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    Feuilleton de l’étéEnfin le Tibet, jour 16

    L’une des premières visites fut pour le monastère de Samyé, le tout premier construit au Tibet. Une légende présidait à sa construction…
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    L’on racontait qu’alors, au VIIème siècle, le roi Songtsen Gampo (oui, le mari de la princesse WenCheng, oui, c’est bien, vous suivez) eut une vision. Il découvrit que le pays des neiges était en réalité formé du corps d’une gigantesque diablesse couchée. Pour la combattre, le roi fit construire aux quatre points de son pays des monastères qui, formant des chaînes sacrées, maintenaient l’impétueuse femme prisonnière.

    Monastère de Séra

    Le premier de ces monastères fut Samyé. De nouveau, les démons voulurent, par leurs sorts, en empêcher la construction. Alors le roi du Tibet fit venir d’Inde un yogi réputé, initié aux mystères du tantra. Padmasambhava. Le Gourou Rinpoché des Tibétains. Le second bouddha vénéré au Tibet, après le bouddha historique Shakyamuni, dans tous les foyers et temples du pays. Son pouvoir était tel qu’il ne soumit pas seulement les démons, mais les obligea à construire eux-mêmes le monastère à une vitesse incroyable.

    Aujourd’hui, à Samyé, on continue de travailler à la reconstruction du monastère, mais sa destruction n’a pas été le temps qui passe ou les vieux démons. Ici est passée la révolution culturelle, le pire cataclysme connu par le pays dans son histoire récente. Dix ans d’une destruction, systématique au Tibet.

    Des 6.000 monastères et ermitages du Tibet, seuls 200 ont été sauvés. Inspiré des mandalas, l’ensemble de Samyé est une représentation de l’univers. Le temple central occupe la place du Mont Méru, et les autres temples qui l’entourent représentent océans et continents. A chaque extrémité, quatre stoupas représentent les quatre points cardinaux, identifiables par leurs couleurs. Rouge, noire, verte et blanche.

    A Samyé, il y a 1.300 ans eut lieu ce qu’on nomma le « grand débat ». Des sages bouddhistes chinois se mesurèrent aux maîtres tantriques hindous, et l’on dit que les tibétains, de ce jour jusqu’à maintenant, choisirent alors de relier la tradition hindoue, selon la version indienne de l’histoire. Mais les pèlerins qui accourent à Samyé de tous les coins du pays, ne le font pas, attirés par les débats scolastiques du passé. Comme écrivit Alexandra David-Néel qui passa par Samyé en 1925, « Samyé, œuvre d’un mage, est resté imprégné de l’esprit de son fondateur : l’endroit sent la sorcellerie à chacun de ses recoins. »

    Isolé de toute habitation humaine, avec ses chapelles bigarrées, à peine illuminées par des lampes à beurre, à Samyé plus encore qu’ailleurs, est perceptible l’ambiance mystérieuse des monastères tibétains. La tradition prétend qu’avant de renaître, toutes les âmes doivent passer par Samyé. Et les pèlerins viennent ici afin d’apprendre le chemin, de façon à ce que leurs âmes, après la mort, ne se perdent pas.

    Autrefois, à l’intérieur de Samyé, le lieu des âmes gardait ses portes rigoureusement fermées, une mort certaine espérant ceux qui auraient osé s’aventurer dans la terrible chambre. On eut la chance, l’immense privilège d’y assister à une cérémonie tantrique.

    Oui, ADN avait raison : Samyé était à part.

    Mais l’autre « attraction » bouddhiste du jour fut la visite du Monastère de Séra. Signifiant « L’enclos des roses ». A peine situé à 5 kms de Lhassa, c’était peut-être là qu’on croisait le plus de touristes. Une légende urbaine avait même assuré longtemps que les débats philosophiques – puisque c’est ce qu’on venait voir ici – étaient truqués et que c’étaient de « faux » moines qui officiaient dans une sorte de spectacle grand public parfaitement orchestré.

    Le tibétologue et philosophe Eduardo Herrera qui les accompagnait se hâta de contredire la rumeur. Pour lui qui avait étudié durant huit ans au Tibet, et avait longuement pratiqué ces joutes philosophiques, il y avait certes ici quelque chose que les Occidentaux avaient bien du mal à comprendre, mais il ne fallait pas en salir la tradition pour autant.

    Vrai que c’était impressionnant. Claquements de mains, questions type köan (utilisé en particulier dans le bouddhisme japonais), enroulements du mala (rosaire) autour du bras, voix qui portent fort, tous les arguments étaient solidement accompagnés de gestes. Cela multiplié par des dizaines et des dizaines de moines dans la cour du monastère, c’était quelque chose. Le débat débutait à 15 heures, juste après la méditation de l’après-midi. On en ressortait un peu déconcertés, et admiratifs pour cette façon singulière d’argumenter… De faire vivre encore et encore les enseignements du Bouddha, le fameux Dharma, avec toujours cette remise en question, prônée par Bouddha lui-même qui demandait de ne jamais accepter un enseignement comme tel, mais de le passer au filtre de sa propre réalité et expérience. S’il était effectif à nous changer, alors le garder. Sinon, le laisser de côté…

    En 1959, ils étaient plus de 5.000 moines à Séra. Début 2008, malgré la restauration, ils n’étaient plus que 550 moines. Elle nota cependant que tous les monastères visités étaient en reconstruction. La révolution culturelle avait passé, avait détruit. Désormais, on colmatait les brèches. D’ailleurs, tout le pays semblait en travaux. Les femmes (comme au Népal) y étaient maçon, ouvrier…

    Pour elle qui vivait dans un pays de conquêtes, le Mexique, tout cela lui donnait la sensation d’être revenue au temps de Hernan Cortès. Un pays en pleine conquête. Elle qui essayait de déchiffrer le tibétain, qu’elle étudiait, relevait que les caractères tibétains, partout, étaient écrits en petit, et le chinois en grand. Tout était dit, ou écrit… Peut-être dans quelques siècles, viendrait-on voir les Tibétains comme on venait visiter les indigènes du Chiapas, au Mexique, pour leurs tenues bigarrées, leur culture, leur artisanat, ici leur religion, philosophie ou psychologie. Elle espéra du fond du cœur être victime de ce que le bouddhisme appelait une perception erronée.

    Pourvu que…

    Demain, on filerait à Yangpachen, le monastère de leur « Lama ». Là où il ne pourrait jamais retourner. Lui, le nomade devenu lama. Son frère allait les recevoir, leur apporter de la viande de yak séché et du fromage de yak séché également. Un immense privilège aux allures de sacrifice pour ces familles qui n’avaient pas grand-chose. Hors de question de refuser ! Ou de jouer les délicates. Un de ces lieux où l’on se retrouvait dans les livres d’Alexandra David-Néel, où l’on tirait encore la langue en signe de salut respectueux, où l’on mangeait en faisant de grands bruits de bouche pour montrer sa satisfaction.

    [caption id="attachment_89272" align="alignleft" width="300"] Yangpachen[/caption]

    Là aussi où elle allait vivre sa plus grosse émotion personnelle durant ce voyage. Un séisme intérieur. Comme revenir chez soi après plusieurs vies d’absence. Et recevoir un enseignement de tantrisme de la part d’un grand maître. Des choses trop intimes pour être racontées, trop puissantes aussi.

    Alors, elle décida que désormais, elle retrouverait ses lecteurs en route vers le camp-base de l’Everest…

    Monastère de Séra - cliquez ici

    Diaporama 1 - Monastère de Séra

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    Diaporama 2 - Monastère de Séra

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    Diaporama 3 - Vers Yangpachen

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