Si hier, elle avait découvert l’émotion de son premier monastère, aujourd’hui elle l’éprouva en découvrant le stoupa blanc, son premier aussi, et quel premier ! On ne pouvait évoquer Wutaishan sans penser à son point de repère, ce stoupa blanc construit sous la dynastie Ming (1368-1644). Même si l’on bataille un peu sur sa date réelle de construction, qui est également évoquée en 1301. Il est abrité au sein du temple TaYuan. Et qu’est-ce qu’on fait autour du stoupa ? On circonvolue, c’est bien, vous suivez ! Mais pas seulement.
Ils jugèrent « auspicieux » (tout est auspicieux en bouddhisme ! Tu as eu un accident de voiture ? Parfait, tu t’es purifié ! Tu as loupé un examen ? Génial, tu auras appris le caractère illusoire de toute projection ! Ton mec t’a larguée ? Super, tu as pris conscience de l’impermanence de chaque relation !), donc ils jugèrent « auspicieux » de faire un feu d’offrandes tibétain, au pied du stoupa. Ici, fut le premier incident. Le feu n’était que symbolique, il se faisait dans un petit encensoir, et l’on y déposait quelques offrandes pour « nourrir » tous les types d’êtres sensibles. Un mantra des 100 syllabes récité, quelques rituels, rien de plus.
Suffisamment cependant, pour appeler l’attention d’un moine tibétain qui fut ravi, et s’approcha timidement pour écouter, non sans surprise, notre tibétologue qui parlait si parfaitement la langue de Guésar de Ling (héros tibétain). Si content qu’il ne tarda pas à dégainer des replis de sa tenue, des petites pilules faites d’herbes médicinales de l’Himalaya et de bénédictions longtemps psalmodiées, et à les distribuer à tous les membres du groupe. Le genre de cadeau, dont on mesurait l’intensité, quand on était bouddhiste. Mais il n’avait pas encore terminé sa tournée généreuse que trois autres moines, de tenue différente, et portant un brassard rouge vinrent l’admonester vertement (on a beau ne pas maitriser le chinois, on reconnaît assez facilement quand le propos n’est pas cordial !) et l’entraîner à l’écart. Puis ils s’énervèrent contre le groupe, et il fallut toute la douceur du guide Bruce pour les calmer.
On jugea plus prudent de s’évaporer dans la nature, et de couper court à tout rituel trop démonstratif. Un instant plus tard, on revit le pauvre moine tibétain, la tête baissée, déconfit, qui balayait la cour, et n’osa plus jeter un regard aux pèlerins occidentaux. Elle en déduisit que belle harmonie bouddhiste ou pas, même à Wutaishan, il ne fallait pas gratter longtemps l’écorce des apparences pour voir apparaître le bois de la discorde, politique ou religieuse.
Pourtant, quelques mètres plus loin, personne n’empêcha ce vieil homme tibétain, apparemment épuisé, qui vint faire ses prosternations devant chaque monument du temple. Il représentait à lui seul la foi chevillée au cœur, l’abandon de toute vie mondaine, le détachement absolu, la route vers l’Eveil… En elle-même, elle songea qu’elle était loin du but. Son pèlerinage se faisait avec un hébergement à l’hôtel Marriott, avec deux valises remplies (déjà !) de souvenirs de voyages, et des petits-déjeuners gargantuesques. Et la petite tension de ses mollets n’était due qu’à une vie trop sédentaire. D’où arrivait le vieillard face à elle, maigre à l’extrême, qui ne transportait qu’un petit baluchon d’affaires (certainement toute sa vie) ? Combien de kilomètres, se prosternant tous les trois pas, avait-il fait avant d’arriver ici ? Combien d’êtres chers et de conforts abandonnés ? Le vide de ses yeux était-il davantage une fatigue ou une claire conscience que tout cela n’est qu’illusion ? Qu’il faudra bien mourir, et tout abandonner…
Elle aurait aimé lui poser des questions, apprendre de lui, mais il n’était pas vraiment là. Comme une apparition d’un autre siècle, indifférent aux bruits et agitations autour de lui, il ne faisait que se prosterner, semblait puiser loin la force nécessaire pour se relever, inspirait lentement et continuait… De Wutaishan, elle savait qu’elle se souviendrait aussi de ce vieil homme. Un messager, un guide, une apparition, une évanescence…
Le lendemain, il fallut partir de bonne heure pour accéder à la fameuse terrasse de Wutaishan. Ou le Pic Yedou à 3.058 mètres. Une vraie préparation au Tibet. D’ailleurs, les premières nausées furent là. L’occasion pour le groupe de manifester entraide et compassion pour celles et ceux qui avaient l’estomac au bord des lèvres. Les virages de montagne, la poussière du chemin n’aidaient pas.
L’autre préparation au Tibet, ce furent les « toilettes publiques » au sommet. Comme leur dit leur maître « Vous allez voir qu’au fur-à-mesure du voyage, les toilettes vont se faire de plus en plus… créatives » Il ne croyait pas si bien dire. Des latrines, sales au possible, qui n’étaient qu’un doux préambule à ce qui allait suivre au Tibet. Mais un vrai détail au regard de l’intensité du lieu, du panorama majestueux et du temple qui les attendait, là-haut. On y rencontra un maître tibétain de Dzogchen (Littéralement « la grande perfection », un des niveaux les plus élevés du bouddhisme tibétain) qui bavarda avec leur maître, et accepta même, enthousiaste, une photo avec tout le groupe. C’était une très belle rencontre. La plupart des membres du groupe fondirent en larmes. Ce type de rencontre, avec des maîtres aussi authentiques, avait quelque chose de bouleversant. Hors du temps encore.
A fleur d’émotion. Au cœur. On ignorait encore ce que réserverait le Tibet, quelle intensité d’émotion il allait libérer. Mais déjà ici, on songeait qu’on avait atteint le sommet. À « peine » à 3.000 mètres. Décidément, Wutaishan n’en finissait pas de les gâter.
https://youtu.be/MfMC3aELJIg
https://youtu.be/GzxMwFWE0TE
Diaporama 1
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Diaporama 2
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