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    Feuilleton de l’étéEnfin le Tibet, jour 14

    Potala : le triste palais !
    Le Potala
    « Le Potala n’est pas une montagne ou un palais, mais plutôt une montagne qui est aussi un palais » (Edmond Kandler, correspondant pour le Daily Mail, 1904). « Le Potala dépasse toutes nos attentes. Ses toits d’or brillent au soleil comme des langues de feu » (Edmond Kandler, Daily Mail, 1904)

    Potala : cour intérieure Potala : cour intérieure

    « Le Potala, rien, en Europe, ne peut y être comparé », en dit aussi Perceval Landon pour le Times, la même année. Et c’est vrai, « sans le Potala, Lhassa ne vaudrait rien » écrivit vingt ans plus tard Alexandra David-Néel, première femme occidentale à le contempler.

    En Sanscrit, Potala signifie « la demeure », et d’un point de vue mystique, le Potala est la demeure d’Avalokiteshvara, le boddhisatva de la compassion. Précisément, dans le bouddhisme tibétain, les Dalaï-Lamas sont considérés comme des réincarnations de ce même boddhisatva. Pendant trois cents ans, ils ont eu ici leur palais, le lieu le plus haut de Lhassa, pour qu’aucun humain ne puisse regarder « de haut » ses très divinisés résidents.

    PotalaLe dernier qui y vécut, l’abandonna encore enfant mais depuis son exil en conserve une parfaite mémoire : Tendzin Gyatso, l’actuel XIVème Dalaï-Lama. « Quand j’étais enfant, je passais six mois au Potala et les six autres à Norbulingka. L’été à Norbulingka, et l’hiver au Potala. Durant l’hiver, il faisait froid, et comme il faisait chaud à l’intérieur du Potala, je m’y sentais très bien. Enfant, j’aimais beaucoup jouer et sauter, et comme le Potala est immense, j’avais beaucoup d’espace pour bouger. » (Rires).

    Il n’y est pas revenu depuis sa fuite vers l’exil à Dharamsala en Inde, en mars 1959. Elle se fit la remarque que s’il voyait aujourd’hui le palais, grand fantôme abandonné, il en serait profondément attristé. De nuit, Lhassa s’éclaire superbement, cinq yaks dorés, statues sublimes ornent la rivière de Lhassa, illuminés, toute la ville brille, mais le Potala lui, est éteint. Sa masse sombre et imposante ressemble à une volonté d’oubli pour les Chinois. Ah, s’ils pouvaient faire comme s’il n’existait pas !

    PotalaLe Potala a été construit au XVIIème siècle. Quand le cinquième Dalaï-Lama, le premier à ajouter la fonction politique à la fonction religieuse, décida de créer ce siège. Avec ses sept niveaux, il est considéré le palais le plus haut du monde, et l’un des plus grands. Derrière ses murs épais, se cachent un nombre incroyable de chambres, chapelles, salles de réception, qui du temps où il était habité, constituaient un monde inaccessible au commun des mortels, encore davantage aux étrangers.

    Hormis quelques chanceux, comme Heinrich Harrer qui, la première fois qu’il s’y rendit, fut impressionné par la solitude dans laquelle vivait l’enfant dalaï-lama au sein de cet énorme palais : « Au Potala, il y avait un pauvre enfant sans compagnons de jeux, entouré de vieux, gardiens, abbés, qui vivaient ici. Le Potala était une tombe géante, où se trouvaient les 13 dépouilles des prédécesseurs du dalaï-lama, à l’intérieur ».

