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    Publié le Mis à jour le

    Je dis ça je dis rien...

    Z'ont pas aimé !
    Patron, faut que je vous dise... Vous savez la mission ultra-secrète, le reportage d'investigation que vous m'avez demandé, ben comment expliquer... Ça ne s'est pas très bien passé. Ils m'ont virée. Comme je vous l'dis. Je vous raconte ?

    Bon alors, d'abord, en arrivant, comme personne ne s'occupait de moi en dépit de mon superbe badge Presse, avec le logo PresseLib', tout ça, oui le faux qu'on avait fabriqué sur l'imprimante couleur de tata Berthe, bon, ben, j'en avais marre de faire la queue, donc j'ai sifflé le type de l'accueil, en l'apostrophant "garçon" et il n'a pas, mais pas apprécié du tout. Paraît qu'il fallait l'appeler Saint-Pierre.

    Mais bon moi, les considérations protocolaires des terres lointaines et exotiques, vous savez... Parce que là-bas, c'est beau. Mais c'est loin. Mais c'est beau. Mais c'est vraiment loin. Donc histoire de détendre l'atmosphère, je me présente au garçon, enfin Saint machin, là, et je lui dis, pour déconner : "Moi c'est Hastoy, avec un H comme dans girafe". Histoire d'alléger un peu l'ambiance qui était très plombée, à mon humble avis.

    Avouez patron, elle fait marrer tout le monde sur Terre celle-là. Ben là, rien, pas un rictus, pas une grimace, rien. Après, bêtement je l'admets, j'ai demandé s'ils avaient un code pour le Wifi et si c'était gratos. Z'ont pas aimé non plus.

    Et quand ils m'ont présenté le gros barbu et que, admirative, lui ai lancé "J'adore ce que vous faites, trop le swag, man"... Ben, z'ont pas aimé non plus. Après quand je lui ai demandé si "Dieu, ça rapporte ou si c'est juste un truc honorifique ?", m'ont collée dehors, comme je vous le dis patron.

    Là, j'ai forcé le passage, et le gros barbu, je lui ai demandé tout net pourquoi on n'était pas livré avec des pièces de rechange sur Terre, parce que c'est important, non ? Genre genou, oeil, coeur, poumon, tout ça... Et là, savez ce qu'il m'a répondu ? Que dans mon cas, c'est effectivement un cerveau qu'il aurait fallu de rechange. Ça devait être de l'humour divin. Hein, parce qu'il plaisantait, non ? NON ?

    N'écoutant que mon professionnalisme, patron, j'ai demandé où était le livret d'accueil et si je pouvais m'inscrire au week-end intégration de la boutique. Vous ne me croirez jamais : z'ont pas aimé. Ni quand j'ai demandé si c'était exonéré d'impôts. Ni quand j'ai voulu savoir si : a) Judas était blacklisté à son arrivée ?, b) Si Mimi Mathie bossait là pour de vrai ou si c'était des conneries ? Je n'ose même pas vous rapporter quelle a été leur réaction quand j'ai demandé si le lieu était fumeur (même pas vapoteur, sont à la ramasse côté modernité), parce que la décence me l'interdit.

    Après, mais bon, je ne faisais jamais que mon métier, faut comprendre, j'ai demandé si le petit déjeuner était servi en chambre ou au réfectoire, et jusqu'à quelle heure, savez rapport à mon amour légendaire des grasses mat', ben z'ont toujours pas aimé.

    Et lorsque je me suis étonnée qu'il n'y ait pas de cocktail de réception, pas l'ombre d'une tequila sunrise, ni de bogosses peu vêtus, je vous le donne en mille : z'ont pas aimé ! Susceptibles avec ça, parce qu'ils se sont renfrognés quand j'ai dit que "la déco était d'enfer, mais que l'ambiance était pas tip-top selon moi".

    En plus, patron, ce blanc, tout ce blanc, partout. Moi ça tombait mal, ça me boudine le blanc ! Je leur ai dit. Z'ont pas aimé. Alors du coup, j'en ai profité pour leur expliquer que les soirées harpe avec toge drapée, merci bien, mais très peu pour moi. M'ont dévisagée, avec un-je-ne-sais-quoi d'un peu méprisant dans le regard, qui selon moi, vaudrait qu'on leur retire illico leur auréole et leur titre de saint bidule, d'ange machin, et d'archange trucmuche.

    En plus, pile à ce moment-là, je me rends compte que j'ai oublié mon iPhone, je demande si je peux redescendre, juste deux minutes, le récupérer. Ils n'ont JAMAIS voulu. Incroyable ! Mais n'écoutant que mon sens aigu du boulot, les ai bombardé de questions d'une finesse, d'une acuité qui me vaudraient au moins le prix Pulitzer, patron. Genre : "dites-moi tout, pourquoi les hippopotames ? J'ai jamais compris..." Ou : "C'est une légende urbaine qu'on aurait un genre de permis à points, type karma, et qu'on se grillerait à chaque moucheron écrabouillé ? Ah bon, oui... Mince... "

    Après, j'ai demandé à causer au Cupidon because j'avais deux-trois trucs persos à régler avec lui, et là, l'apothéose, il n'existe pas le gonze ! Comme je vous le dis ! Donc on tient quand même notre scoop du siècle, et toutes les nénéttes qui rêvent devant "Pretty Woman" vont en  prendre un sale coup au moral !

    Le coup de grâce, le moment où ils m'ont virée, c'est quand au hasard d'une très banale conversation, j'ai glissé un insignifiant "Je dis ça, je dis rien". Et là, patron, l'archange trucmuche, il s'est retourné aussi sec, il a dit : "Quoi, c'est vous ? C'est vous qui nous prenez la tête avec vos "Je dis ça, je dis rien" à toutes les sauces, qu'on n'en peut plus de l'entendre celle-là ?"

    Et là, il a hurlé DEHORSSSSSSSSS. Donc je suis trépassée par ici, et je trépasserai par là... D'où mon impossibilité à vous rendre mon billet de la semaine, patron... Mais quand même le paradis, c'est très très surfait comme endroit. J'ai pas aimé.

    Enfin bon (éclair d'orage dans le ciel), moi je dis ça (coup de tonnerre), je dis rien (ouragan et tsunami)...

    Gracianne Hastoy

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