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    Les dits du vendredi

    Les arbres de Labatmale et la forêt de Thomas Vinau… regard de Christian Laborde
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    1 - Ayant échappé aux nuages de poussière de la voie rapide et aux morsures des semi-remorques, j’entre dans Coarraze. L’église, la place Henri IV où je fais halte, pressé de sortir, du sac de guidon, le ravitaillement.

    La place Henri IV est pavée, donc vivante. Vivants les platanes qui la bordent, la croix sur son socle en pierre, la pompe en fonte avec son balancier pareil à une queue de vache. Mon regard se porte, non sur la croix, mais sur la pompe. Si la croix permet d’étancher des soifs mystérieuses, seule la pompe remplit les bidons. Le Lagoin coule le long de la place.

    Mégot au bec, sans un regard pour mes roues en carbone Corima, un pêcheur surveille le bouchon de sa ligne. Certes, je ne suis pas Christopher Froome. Le serais-je qu’il ne regarderait pas mon vélo pour autant. L’écrivain Jacques Perret, qui suivit le Tour de France en 1958, avait remarqué qu’au sein de la population française seuls les pêcheurs à la ligne affichaient pendant trois semaines une indifférence totale à la magie du Tour de France : « Tout au long du Tour, je n’ai vu qu’une personne qui, le dos tourné à la route, n’a pas fait volte-face pour regarder la course : c’était un pêcheur à la ligne. Je suppose que pour lui il n’ y eut même pas de débat. Quand on a sous les yeux le mystère serein du bouchon rouge au bord du nénuphar, on ne quitte pas ce bonheur ineffable pour voir passer sur la route des jeunes gens à vélo ».

    Ayant englouti une banane et m’étant débarrassé de l’imper jaune aussi fin qu’une peau, je remonte sur mon vélo, et roule vers Saint-Vincent, vers la côte dont la route traverse la forêt communale de Labatmale. Un panneau routier, rectangulaire, de couleur bleue, attire mon attention. Il n’indique pas la vitesse qu’il convient d’adopter, non plus la nature de la pente qui commence à l’endroit où il est planté.

    Sur ce panneau routier, on lit seulement, écrit en blanc : « Déhanchement ». C’est étrange. Qui donc peut bien venir se déhancher ici, et pourquoi ? La commune de Coarraze abriterait-elle la secte des Grands Déhanchés de l’Esprit ? Ou bien, jadis, les pèlerins les plus précieux de Saint-Jacques de Compostelle montaient-ils en se déhanchant la côte de Saint-Vincent ?

    Je n’ai pas la réponse, et, étant déjà dans la côte, je n’en aurai jamais : je me concentre en effet sur ma pédalée. Dans la forêt communale de Labatmale, des tas de billes, couchées au pied d’arbres qui filent téter le pis du ciel. On peut lire, sur leurs troncs, inscrit dans des carrés blancs ceint d’une bordure rouge, un numéro. Les arbres, ici, ont des dossards. On est bien sur la route du Tour. Je relance aussitôt.

    * * *

    2 - J’ouvre le quatrième roman de Thomas Vinau, « Le camp des autres », paru aux Editions Alma : « Le givre fait gueuler la lumière ». C’est la première phrase, et c’est gagné. Le tapis verbal se déroulera, nous le foulerons, le cœur battant, Vinau est bel et bien un écrivain costaud.

    «  Le camp des autres » est le roman d’une fuite, celle d’un môme flanqué de son chien. La forêt est leur refuge, et c’est elle qui, avec la complicité de Thomas Vinau, devient le héros de ce roman. Un héros que Vinau connaît sur le bout des doigts et des mots. Il y a belle lurette que je n’avais ouvert un livre dont l’auteur, se penchant sur la nature, mette en avant sa richesse, sa beauté, fasse entendre sa respiration orageuse, les battements imperceptibles des cœurs minuscules qui palpitent dans les fougères et la boue.

    Il faut être à la fois un poète – la langue -, un romancier – la construction-, un garde-forestier- la connaissance intime du sujet – pour offrir des pages si goûteuses et si denses. Voici, extrait de ce roman qui nous met également en présence de personnages charpentés et inoubliables, quelques mots sur la forêt : « Mais la forêt n’a jamais perdu ses propres règles, son propre règne, son ventre de nuit sauvage. Elle est restée le souffle archaïque de nos cycles, l’haleine musquée de nos origines, la reine ombragée du vivant, la ruade. Nous nous sommes tenus à l’écart pour inventer nos propres nuits, nos propres lois de bêtes orphelines, nos merveilles, nos désastres, nos propres dieux et nos propres monstres, sans jamais cesser de la craindre avec vénération. Elle est alors devenue le refuge de ceux qui se refusaient à l’homme et de tous ceux que l’homme refusait. Elle est l’autre camp. Le camp des autres. » C’est beau, c’est haut, c’est Vinau.

    Christian Laborde

    www.christianlaborde.com

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