Dans la famille Dupuy, on pêche le dimanche et on invente le reste du temps. Le patriarche, Jacques, n’était pas qu’un simple amateur de truites : il testait des modèles pour des fabricants et pestait depuis des années contre le manque d’évolution dans les équipements. Son obsession ? Imaginer une canne à pêche qui combinerait les atouts de deux formats : la canne télescopique et celle à fil intérieur.
Dès les années 90, il griffonne, bricole, teste un système où les anneaux sont insérés à l’intérieur du blank, sans gêner le repli de la canne. Un concept malin, permettant d’éviter les frottements dus à l’électricité statique lors des lancers, et surtout les nœuds dans les arbres lors des parties de pêche en zone boisée. Mais le projet s’enlise. Sans partenaires industriels convaincus, Jacques range son idée au fond d’une armoire. Elle y restera vingt ans.
La promesse d’un fils
En 2016, Jacques tombe gravement malade. Alors qu’il évoque ses regrets, il confie à son fils Jean-François son rêve inachevé : voir cette canne révolutionnaire un jour entre les mains des pêcheurs. Le message est reçu cinq sur cinq. Et si la promesse était simple, sa réalisation, elle, fut un véritable parcours de pêcheur : long, sinueux, semé d’embûches.
Jean-François se lance à corps perdu dans l’aventure. Il tente d’abord de faire revivre les plans de son père avec un ami ingénieur. L’impression 3D fournit un premier prototype... qui ne fonctionne pas. Les mécanismes sont capricieux, les contraintes techniques nombreuses. Il faut tout reprendre à zéro. Mais Jean-François, mordu jusqu’au bout du scion, persévère. Il assemble autour de lui une équipe pluridisciplinaire : ingénieurs mécaniques, avocats spécialisés en propriété industrielle, experts en moulage, développeurs 3D et consultants pêche. Un véritable banc de talents.
Pendant plus d’un an, chaque soir, Jean-François appelle son père pour lui faire un point d’étape. Le suspense est haletant. Jusqu’à ce moment suspendu : deux semaines avant le décès de Jacques, le prototype fonctionne. Jean-François peut lui montrer, preuve en main, que la ligne de son rêve s’est tendue. Une victoire douce-amère, mais un passage de témoin réussi.
De la pêche au toc à la pêche au top
La première version de la Mosquetari est pensée pour la pêche au toc, une technique fine et exigeante qui séduit une niche de passionnés. Mais pour percer dans un marché plus large, Jean-François sait qu’il devra attaquer plus fort. Il planche donc sur une version dédiée au lancer – la technique reine dans la pratique amateur. Ce nouveau modèle demandera trois années de recherche et développement supplémentaires, avec un arrêt brutal pendant la pandémie de Covid.
Le résultat est bluffant : une canne de deux mètres, avec trois brins pour un encombrement replié de seulement 70 cm. Mais surtout, un système breveté d’anneaux internes coniques, au nombre de quatorze, qui guident le fil avec une fluidité remarquable. Même mouillée, la canne reste réactive. Le fil coulisse sans accroc, et le montage se fait en deux temps trois mouvements. Le rêve de tout pêcheur qui a déjà passé vingt minutes à démêler son fil entre deux branches.
Au-delà du confort, Mosquetari propose un vrai gain sensoriel. Le fil intérieur, guidé au centre du blank, restitue chaque vibration. Chaque touche se ressent dans la main. La canne devient le prolongement du pêcheur. À l’usage, les premiers tests confirment les espoirs : même avec des leurres ultralégers, le lancer est fluide. Et dans les zones encombrées ou à bord d’un bateau, les risques d’accrochages sont éliminés. Fini les galères de rangement, les anneaux tordus, les fils coincés dans les portières.
Pour tous les styles de pêche
L’autre force du système Mosquetari, c’est sa capacité d’adaptation. Ce mécanisme peut équiper toutes sortes de cannes à pêche télescopiques, qu’elles soient destinées à la pêche au leurre, au toc, en spinning, casting, feeder ou même pour le jigging en mer. L’ingéniosité du système repose sur un mécanisme de libération automatique des anneaux coniques à l’intérieur des brins, lors du déploiement de la canne. À la fermeture, les anneaux viennent se loger naturellement dans la partie inférieure. Le tout sans entretien particulier, même si chaque pièce peut être démontée.
Avec un prix avoisinant les 200 euros, cette canne se positionne dans une gamme accessible pour un produit aussi technique et durable. L’objectif : toucher un public de passionnés, mais aussi convaincre les curieux à la recherche d’une canne facile à transporter, à monter, et surtout agréable à utiliser.
Derrière Mosquetari, il y a l’histoire d’un héritage, d’un lien père-fils aussi solide qu’un bas de ligne en fluorocarbone. Il y a la foi dans un rêve oublié, remis à flot grâce à la persévérance, l’écoute, et la passion d’une vie. Jean-François Dupuy ne révolutionnera peut-être pas le monde de la pêche du jour au lendemain, mais il a prouvé qu’à force de patience, même les idées enfouies peuvent refaire surface et mordre à l’hameçon du succès.
Sébastien Soumagnas
Réagissez à cet article
Vous devez être connecté(e) pour poster un commentaire