire, reçoit en pleine poire.

    Le héros du roman de Lacoche s’appelle Chaunier. On dirait le nom d’un village. On pourrait le trouver sur une carte Michelin que l’on déplierait sur la toile cirée du bistrot du coin. Un nom de village, oui. Mais un homme n’a-t-il pas été, au siècle dernier, un village, avec une école communale, une rue bordée de platanes, la vitrine d’un bureau de tabacs que signale un losange rouge, bureau de tabacs qui fait aussi bistrot, mercerie et plat du jour ?

    Il y a tout ça dans le nom et dans le cœur de Pierre Chaunier qui n’est pas quelqu’un de notre temps. La preuve, il connait tous les noms des poissons d’eau douce : « brème, tanche, esche, gardon, perche, truite fario, vairon, rotengle, chabot, vandoise, carpeau » Ce lexique de la pêche que Lacoche offre à son lecteur gourmand de vie et de mots parle de la lenteur, de la beauté troublante de la nature, des odeurs, des saveurs, de la lumière, de l’ombre, du temps qui passe, du temps que l’on prend, bref, de tout ce que notre époque a dans le collimateur.

    Pierre Chaunier est un mec qui pêche et qui écrit. Il écrit là où il pêche, en Picardie, dans la presse quotidienne régionale. Chaunier connaît la Picardie par cœur mais, journaliste de la mobylette et du stylo, de l’Ami 6 et du calepin, il ne s’adapte pas aux logiciels, aux outils numériques dont sont désormais dotées les rédactions.

    Chaunier, qui picole un peu, pense que les logiciels sont contre lui, lui font la guerre. S’il avait un flingue, il viderait son chargeur sur l’écran et la souris. N’ayant pas d’arme, Chaunier n’a d’autre solution que d’aller noyer son blues au Bar de la Place où l’attend La Pucelle. Il ne s’agit pas de Jeanne d’Arc qui désirerait danser avec lui sur « A Whiter Shade Of Pale » de Procol Harum, mais de la bière locale. Chaunier boit en compagnie de copains plus colorés les uns que les autres, une tribu de mecs qui savent tout, comme Chaunier, des chemins de fer et des manifs cheminotes. Et, comme Chaunier, tous ont raté le TGV bondé de la modernité.

    Pour échapper aux logiciels et aux antidépresseurs, Chaunier change de rédaction et rejoint celle de L’Echo du Vaugandy, canard composé à l’ancienne, avec des caractères en plomb, sentant l’encre à souhait, imprimé sur du vrai papier, distribué dans un pays, le Vaugandy, inconnu des GPS. Ce «  Chemin des fugues » qui mène à l’enfance, aux jolies femmes et au rock’n roll, est celui, non de la désertion mais de la résistance. A l’heure de la softbarbarie, Philippe Lacoche se souvient d’une civilisation. Et de son ombre.

    Philippe Lacoche, écrivain français libre, c’est : Ici l’ombre ! L’ombre bleutée, l’ombre orangée des tracteurs Nuffield. Deux Nuffield pour barrer la route, et bienvenue sur la barricade, une Pucelle dans une main, le roman de Lacoche dans l’autre !

    Christian Laborde

    www.christianlaborde.com

     

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