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    Je dis ça je dis rien...

    Le nouvel art de sibylliner

    Une analyse de texte ? Oh patron, vous ne pouviez pas me faire plus plaisir. Moi l'analyse de texte, ça me subjugue, ça me passionne, c'est mon dada dans la vie. Il y a bien des fois où je me suis un peu empêtrée, j'avoue...

    Notamment, le jour de mon oral de français au baccalauréat, je m'en souviens comme si c'était hier (oui, c'était pourtant au siècle dernier, vous êtes désagréable quand vous vous y mettez, vous le savez, ça, patron ?).

    Et…

    J'étais tombée, ô joie suprême, sur "L'invitation au voyage" de Baudelaire, mon chouchou entre tous. Et là, déroulant mon analyse, voilà que je me fais interrompre par la méchante examinatrice qui me demande : "Pourquoi Baudelaire emploie-t-il le terme de "tous les soleils" ? Il n'y a qu'un soleil, que je sache"...

    Alors là, patron, elle s'était gourrationnée de personne, j'vous l'dis, parce qu'au lieu de me pétrifier, sa question m'a emballée. Et que je te développe l'image de luminosité renforcée, de démultiplication de l'éclat, et patati patata. À la fin, elle me faisait taire, la revêche ("ça va, ça va, j'en ai assez entendu", ça devait être bon signe... Non ? Meuh si...).

    Donc vous voyez, patron, quand vous me demandez aujourd'hui de décrypter ce grand texte de la littérature, je réponds "présente" avec un enthousiasme non feint. Qui est l'auteur du jour, siouplait ? Nicolas Sarkozy ? Euh, je dis ça, je dis rien, mais on avait dit pas de politique, si je ne m'abuse... Ah, rien à voir, c'est juste du décryptage littéraire, z'êtes bien sûr ? Relevé par le Petit Journal de Canal Plus lors d'un meeting ? Bon, bon, si vous l'dites, z'êtes patron, patron...

    Allez, c'est parti, on devrait arriver à torcher ça en deux coups les gros : "Je voudrais leur dire qu'on a reçu le coup de pied au derrière mais que c'est pas parce que vous voulez renverser la table que vous descendez de la voiture dont vous vous abstenez de choisir le chauffeur." Oh p'tain, m'attendais pas à ça, c'est du lourd, patron...

    Première remarque d'emblée, je relève que l'auteur de ces mots est persuadé que tout le monde a un chauffeur. On pourrait évidemment résumer aussi et retenir qu'il n'est pas content. Point. Sans se laisser embarquer par les fioritures didactiques (!!!???) de sa diarrhée (oups, pardon, je voulais dire "logorrhée") verbale. Mais c'est trop simpliste, et ici, le simplisme, on n'aime pas bien. Perso, je sèche. Baudelaire, j'y arrivais à peu près. Mais Sarko, c'est d'un tel niveau !

    Quoique, si je me creuse un peu le neurone, je peux oser une interprétation. Elle vaut ce qu'elle vaut, patron, mais elle fait sérieux : Nico, pour les intimes, expliquerait donc qu'il a reçu le message du mécontentement (coup de pied au derrière) de ceux qui votent FN ou s'abstiennent, mais même si ces personnes veulent renverser la classe politique (la table), par cet acte électoral, ils n'auront pas la possibilité d'échapper aux conséquences et resteront bloqués dans une voiture (la France) dont ils n'auront pas choisi le chauffeur (le Président).

    Oui, je vous l'avais bien dit que j'étais balèze en analyse de texte. Mais tout de même, si on pouvait me donner la marque du truc qu'il fume, notre ami Sarko, parce que ça a l'air d'être de la très bonne !

    Moi je crois qu'en résumé, le sens sous-jacent à ses propos, c'est "faites pas chier à vous abstenir, ou voter FN, oubliez les autres, je suis là et je vais vous sauver, parce que je conduis comme personne, je suis à moi seul un as du volant, le Diabolo et le Satanas réunis." Mais là, déjà, c'est plus sibyllin.

    Or, on ne le dit pas assez, mais il est philosophiquement sibyllin, notre ancien Président qui voudrait bien le redevenir même s'il a dit un jour qu'on ne l'y reprendrait plus (ce qui est déjà également très, très sibyllin en soi). Un nouveau genre littéraire est donc né : l'art de sibylliner à fond les ballons. Ça laissera forcément des traces dans l'Histoire. Lesquelles ? Ca, c'est plus difficile à dire...

    Mais bon, moi je dis ça, je dis rien...

    Gracianne Hastoy

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