Abonnez-vous
Publié le

VISIONSRetour au peuple et aux compétences : ça va secouer !

Suite de l’interview de l’économiste Charles Gave, réputé pour la pertinence de ses analyses. Il nous livre d’autres réflexions, toujours sans langue de bois…
LA DÉMOCRATIE EN QUESTION - 68% des Français estiment qu’elle ne fonctionne pas bien
Dans notre précédent article, « Le niveau de vie condamné à baisser ? », il présentait son approche de l’économie, et abordait la lourde problématique des dettes publiques. Il poursuit aujourd’hui en annonçant des changements majeurs…

Vous opposez la société d’obéissance et la société de compétences
Charles Gave -
 C'est une notion très forte. Elle est très vraie. Dans le fond, le système du marché libre est un système darwinien. Celui qui prend des mauvaises décisions disparaît. C'est triste, mais c'est ainsi. Dans le système étatique, on continuera à dépenser même si c'est une très mauvaise idée. Les exemples sont hélas multiples. Dans de nombreux pays, on a aujourd'hui des gens au pouvoir qui prennent leurs décisions sur des notions que l’on peut qualifier de « religieuses », comme au niveau de l’écologie. On nous force à être obéissants, mais cette société d’obéissance à des telles contradictions en elle-même que l’on devrait repasser progressivement dans une société où les compétents vont prendre le dessus. Je l’espère en tous cas. Je plaide pour un retour du désordre, du désordre créatif contre l’ordre stérile.
 
Un retour aussi vers la vertu individuelle ?
Ch. G. - 
Pourquoi avons-nous connu l'explosion de la domination de l'Europe ? Au 7e ou au 8e siècle, tout laissait à penser que l'empire romain d’Orient allait l’emporter sur l’Europe dans le long terme. Eh bien, pas du tout. En Europe, il y a eu l’émergence de nations différentes les unes des autres. Toutes chrétiennes, elles avaient la même civilisation mais des façons différentes de la vivre. Et ce qui s'est passé est extraordinaire : c'est de la diversité, de la multiplicité des solutions qu’est née la domination mondiale de l'Europe. Au 10e et au 11e siècle, de nombreuses solutions politiques ont été essayées : les villes-états (comme Venise, Sienne…), la ligue hanséatique (association de ports sur la Baltique et sur la Mer du Nord), l’empire romain germanique, la naissance des états-nations (avec la France et la Grande-Bretagne…). De ces expériences est né un progrès constant qui conduira à une véritable explosion à partir du 17e et du 18e siècle. Pour comprendre, il faut lire le livre de Samuel Huntington, « Le choc des civilisations » où il mettait en avant la différence essentielle entre la civilisation européenne et les autres : la suprématie de l'individu sur la tribu.

Une question de civilisation donc ?
Ch. G. – 
Parfaitement. Contrairement aux autres civilisations, en Europe, on ne cherchait pas la survie de la tribu, mais le salut de l'individu. La suprématie de l'individu est à la base du christianisme, puisque Dieu ne sait compter que jusqu’à 1, il veut avoir un rapport avec chacun personnellement, pas avec des intermédiaires. Thomas Becket ou Thomas Moore disent : je comprends que l'État est important. Mais ce que je pense moralement, pour mon salut, est plus important que ce que l'État a besoin de faire. Pour s’en sortir, l’important est que chaque individu devienne vertueux. On l'oublie, mais nos sociétés ont été chrétiennes jusqu'au 19e siècle et, quelque part, il y avait cette reconnaissance de la suprématie de l'individu sur le groupe. Ce qui ne signifie pas égoïsme. L'individualisme, c'est presque le contraire de l'égoïsme. Je cherche à être le meilleur possible et, si je suis le meilleur possible, je rendrai de meilleurs services à la société dans laquelle je suis. Inversement, scinder un pays en petits groupes, en communautés, le rend ingouvernable.

