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IRICOTLe littoral landais passe à l’ère de la donnée utile

Le département des Landes est devenu le premier littoral français à enregistrer systématiquement les interventions des sauveteurs via un outil numérique.
Les chercheurs pourront prévenir les risques de noyade grâce aux données collectées
OCNA DR
Une avancée majeure pour la modélisation du risque de noyade portée par l’INRAE, le CNRS et les équipes d’IRICOT.
Les incidents sont répertoriés parles Maîtres-nageurs sauveteurs
S. Zambon Dept 40 DR

L’été 2025 aura laissé bien plus que des empreintes sur le sable landais : il aura laissé des traces dans les bases de données. Pour la première fois en France, 58 plages du département ont participé à une opération d’envergure mêlant sciences du littoral, technologie et prévention. Durant deux mois, les sauveteurs ont ajouté une nouvelle corde à leur arc : documenter chacune de leurs interventions via une application numérique, en parallèle du cahier papier. Un geste simple, mais un tournant majeur pour comprendre enfin, et de manière exhaustive, l’accidentologie liée à la baignade.

Cette mission s’inscrit dans le cadre d’IRICOT, l’un des volets du programme national Risques (IRiMa), qui vise à mieux comprendre les aléas littoraux et leurs impacts. Dans les Landes, où les baïnes constituent un danger permanent, l’expérimentation a trouvé un terrain idéal. Ici, les sauveteurs savent que les risques avancent parfois plus vite que les statistiques. Et que sans données complètes, impossible d’anticiper.

Un littoral devenu laboratoire

Les résultats parlent d’eux-mêmes : entre le 5 juillet et le 31 août, plus de 1 500 sauvetages et 3 170 interventions de secourisme ont été enregistrés. Un chiffre qui donne la mesure du travail accompli chaque jour sur le littoral. Mais surtout, un ensemble d’informations jusqu’ici manquant aux scientifiques.

« Les données existaient, mais n’étaient pas exploitables », résument les chercheurs impliqués dans le projet. Car si les sauveteurs consignent traditionnellement chaque intervention dans un cahier, ces documents ne peuvent être facilement analysés à grande échelle. Résultat : seules les interventions passées par le filtre du SAMU figuraient dans les statistiques nationales, donnant une image erronée du risque.

Toutes les données croisées contribueront à anticiper les incidents
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En numérisant la collecte, les Landes ont comblé ce vide. L’application utilisée, basée sur ODK Collect, un outil open source éprouvé dans la recherche scientifique, a été co-conçue avec les équipes de terrain. Un choix méthodologique choisi pour sa simplicité d’usage, la saisie hors connexion, l'ergonomie adaptée aux conditions d’un poste de secours, et uniquement les données essentielles pour ne pas surcharger les équipes. En effet, l’objectif est que l’outil devienne un réflexe, pas une contrainte.

Des données qui racontent enfin la réalité du risque

L’enjeu n’est pas seulement statistique. Il est stratégique. Pour bâtir un modèle prédictif fiable, les scientifiques doivent croiser deux piliers fondamentaux : les conditions océaniques et le comportement humain. Sans données fines, impossible de faire dialoguer ces variables. Impossible, aussi, de relier un épisode de vagues à un pic de sauvetages ou d’évaluer l’effet d’un drapeau rouge sur la fréquentation de l’eau.

Grâce aux données collectées, les premiers enseignements émergent. Les chercheurs peuvent désormais cartographier la temporalité du risque, identifier les plages les plus exposées en fonction de la météo, et comprendre l’intensité réelle des journées dites « sans accident grave ». Dans un modèle de prévention, ces détails changent tout.

S. Zambon Dept 40 DR

Ces données alimenteront les travaux de deux chercheurs moteurs du projet : Jeoffrey Dehez (INRAE), spécialiste des sciences des données appliquées au risque, et Bruno Castelle (CNRS), expert des dynamiques côtières. Ensemble, ils construisent un modèle hybride, mêlant variables physiques et comportementales, une approche encore rare à l’échelle internationale.

L’un des atouts majeurs de la démarche landaise tient à l’implication directe des sauveteurs. L’outil leur offre non seulement un moyen de contribuer à la recherche, mais aussi un retour concret. Chaque semaine, une synthèse de leurs interventions leur est transmise. Plusieurs responsables de postes utilisent même ces données pour rédiger leurs comptes rendus officiels.

Pour ces équipes, habituées à travailler au plus près du danger, la démarche n’est pas seulement scientifique. Elle permet une montée en compétence, une compréhension fine des conditions qui précèdent un sauvetage, et un argumentaire solide pour sensibiliser le public ou renforcer les moyens humains lors des pics d’affluence.

Le Syndicat Mixte de Gestion des Baignades Landaises (SMGBL) a joué un rôle déterminant dans cette mobilisation, facilitant la coordination des équipes et la standardisation des pratiques de collecte.

Les Landes pionnières d’un mouvement national

Cette expérimentation pionnière fait désormais école. Forte de son succès, la démarche est en cours de déploiement dans les Charentes-Maritimes et le Finistère, où 30 plages supplémentaires participent à la collecte numérique grâce au soutien des SDIS locaux. Dans les Landes, la collecte ne s’arrête désormais plus à la saison estivale. En effet, les patrouilles annuelles permettent dorénavant d’alimenter le modèle en continu.

Aujourd'hui, les retombées dépassent largement les frontières françaises. L’approche est particulièrement suivie en Australie, où la modélisation des risques de noyade fait l’objet d’importants efforts depuis plusieurs années. L’intégration des sciences sociales dans l’analyse du risque, un pilier d’IRICOT, y est considérée comme une innovation majeure.

À terme, les données collectées alimenteront un système capable de produire des prévisions en direct, en croisant interventions, météo, houle et fréquentation. Une ambition encore en développement, mais rendue possible par les fondations posées en 2025.

En somme, la trajectoire d’IRICOT est claire, à savoir de transformer des cahiers manuscrits en intelligence opérationnelle. Passer d’une culture du constat à une culture de l’anticipation. Et faire des Landes un territoire-pilote où la prévention s’appuie sur la donnée plutôt que sur l’intuition.

Sébastien Soumagnas

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Comprendre IRICOT en quelques lignes

IRICOT est l’un des projets ciblés du programme national Risques (IRiMa). Il a pour ambition de mieux comprendre les aléas littoraux comme les tempêtes, l'érosion, les submersions, les dynamiques des plages, et leurs interactions avec les usages humains. Le programme rassemble physiciens, géographes, historiens, économistes et spécialistes des données pour analyser les risques littoraux de manière globale.


Le projet travaille sur quatre grands axes, à savoir reconstituer les aléas passés, mieux mesurer les événements extrêmes, améliorer la prévision à moyen terme et éclairer les stratégies d’adaptation. Les zones pilotes vont de la Manche au Pays basque, avec une attention particulière portée au littoral de Nouvelle-Aquitaine. L’objectif est simple : produire des outils et des connaissances utiles aux décideurs pour préparer les territoires aux résultats des changements dans leur globalité.

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