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    Feuilleton de l’étéEnfin le Tibet, jour 20

    Adieu Lhassa et… à tout à l’heure !
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    9h30 du matin, Aéroport de Lhassa, Tibet. Voilà, le moment fatidique était arrivé. Dans une heure, l’avion décollerait pour Katmandou. Si tout se passait bien, vers 13h, on arriverait pile à point pour déjeuner d’un bon curry, ou un dhal de lentilles avec des naans, parfait.

    On s’était levés tôt ce matin après une nuit courte (le match de foot de la Colombie – dont un représentant épique et colegram faisait partie du groupe, avait servi de nuit de clôture au Tibet), les valises étaient bouclées, les deux heures de route jusqu’à l’aéroport s’étaient faites dans les larmes. Leur chauffeur Wang Kayang s’était fait traduire par Bruce, le guide chinois :

    - Je refuse d’accompagner un autre groupe si vous n’en faites pas partie…

    Sur le parking, on avait remis leurs pourboires à tous les chauffeurs, et ces bonhommes qui passaient leur temps à fumer et cracher en avaient été de leur petite larme. Elle avait laissé à Lakpar ses affaires d’hiver. Sweets, écharpes, chaussettes, gants… C’était toujours ça qu’elle ne chargerait pas dans ses deux valises pleines à craquer. Bruce, quant à lui, ne cherchait même pas à cacher son émotion : « Vous êtes mes premiers Mexicains, et vous resterez dans mon cœur, j’ai aimé votre joie, vos rires, vos danses, votre bonne humeur permanente, vous allez beaucoup me manquer… »

    Vrai qu’on avait passé de sacrés moments dans les camionnettes, à s’échanger des musiques, à parler un mauvais anglais, à s’échanger des pratiques de bouddhisme, à se montrer des photos de notre « chez nous », à se faire engueuler par les Chinois, à s’extasier sur les paysages et coutumes de ce pays à part, à rire surtout.

    Certains membres du groupe étaient ravis de se rendre à Katmandou. Car c’était aussi synonyme de… shopping ! Et après trois semaines de pèlerinage, l’envie de retomber dans quelques superficialités en chatouillait certaines. Pour elle, en revanche, la tristesse se manifestait sous la forme de boules d’angoisse, nichées dans sa gorge et son estomac. A la boutique du tout petit aéroport de Lhassa, elle dépensa ses derniers yuans en achetant quelques souvenirs. Le cœur n’y était plus. On avait beau leur promettre de belles surprises là-bas, des enseignements uniques, ce ne serait pas pareil, elle le savait.

    Mais dans tout ça, l’heure passait, et point d’avion… Ou plus exactement, il était là, sur la piste, mais on n’invitait pas à monter dedans. Soit. 10h30. 11h00. 11h30. A midi, les hôtesses commencèrent à s’agiter… Pour distribuer des soupes de noodles. Au moment où elle allait se saisir de la sienne, l’hôtesse lui cria un truc, qu’elle ne comprit pas. Heureusement, le maître était là qui parlait parfaitement le tibétain, et lui confirma que, ça y est, on grimpait dans l’avion, et oui, elle pouvait garder sa soupe, non mais !

    Elle s’installa seule, au fond de l’appareil. Pas envie de rigoler avec le groupe, pas envie de causer shopping népalais, pas envie, pas envie, pas envie… Elle bouffa sa soupe. Puis l’avion toujours posé, on leur servit un plateau repas. Ah bon ?! Il était 14 heures largement passées quand les moteurs commencèrent à tourner, et qu’une odeur de kérosène entêtante les inquiéta un peu. Mais enfin, on décolla. Pour elle, ce fut une apothéose de tristesse. Elle pleurait, seule, au fond de l’avion.

    Dans sa tête, tournait en boucle la phrase d’Alexandra David-Néel : « J’ai le mal du pays pour un pays qui n’est même pas le mien ». Et plus, elle pensait à cette phrase, plus elle pleurait. Au-dessus des premiers contreforts himalayens, ce fut pire. Passer de l’autre côté. C’était fini, fini. Quand ils furent en vue de Katmandou, et que les premiers immeubles de la capitale népalaise apparurent, elle s’endormit. Les larmes l’avaient épuisée. Franchement, elle ne s’attendait pas à réagir comme ça. Un sommeil lourd l’accabla. On allait bientôt atterrir, de toute façon. Et zut.

    Quand elle réouvrit les yeux, deux surprises l’attendaient : on était toujours en vol (il lui semblait avoir dormi longtemps pourtant, bizarre !) et 21 paires d’yeux, la plupart mécontentes, étaient braquées sur elle.

    - Laya, qu’as-tu fait ?

    - Hein, quoi ? (son vocabulaire au réveil était toujours des plus limités)

    - Eh bien, tu as tellement demandé dans ta tête de revenir vite au Tibet que, voilà, on fait demi-tour !

    Un haut-le-cœur joyeux manqua l’étouffer.

    - C’est pas vrai ? Vous m’faites marcher ?

    - Pas du tout, regarde par le hublot, dans une demi-heure, on atterrira de nouveau à Lhassa. Tu as gagné ! La prochaine fois, quand tu demanderas de « revenir au Tibet », n’oublie pas de préciser une date ultérieure, s’il te plaît !

    Même son maître rejoint la cohorte des moqueurs. Arguant qu’elle maîtrisait encore mal les « souhaits d’aspiration » (terme bouddhiste qui évoque les requêtes spirituelles que l’on fait en méditation, la plupart étant à faveur du bien-être des êtres sensibles) mais qu’apparemment, ça fonctionnait bien… Il riait aux éclats, pourtant préoccupé par le contretemps que cela représentait dans l’organisation du voyage.

    Et elle devait bien l’avouer, elle se moquait des contrariées qui devraient retarder leur shopping à Katmandou, des galères pour obtenir un nouveau visa au Tibet pour 24 heures, de l’hôtel communiste aux affiches éloquentes placées en face des lits où on les logea (parqua ?), du quartier des prostitués où ils firent leur dernière virée nocturne à Lhassa et qui contrastait un peu avec la spiritualité profonde du pays, en voyant les montagnes si particulières du Tibet face à elle, à nouveau, une joie primaire l’envahit.

    Elle savoura chaque seconde de ce répit, chaque paysage à nouveau offert avec la candeur d’un enfant, et put ainsi ajouter des souvenirs et impressions à son rêve de toujours. Le destin venait de lui offrir un magnifique cadeau. Désormais, elle acceptait de s’en aller, sut que ce serait facile de revenir, qu’il suffisait d’en former le vœu dans sa tête. On la supplia, dans le groupe, de former des vœux pour rejoindre Katmandou, le lendemain. Et elle s’exécuta de bonne grâce.

     

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