La voix du steward retentit, à peine l’avion posé. « Mesdames et messieurs, l’avion vient de se poser à Lhassa. Nous vous recommandons, quand la porte s’ouvrira, de prendre une profonde inspiration. » Ah, celle-là, on ne lui avait jamais faite ! Une habitude à prendre, inspirer le plus profondément possible, souvent, marcher lentement, ne pas courir, ne pas faire de geste brusque.
Dès la sortie de l’avion, une petite ivresse (pas désagréable) semble s’éparpiller dans le corps. 4.000 mètres. Mais pas une ivresse de joie, due au bonheur de concrétiser le rêve, non. Une vraie sensation physique, comme en limite d’évanouissement, comme après une coupette de champagne de trop, comme une euphorie exagérée.
Pourtant, son premier contact avec la terre des rêves est bien cruellement prosaïque. Dans l’aéroport, les filles décident d’aller… aux toilettes. Elles savent qu’il y a encore deux heures de route jusqu’à Lhassa. Et là, le choc ! Cela fait déjà depuis la Chine qu’elles ont oublié ce que sont des toilettes à l’occidentale, et les latrines sont devenues le quotidien. Mais là… Pas de portes, tout le monde fait ses besoins devant tout le monde, et juste face à elle, une tibétaine décomplexée est en train de… chier. Il n’y a pas d’autre mot, c’est brutal, direct, et odorant. Whaou.
L’expérience est forte. Les filles du groupe sortent en courant des toilettes, offusquées. Elle n’est guère en meilleur état. Dans quelques jours, on se sera habituées, mais pour l’instant, c’est encore un peu « neuf » comme sensation.
Finalement, le passage devant les autorités se fait sans mal (ouf, une deuxième expérience violente immédiate n’aurait pas été du meilleur effet sur le moral mexicain !). Dehors, six camionnettes les attendent, ainsi que leur guide tibétain, Lakpar, et six chauffeurs. On leur remet leur première kata – écharpe – blanche de bienvenue. Les mots « bienvenue au Tibet » résonnent fort.
On oublie vite la déconvenue des toilettes, et on regarde autour. Voilà l’autre choc. Le Tibet, ce n’est pas juste un autre pays, un peu plus loin, un peu plus déconcertant. Le Tibet, c’est une autre planète ! Inconnue. La lumière est différente, les montagnes sont autres, le ciel n’est pas le même, l’air bien entendu n’a rien à voir. Il ne se respire même pas pareil. D’autres couleurs, d’autres sons ou silences, d’autres formes. Le corps réagit, mais elle sent déjà que ça va bien se passer. La joie d’être là l’emporte sur la très légère migraine, et la sensation d’ébriété qu’elle commence à vraiment apprécier. Une griserie.
Elle y est. Au pays des Himalayas. Le toit du monde ! Un altiplano d’une hauteur moyenne de 4.000 mètres et une superficie d’un million deux cent mille mètres carrés, égale à l’Espagne, la France et l’Allemagne réunies. La plus haute zone habitée de notre planète. Un pays pour montagnards. Avec l’Everest et ses 8.848 mètres, et les 8 autres sommets de plus de 8.000 mètres, les 50 de plus de 7.000 mètres et les 200 de plus de 6.000 mètres !
Elle y est. Le pays où naissent les plus grands fleuves d’Asie, le Gange, le Mékong, le Brahmapoutre, le Yangtsé ou le fleuve jaune.
Les camionnettes filent en direction de Lhassa. Elle est en compagnie d’une fille du groupe, adorable, et de Bruce, le guide chinois. Sans oublier le chauffeur, Wang Kayang. Sa première surprise, ce sont ces montagnes étranges avec leurs versants comme griffés par un ours géant. Et puis la tentative de forestation des Chinois, qui semblent planter partout, encore et encore, pour lutter contre ce grand problème environnemental du Tibet, quand les tempêtes de sable s’engouffrent dans les vallées du Tibet, chaque printemps. Quand la fonte des neiges des sommets forme des sources d’eau qui, rapidement, se transforment en ruisseaux impétueux.
Elle se familiarise peu à peu avec les bannières d’oration partout, absolument partout. Dire Tibet ne signifie pas seulement « nature à l’état de pureté », dire Tibet, c’est dire bouddhisme. Un pays de moines et de monastères. Et la révolution culturelle, malgré le massacre de plus de 6.000 monastères, n’a pas changé la face du Tibet. Il est imprégné de bouddhisme. Pas une voiture sans ses rubans de protection, pas une maison sans son autel, ou ses bannières d’oration, pas un Tibétain sans son mala (rosaire), pas une montagne sans ses petits amoncellements de pierres (cairn) protectrices, ou ses chevaux de vent (autre nom des bannières d’oration) …
Apparemment, dans les autres camionnettes, certains membres du groupe sont malades. L’altitude fait ses premiers ravages. La décision est prise de ne rien forcer. Lhassa, ce sera pour demain, on s’arrête dans un hôtel en route. Et ce soir, au menu du restaurant, du yak !
Le yak, l’autre mythe du Tibet. Celui dont Alexandra David-Néel affirmait qu’il était le « plus étrange ruminant du monde ». Vrai qu’il est bizarre, semblable à une vache poilue, mélange de plusieurs animaux en un seul, avec sa fourrure d’ours, sa queue de cheval, et ses pattes de chèvre ! Pour les Tibétains, il est une bénédiction, un supermarché ambulant dont on ne perd rien : le lait, la graisse, la laine, sa chair à la saveur forte et savoureuse (dont les Tibétains raffolent malgré l’interdiction de Bouddha de tuer le moindre animal, on les comprend, les conditions climatiques du Tibet empêchent de cultiver légumes ou fruits, il faut bien manger, et la tsampa, l’autre aliment de base du Tibet, farine d’orge grillée, équivalent du riz des Chinois ou du pain des Français n’est pas une nourriture suffisante).
Mais ce n’est pas tout, le yak donne aussi le beurre utilisé pour les lampes des monastères (qui donne cette odeur si particulière, on en reparlera), ou le même beurre servi dans un thé salé pour les moines (on en reparlera, hélas, aussi…), tandis que la bouse de yak est le combustible parfait dans un pays où il n’y a pas de bois (on en reparlera encore, à l’Everest, soyez patients…). Sans le yak, pas de bouses, pas de feu possible, et donc impossible de survivre une nuit à plus de 6.000 mètres. Ce qui fut expérimenté par Heinrich Harrer, l’auteur de « Sept ans au Tibet » dans sa fuite pour rejoindre Lhassa.
Donc, tant pis pour son végétarisme, elle goûta les « momos » (type dumpling, pour ceux qui connaissent la nourriture chinoise) de yak. Et à sa grande honte, dut reconnaître que c’était… dé-li-cieux !!!
Tashi delek, Tibet, bonjour Tibet !
Vidéo : Tibet, me voilà :
https://youtu.be/Jh3BJcCIa_Q
Diaporama
[gallery ids="88681,88682,88683,88684,88685,88686,88687,88688,88689,88690,88691,88692,88693,88694,88695,88696,88697,88698,88699"]
Réagissez à cet article
Vous devez être connecté(e) pour poster un commentaire