Cette année, dans ses cahiers de vacances, PresseLib’ vous parlera de nouveaux auteurs et de nouvelles œuvres en lien avec les Pays de l’Adour. Mais pour commencer, on n’a pas résisté à l’envie de vous parler du « Pipe, chien » de Francis Jammes.
Paru au Mercure de France en 1933, ce court roman a pour la première fois été réédité en février 2016 par Le Festin, dans sa collection « L'éveilleur - Voyage ». L’éditeur bordelais décrit ce texte à la fois piquant, comique et touchant comme « la merveille drolatique d’un grand auteur méconnu », ce qui nous paraît parfaitement résumé.
Cette réédition, particulièrement soignée, est une porte d’entrée idéale dans l’univers du Jammes romancier. Elle est agrémentée d’une instructive préface et d’une petite anthologie canine signées Jacques Le Gall, ainsi que de nombreuses illustrations très bien choisies. La préface, plaisante, comporte un certain nombre d’hypothèses intéressantes sur les faits et personnages réels qui ont pu inspirer ceux de ce charmant petit roman, à l’exemple de l’ami Paul Claudel, en lequel Le Gall propose par exemple de voir le pitre Popol.
L’anthologie, quant à elle, rassemble les nombreux passages de l’œuvre poétique et des mémoires de Jammes dédiés à son animal de compagnie préféré. Flore, Marbot, Diane, Rip, Sultan, Bobby, Ozy : grand cynophile, l’auteur aura eu au moins autant de chiens que d’enfants. Des chiens qui font un peu la meute dans le célèbre « troupeau » du patriarche, et qui apparaissent très souvent dans ses œuvres et sa correspondance.
Pour Francis Jammes, qui l’a publié 5 ans avant sa mort, en un temps où il commençait à se sentir un peu oublié, Pipe, chien, davantage qu’une farce, était « le livre d’un philosophe qui serait ironiste, sage et poète ». Mais parlons-en.
La double fugue d’un chien de cirque…
Pipe est un chien de cirque, « prolétaire sans prétentions, bâtard à coup sûr », vivant sous le joug d’un dresseur tyrannique. Il prend la poudre d’escampette et nous le suivons dans ses pérégrinations. Nous le voyons fourrer son museau dans le panier de Perrette (bien entendu rempli de beurre, d’œufs et de fromage), au concert et à l’hôtel à Bayonne avec l’artiste-philosophe M. Xavier, au marché où il vole un rognon à Madame Rose, puis à Biarritz avec le richissime et très excentrique Sir Arthur Far-West Dublin, qui le fait intégrer un « Cercle du Renard » caricaturant largement celui d’Orthez. C’est sans doute là l’épisode le plus tordant et le plus réussi du roman.
On cite le Sir s’adressant à son camarade à poils : « Les hommes vous ont traité comme il convenait, mon cher ami. Dans huit jours, vous pourrez jouer au bridge avec Pamiers. En attendant, j’imposerai à la loi française que vous soyez un jour mon héritier. Pourquoi pas ? Qu’est-ce qui distingue un chien d’un homme pour une nation qui ne reconnaît point officiellement l’existence de l’âme ? »
L’affaire va même plus loin qu’un désopilant passage chez le notaire. Il s’agit ensuite d’obtenir pour Pipe… la légion d’honneur : « Sir Arthur posait que Pipe était passé maître ès science de tours, danses, mimiques expressives et que, pour ce qui était de son usage du monde, il en eût remontré à tous les professeurs de civilité puérile et honnête. On n’ose mettre en avant son intelligence, car beaucoup d’entre nous auraient à déchanter ».
La relation entre le « Crésus de Biarritz » et notre chien de cirque, devenu « M. Socius », vaut à elle seule le détour par ce petit roman. Jacques Le Gall nous rappelle d’ailleurs que l’épisode est probablement à rapprocher du double échec de Jammes à l’Académie française et de son sentiment d’un manque de reconnaissance. Bien d’autres éléments nous permettent par ailleurs de lier le sort de Jammes à celui de son cher Pipe.
On notera que ce chien, auquel Jammes fait adopter des comportements et des costumes humains, ne parle jamais. Cela reste bien un chien : il a faim, il est heureux, il remue la queue, etc. Il est d’abord « humain » par des attitudes simulées, parce qu’il devine ce qu’on attend de lui. Ce mode de personnification (un procédé évidemment propre à la littérature animalière), pas forcément le plus courant, fait très bien ressortir l’absurdité du monde qui entoure l’attachant Pipe. L’ironie et la « patte » du narrateur font le reste, avec ces acerbes coups de crocs qui semblent toujours miraculeusement débarrassés de tout fond de méchanceté.
Une perle dans la littérature animalière…
Plus loin, c’est pour Pipe le grand retour à case départ. Spolié à coups de pied de son bel héritage, le vagabond retrouve son cirque à Bayonne, qu’il fuit à nouveau pour se retrouver dans les jambes d’une pauvre aristocrate chrétienne, avec laquelle il finit par s’établir chez les Petites-Sœurs des Pauvres de Biarritz. On vous promet une jolie petite fin aussi émouvante et pudique que savait les produire Jammes, ce « grand auteur » plus tout à fait si méconnu.
Avant de conclure, petite devinette. Le Gall indique, dans sa préface de notre réédition de 2016, que le point de départ des péripéties du chien Pipe pourrait être Hasparren, où certes demeurait Jammes. Car en effet, l’un des premiers lieux cités par l’auteur sur le parcours du gentil cabot est le village de Labiry, aujourd’hui quartier d’Hasparren. Mais pour notre chien, il est quand même dit que Labiry est à « moitié route » de Bayonne. Alors, est-ce Francis Jammes qui a brouillé les pistes, où bien Pipe venait-il d’un peu plus loin dans le Pays basque intérieur ? Mystère et boule de gomme…
Pour continuer de filer la métaphore animalière et sortir un peu du cadre régional, des « Bons chiens » de Charles Baudelaire ou du « Croc-Blanc » de Jack London, on peut donner deux autres pistes de lecture peut-être un peu moins courues, mais avec également un bel usage de cet art de l’ironie.
La première serait le « Dingo » d’Octave Mirbeau, du nom du fameux chien sauvage d’Australie, ouvrage aussi cinglant que son auteur, et la seconde le « Je suis un chat » de Natsume Sōseki, un grand classique de la littérature japonaise dont le parti-pris est différent de celui de Pipe, avec son félin d’une grande finesse dont nous suivons les pensées. On s’éloigne certes des pays de l’Adour, mais le piment y est !
Et puis pour les amateurs du Jammes un peu plus contemplatif, on signale à nouveau la belle réédition des « Nuits qui me chantent » de l’Association Francis Jammes. Car après tout, puisqu’en ce moment, on parle beaucoup de circuits courts, c’est peut-être l’occasion de s’intéresser aux éditions et aux œuvres d’ici… Et d’aller faire un tour à la Maison Chrestia d’Orthez, où ces ouvrages (et bien d’autres, parfois rares) sont disponibles à la vente.
Informations sur le site de l’Association Francis Jammes – cliquez ici
Notre cahier de vacances de l’an dernier sur Monsieur le curé d’Ozeron – cliquez ici
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