Il y a une fracture avec le peuple ?
Ch. G. –
 Pas seulement. Tout le monde s’en rend compte aujourd’hui, les politiques ne savent plus vraiment parler au peuple. Ils ont une espèce de langage codé, technocratique, auquel on ne comprend rien. Les « élites » qui nous gouvernent sont de plus en plus parisiennes et sont déconnectées de la France profonde, bien loin des peuples de nos provinces. Mais au-delà, c’est toute l'Europe qui est en train de perdre son magistère intellectuel qui était que si vous vouliez comprendre le monde, il fallait demander à l'Européen : on dominait la science, les arts, la littérature, la médecine… Ce n’est plus le cas, on le mesure dans les réunions internationales.
 
Une vision positive quand même ?
Ch. G. -
Oui, parce qu’en réalité, on est en train d'arriver à la fin d’une démocratie représentative figée. Aujourd'hui, avec les technologies numériques, on peut voter soi-même autant qu’il faut depuis son ordinateur ou son smartphone. Comme les Suisses l’ont développé, le référendum d'initiative populaire permet de rendre la parole au peuple. Le souverain, c'est le peuple. Il faut arrêter de penser que le peuple est idiot, alors qu’au contraire il a beaucoup de bon sens. Il faut redonner le pouvoir au peuple.
 
Le système peut-il s’effondrer ?
Ch. G. -
Avec la trappe à dette, c’est inévitable. Prenons le cas des Etats-Unis. Ils sont dans une situation budgétaire cataclysmique. Donc, à un moment ou un autre, ils vont devoir couper dans les dépenses. Il y a 3 gros postes : la sécurité sociale, la défense et le service de la dette. Le service de la dette maintenant c'est 1200 milliards, un chiffre absolument affolant. Ils ne peuvent pas le couper, ce serait faire faillite. La sécurité sociale, ils ne peuvent pas y toucher. Alors, ils vont couper dans la défense avec toutes les conséquences que cela entraîne, particulièrement en Europe.  On arrive à un nœud historique comme il en arrive souvent. Ce que je dis aux gens en rigolant (mais pas tellement d'ailleurs), c'est : tu t'endors en 1791 et tu te réveilles en 1830, tu ne comprends rien. Tout le monde a changé avec la Révolution française… Tu t'endors en 1891 et tu te réveilles en 1930, tu ne comprends rien.  La Russie et la monarchie austro-hongroise n’existent plus, il y a 2 ou 3 monnaies qui ont complètement disparu… Si tu t'es endormi en 1991 et que tu te réveilles en 2030, tu ne comprendras rien. Le monde a déjà changé de façon incroyable et c’est loin d’être fini. La durée de vie des institutions humaines est limitée. Après 70 ans, il faut s’attendre à des changements.

Vous parlez de la fin du social-clientélisme…
Ch. G. -
 On arrive à une impasse financière. Et la bonne nouvelle, c’est qu’elle sonnera la fin de cette façon d'acheter les voix des gens avec l'argent de leurs petits-enfants. Le social clientélisme, c'est du Madoff. Le Madoff fonctionne tant que tu peux faire rentrer plus d’argent que tu n’en sors. A partir du moment où il y a plus d'argent qui sort qu’il n’en rentre, tout le monde se rend compte que c'est du Madoff.
 
Nous allons vers une crise lourde ?
Ch. G. - 
En chinois, le même idéogramme signifie crise et opportunité. On va avoir une crise, mais ça va être aussi une opportunité extraordinaire. Les gars ça va secouer. Mais, si vous n'avez pas les deux pieds dans la même chaussure, si vous n'êtes pas fonctionnaire, si vous n’êtes pas rentier… ça va être intéressant. C'est une période passionnante, ça m'intéresse énormément de voir comment tout ça va se dénouer.
 
Vous prônez la liberté…
Ch. G. - 
Enfin, on va nous enlever cette chape de plomb qui nous étouffe depuis 40 ans. On ne peut plus bouger sans demander la permission. On sera peut-être moins prospère, mais on sera libres. Je ne sais pas comment. Mais, ce sera le grand retour des compétents contre les obéissants, du désordre créatif contre l’ordre stérile. La liberté c'est très difficile, très exigeant. Mais, on ne peut pas ne pas vivre libre.
 
Lire l’article précédent : Le niveau de vie condamné à baisser ?

Commentaires


Réagissez à cet article

Vous devez être connecté(e) pour poster un commentaire

À lire aussi