    Le Potala n’est pas un simple palais. En accord avec son symbole d’un régime absolu et théocratique, les restes des dieux défunts du Tibet étaient en effet gardés et adorés ici, dans une magnificence bien supérieure à celle dont ils profitèrent de leur vivant. En parcourant leurs ultra luxueux panthéons, on est surpris par l’opposition flagrante entre les immenses pièces funéraires qui les composent et les exiguës chambres qui les hébergent. On dirait qu’ils ne rentrent pas ! De chacune d’entre elles, couvertes d’or, d’argent et de pierres précieuses, les « stupas » du premier et dernier sont les plus grandes et ornementées. Ce qui paraît juste, puisqu’en trois cents ans, seul le cinquième dalaï-lama surnommé « Le Grand » et le treizième qui proclama la brève indépendance du Tibet, aux débuts du XXème siècle, parvinrent à jouer un véritable rôle politique. Pour les autres la magnificence de leurs tombes ne semble guère convenir à la grandeur représentée de leur vivant.

    Le Potala : homme priantLe sixième dalaï-lama, considéré comme un grand poète, vécut une vie dissolue, consacrée à l’alcool et aux femmes, tant et si bien qu’il fut démis de son poste par l’Empereur de Chine ; le septième fut un simple jouet politique aux mains des aristocrates de Lhassa ; les cinq suivants moururent tous jeunes, sans atteindre la majorité, et selon les rumeurs, empoisonnés par leurs régents. Il n’y a pas non plus de quoi s’en scandaliser : au Tibet, comme dans tout autre coin du monde, la religion et la politique ont toujours été soumises au ballet des intrigues.

    L’une des plus machiavéliques, cependant, eut lieu ici : la mort du constructeur du palais, le cinquième dalaï-lama. Pour maintenir son pouvoir, pendant quinze ans, le régent fit croire que le dieu-roi s’était retiré pour méditer et était toujours en vie. Plus que de l’ambition, on peut songer que le régent n’avait pas une grande confiance dans le pouvoir des dalaï-lamas face à la puissance des Chinois qui, peu à peu, affirmaient leur contrôle sur le Tibet. Un perspicace voyageur russe, Nikolaï Prjevalski, écrivit en 1860 : « La nullité personnelle des dalaï-lamas est la garantie, pour les Chinois, sinon de leur souveraineté sur le Tibet, sinon de la tranquillité de leur turbulent voisin. » C’est sans doute une exagération, car lorsqu’ils gouvernaient le Tibet, le véritable pouvoir des dalaï-lamas ne résidait pas dans la politique mais dans le fait d’être tous, la réincarnation du même Bouddha. Celui qui allait décéder donnait lui-même les instructions pour trouver sa future réincarnation, qui, minimum neuf mois après sa naissance était enlevé à sa famille et éduqué pour être roi, incarnation d’Avalokiteshvara, le Bouddha de la Compassion, donc.

    Leader absolu, politique et religieux, de son pays. Un statut qui peut paraître anachronique à l’époque actuelle. Le dalaï-lama actuel dit, à ce propos : « En 1992, j’ai pris la décision ferme de ne pas conditionner ce que peut décider le peuple tibétain dans le futur, eu égard au statut politique du dalaï-lama, cela ne dépend pas de moi mais de l’ensemble des Tibétains. Ce sont eux qui prendront la décision. Si le peuple tibétain veut qu’existe l’institution du dalaï-lama, elle existera. Sinon, elle n’existera pas. C’est très simple. »

    PotalaLe Potala, en plus de palais et tombe, est également un musée. Dans aucun endroit du Tibet, ne se conservent autant de trésors du passé. Déclaré Monument sous la Conservation de l’Empire Chinois, et Patrimoine de l’Humanité par l’UNESCO, le Potala a eu la grande chance d’échapper à la Révolution Culturelle. On envoya même un grand nombre de soldats pour le protéger. Oui, une grande chance, car en plus des trésors artistiques, c’est au Potala que sont conservées les archives du vieux Tibet. Ainsi qu’une collection de textes sacrés et très anciens, et des Sutras, écritures bouddhiques uniques au monde.

