« À 20 ans, ma mère m’a demandé de m’occuper de la propriété forestière, alors que je souhaitais entrer dans la marine, une tradition familiale. Je ne connaissais strictement rien à la forêt, mais j’ai accepté. Elle m’a dit : pour gérer quelque chose il faut le connaître, alors tu vas débroussailler. Elle avait négocié avec les Américains un tracteur Massey Ferguson et m’avait acheté un débroussailleur. J’en ai bavé, mais depuis je connais tous les trous de la propriété » s’amuse André Bordes-Vidal.
C’est ainsi que le jeune homme découvre la forêt, « l’amour de sa vie ». Rien ne viendra plus le détourner de cette passion absolue qu’il servira inlassablement, tant dans ses bois autour de la maison familiale de Luxey que dans les organisations professionnelles, les entreprises et les institutions de cette filière à la fois puissante et fragile.
Ce qui fait la force de cette personnalité d’exception, c’est sa capacité à sentir chaque recoin de sa forêt, tout en se projetant sur l’avenir de l’ensemble du massif en véritable visionnaire. C’est ainsi qu’André Bordes-Vidal a joué un rôle majeur sur plusieurs dossiers stratégiques comme ceux liés à la lutte contre les incendies ou à l’assurance pour la forêt.
Son père, Jean Bordes, avait inventé un dispositif ingénieux permettant un forage de fortune dans la nappe phréatique pour pouvoir éteindre au plus vite les incendies ravageant les pinhadars. Son « estupa-huc » (éteindre le feu, en gascon) a été perfectionné depuis par les Services d’incendie et de secours, avec des pompes immergées. De son côté, André a oeuvré pendant un demi-siècle à la tête des sylviculteurs du Sud-Ouest et de l'association de Défense contre les incendies de la forêt (DFCI), pour mieux sécuriser la forêt, participant notamment à la création de milliers de kilomètres de pistes.
Naissance de l’impossible assurance…
L’une de ses grandes satisfactions a été la mise en place d’une assurance pour la forêt. « J’étais convaincu que l’avenir du massif landais passé par un dispositif d’assurance, mais personne ne croyait cela possible. Henri Verilhe président à Paris des Salins du Midi et de Djibouti, propulsé président du Syndicat des sylviculteurs, m’avait mis en relation avec des spécialistes, mais la réponse était toujours la même : on ne peut pas assurer une forêt ! Je me suis accroché et finalement, à force de persévérance, la Mutuelle Incendie des Sylviculteurs du Sud-Ouest (MISSO) a pu voir le jour en 1947 avec l’accord des Assurances Mutuelles Agricoles de la Gironde ».
« Fort heureusement, nous avions estimé indispensable une garantie de réassurance. Sans cela, la Misso serait mort-née, victime des grands incendies de 1949 » se félicite André Bordes-Vidal. « Les Mutuelles Agricoles, devenues Groupama, n’ont jamais abandonné la Misso. Si on a pu créer une assurance forestière pour la tempête, c'est encore grâce à la réassurance de Groupama. Le ministère des finances ayant donné son agrément à cette structure a permis aux services forestiers des Dépôts et Consignation d'assurer leur forêt ».
Dès le départ, le jeune André Bordes-Vidal a approché les principaux acteurs de la filière, et il a su très rapidement faire apprécier ses qualités personnelles. Il a ainsi assuré de nombreux mandats, commençant par un poste de conseiller d’Henri Verilhe, président du syndicat des sylviculteurs ; une organisation créée à l’initiative notamment du docteur De Groc et
de Paul Amiet à Saint Symphorien en liaison avec Marcel Tassion, inspecteur général des forêts chargé de l’Aquitaine.
À la tête des sylviculteurs du Sud-Ouest et de la DFCI, André Bordes-Vidal a également été administrateur des Papeteries de Gascogne, aux côtés de Philippe Blanc, et vice-président du Crédit agricole d'Aquitaine.
Fervent supporter de l’esprit Musicalarue, qui attire chaque année des milliers de festivaliers dans ce village de 650 âmes au cœur de la Haute-Lande, André Bordes-Vidal réside toujours dans la maison familiale face à l’église construite par son grand-père. Ce dernier avait aussi développé une usine pour transformer la résine. Le site est devenu depuis la Maison de l'Estupe Huc, donnée au Parc régional et transformée en un musée dédié à l’information et à la prévention des incendies dans la forêt des Landes.
Une grande foi dans la forêt landaise…
Malgré les aléas de la sylviculture, malgré les catastrophes, comme la tempête Klaus, fin janvier 2009, qui a ravagé 90% de ses pins maritimes, André Bordes-Vidal ne s’est jamais découragé, bien au contraire : il n’est pas entré en religion forestière pour rien.
Sa curiosité a toujours été à l’affût de tout ce qui pouvait permettre la préservation et le développement du plus grand massif forestier d’Europe : de l’évolution des plants à la robotisation de la forêt, en passant par la diversification et l’exploitation de la résine.
Depuis une dizaine d'années, André Bordes-Vidal s’est rapproché du Conseil départemental des Landes « pour la sauvegarde d'espaces naturels, via des échanges de forêts galeries aux chênes remarquables plus que centenaires contre des parcelles de pin maritime ».
Parallèlement, il a été mis en place une Obligation réelle environnementale (ORE) concernant des lagunes et des zones humides sur 7 hectares à Luxey et Callen, où ont été repérées des espèces protégées comme la Rainette ibérique ou le Fadet des laîches. Ce dispositif foncier a pour finalité la protection de l'environnement et de la biodiversité, via un contrat de long terme, librement consenti entre un propriétaire (qui reste propriétaire du bien) et un cocontractant comme une collectivité publique. Le Département doit assurer la gestion de ces espaces, et pourrait y prévoir des animations pédagogiques afin de sensibiliser le public à ces milieux naturels landais.
À 105 ans, André Bordes-Vidal reste plus que jamais l’immortel pape de la forêt landaise.
Au mariage de la princesse Elizabeth
En 1947, la vie d’André Bordes-Vidal a failli basculer. Mme Édouard Loubat, devenue propriétaire de château Petrus deux ans plus tôt, le considérait quasiment comme son fils. Cette femme d’affaires remarquable, qui a fait largement progresser la qualité et la renommée de ce vin prestigieux, n’avait pas d’enfants et était très proche de sa nièce, Lily Lacoste.
Mme Loubat était invitée au mariage de la princesse Elizabeth avec Philip Mountbatten, le 19 novembre 1947, au cours duquel le Petrus devait être dégusté. Elle propose alors au jeune homme (28 ans) de l’accompagner à Londres avec Lily. Une aventure londonienne extraordinaire et inoubliable.
Au retour, Mme Loubat propose la main de sa nièce à André Bordes-Vidal. Bien qu’amoureux de Lily, il refuse. « Elle aimait trop ses vignes et moi mes forêts ». Cela n’a pas empêché leur amitié de durer plus de 60 ans. « Au lieu de me marier, je suis entré en religion forestière ».
Réagissez à cet article
Vous devez être connecté(e) pour poster un commentaire