Depuis 2014, la ville de Pau a développé de nombreuses actions en faveur de l’inclusion et de l’égalité de tous les citoyens. Parmi la centaine d’actions de sensibilisation et d’information qui ont lieu chaque année, on peut notamment citer la récente mis en place du plan Angela, impliquant de plus en plus de commerçants locaux dans la lutte contre le harcèlement de rue, le plan Anti Solitude, la formation des élus ou encore le dispositif Mars Attaque, qui sensibilise un large public à toutes formes de discrimination.
« Lutter contre les discriminations est un travail de chaque instant, de longue haleine et de fourmis, semé d’embuches. Même si en 2023, les risques ne sont pas écartés et que des personnes sont encore mises au ban de la société pour ce qu’elles sont, la donne a quand même bien changé », souligne Marie-Laure Mestelan, élue en charge de la Vie associative, de la Lutte contre les discrimination et de la Coordination des quartiers.
Le Plan de lutte contre les discriminations 2022-2026 associe de nombreux partenaires locaux (institutionnels et associatifs) sur cette problématique sociétale. C’est dans le cadre de ce plan que la Ville de Pau a demandé à Arnaud Alessandrin et Johanna Dagorn de mener une enquête scientifique et sociologique sur le vécu et le ressenti des discrimination à Pau.
Voici ce qu’il faut retenir…
La méthodologie – Ces deux sociologues chercheurs à l’université de Bordeaux (Laces) et fondateurs de l’Association de Recherche et d’Etude sur la Santé, la Ville et les Inégalités (Aresvi) ont principalement axé leur diagnostic sur les ressentis, les émotions et les conséquences des discriminations qu’ont pu rencontrer les palois et paloises, sans qu’un acte juridique soit demandé.
Entre juillet et décembre 2019, 1.023 personnes ont répondu à un questionnaire et ont passé des entretient qualitatifs poussés à travers cinq groupes de discussion sur le sexisme, le racisme, le handicap, la santé, l’apparence physique, les LGBTphobies, l’âgisme. Ces témoins, victimes et auteurs ont également réalisé des entretiens individuels pour faire le récit de leur vie.
Pour étoffer cette étude, Johanna Dagorn et Arnaud Alessandrin l’ont croisé avec l’analyse des données « froides », permettant ainsi de faire émerger des tendances.
L’espace public et le lieu de travail, des terrains privilégiés de discrimination - Les répondants ont identifié l’espace public et le travail (36 % exæquo !) comme des lieux de discriminations ressenties. Seulement 9% d’entre eux ont signalé les transports. 73 % des personnes interrogées ont été victimes de discrimination dans les douze mois précédant l’enquête.
D’autre part, 58 % des personnes interrogées indiquent éviter certains lieux du fait de la potentialité de la discrimination. Cette « attaque » prend la forme de regards insistants, d’injures et de harcèlement.
L’âge, un critère discrimination important à Pau – Si près de 44% des victimes pointent le critère du sexe et environ 28 % l’apparence et 27 % l’origine, les résultats de cette étude révèle un autre facteur important : celui de l’âge (13.36% de réponses). « La question de l’âge et de la précarité sont apparues comme jamais dans nos différentes enquêtes de victimisation. C’est vraiment une spécificité de Pau » analyse Arnaud Alessandrin.
De l’oppression et du mépris ressentis chez les victimes – Autre particularité de Pau, une explosion des sentiments de mépris (40,19%) et d’oppression auprès des personnes agressées. « Auparavant, face à un acte discriminant, les victimes ressentaient davantage un sentiment d’injustice, d’invisibilisation, d’inégalité. Aujourd’hui, on assiste à un affaiblissement de l’indifférence, de la honte et de la colère de la part des victimes », précise-t-il.
72 % des témoins ne réagissent pas - 25% des répondants ont déjà été témoin de discrimination (chiffre plutôt bas à Pau par rapport à d’autres villes). Lors de ces situations déclarées, 72% des témoins n’auraient pas réagi. Quant aux témoins qui agissent, seuls 7% le font de façon positive. La mise en place d’action de sensibilisation et d’actions pour inciter les personnes qui assistent à une discrimination à agir est alors un axe majeur à développer.
« Par sidération, par peur d’agir, parce qu’ils ne savent pas quoi faire, parce qu’ils ont une relation de dépendance vis-à-vis de l’agresseur… Les raisons de cette inaction sont nombreuses et propres à chacun. Il existe différents leviers sur lesquels il faut s’appuyer pour pouvoir mobiliser les témoins et leur donner des clés pour agir », expose le sociologue bordelais.
Une méfiance à l’égard des institutions et des lieux d’écoute perçus comme une menace - Les résultats de l’enquête menée par l’Aresvi met en lumière une situation préoccupante : Pas eu de réponses à leur sollicitation, des interaction condescendante, méprisante ou une absence de reconnaissance lorsqu’elles parlent de leur situation aux associations ou collectivités en charge de la lutte contre les discrimination.
Au final, 30% des victimes n’en parlent pas, et seulement 4% se rapproche des associations locales. « Pourtant les personnes qui ont une attitude de défiance envers ces organisations sont celles qui en ont le plus besoin. Il faut bien comprendre qu’il s’agit ici du rapport aux institutions qui est extrêmement compliqué, indépendamment des personnes qui les représentent », note Johanna Dagorn.
Malgré tout, Pau n’est pas mal lotie par rapport à d’autres villes. En moyenne, les répondants mettent en lumière que le climat urbain est favorable (qualité de vie, climat scolaire…). On note aussi qu’une dynamique s’est créée à la suite de cette enquête, puisqu’un quart des personnes interrogées ont souhaité être tenue au courant des résultats, et 243 individus ont fait des proposition concrète pour lutter contre les discriminations.
Noémie Besnard
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