    Potala : fenêtreIl n’y a pas que les Révolutions. Le temps est aussi un destructeur implacable. Les travaux de reconstruction ont débuté à la fin des années 80. Etant donné que toute sa structure est en bois, le fléau venait de l’artison, un acarien qui se nourrit de moisissures (et qui est, en Europe, utilisé pour le fromage, pour ces raisons. On l’appelle aussi le ciron, mais son nom d’artison vient du fait… qu’il travaille beaucoup !) et dévorait les poutres. Monument ancien, il n’avait jusque-là subi aucune restauration. Certaines parties le nécessitaient vraiment car elles étaient dans un état très dangereux.

    Le gouvernement chinois a investi de nombreux millions de yuans à ces fins. Les artisans tibétains qui continuent de travailler au Potala avaient déjà accumulé beaucoup d’expérience après avoir restauré les temples et monastères détruits durant la Révolution Culturelle. Mais pour eux, travailler ici est sans aucun doute un honneur très spécial, et un défi professionnel. Aujourd’hui encore, le Potala est un symbole, comme le décrivait déjà Heinrich Harrer : « Tant que le Potala restera debout, ce sera la preuve que les Tibétains sont autre chose qu’un peuple exotique qui découpe ses morts en morceaux pour les donner à manger aux oiseaux, capables de léviter dans l’air, ou je ne sais quelle autre pratique fascinante. Le Potala est la preuve que la culture tibétaine est bien davantage qu’une vague culture qui a réussi à survivre plus de deux mille ans. » Il parlait, pour la lévitation, du tantrisme tibétain, unique au monde, et dans lequel s’était illustré le grand yogi et poète tibétain, Milarepa, dont on irait voir une relique… Au Népal !

    Le Potala : peintureElle ne put se départir d’un infini malaise durant toute la visite du palais. De l’extérieur, il attirait forcément un grand « whaou » d’admiration. On grimpait ses marches interminables sous une chaleur asphyxiante (on les avait prévenus au moment de leur préparation physique : « bien plus que le camp de base de l’Everest, c’est monter les marches du Potala qui sera votre plus grand enjeu physique »), vrai que c’était difficile ! Mais à l’intérieur, le choc. Des pièces vides ou sans âme, comme si tout était mort avec le départ de Voldemort. Celui qu’il ne fallait pas citer, mais dont la mémoire hantait les lieux.

    Le Potala : femme tibetaine priantUne femme récupérait les offrandes sonnantes et trébuchantes. Elle la prit en photo (jointe), portant sa poche en plastique remplie de billets. Le poids de la foi. Et tout ce qu’il en restait ici. Portiques de sécurité à l’entrée, militaires chinois, interdiction de photographier l’intérieur, on eut dit qu’on voulait même interdire le souvenir, mais qu’on ne se l’avouait pas. Ironie du lieu, deux chatons jouaient dans les tapis de l’ancienne chambre de Voldemort. Ils attiraient un sourire amusé, le seul qu’on puisse s’offrir de toute la visite. Quelle différence avec le Jokhang si vivant d’hier !

    Potala : jardin d'en faceComble du malaise, quand on voulut prendre une photo du groupe face au Potala, et que le guide chinois sortit une banderole de son agence de voyages à exhiber. Aussitôt, trois policiers en civil se ruèrent sur le photographe-guide, lui ôtèrent son appareil, et supprimèrent les photos. Publicité commerciale ou pas, on ne rigolait pas avec ça. Tout ce qui ressemblait de près (ou de très loin) à une manifestation était immédiatement réprimé. Il fallut beaucoup d’explications et de chinoiseries pour les calmer. Le pauvre, ainsi que le guide tibétain et le groupe, en furent pour une bonne frayeur. Elle se demanda ce qu’il éprouvait, Chinois, mais aussi pratiquant bouddhiste, face à la situation politique. Jamais cependant, elle n’osa le lui demander. Oui, elle cherchait un autre mot, mais seul celui de profond malaise parvenait à résumer la visite du Potala. Tristesse aussi, était un bon raccourci.

    Liens utiles :

    >> Ce qu’en dit l’Unesco

    https://youtu.be/epkj-DppAGI

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    Diaporama 2

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