Pétrole, gaz de schiste, détritus, plastiques, béton, disparition des espèces, réchauffement climatique : la nature morfle.
Demandez leur avis aux forêts, aux girafes, aux éléphants, aux platanes, aux vaches gestantes égorgées dans les abattoirs ! Tous vous le diront : notre cruauté à leur endroit est sans limite. Et cette cruauté trouve sa source dans le mépris que nous avons pour eux.
Mépris, c’est bien le mot. Du voisin qui n’a rien dans le cigare, ne dit-on pas qu’il est con comme la lune ? Conne, la lune, mais quand, mais où ? Chaque nuit, elle se lève pour napper de sa lumière lactée les toits, les forêts, les avenues, les abribus, les enjoliveurs des voitures. Quelle abnégation, quelle générosité ! Elle donne à toutes les gares abandonnées l’onirique lumière qui inonde les toiles de Paul Delvaux. Et nous, nous marchons tête baissée, ignorant le miracle, les yeux rivés à l’écran de nos portables sur lequel s’affichent des lunes factices. Notre ingratitude n’a d’égale que notre goujaterie. Et la lune qui ne manque pas de classe, a la délicatesse de les ignorer. Elle continue son boulot divin comme si de rien n’était, comme si nos yeux étaient posés sur elle, sur ses courbes envoûtantes de femme jaune.
La nature, nous l’avons toujours méprisée, et nous continuons de le faire. Ne disons-nous pas de la langue déshydratée dont usent les experts et les politiques qu’elle est une langue de bois ? Une langue de bois, vraiment ? Si leur langue était de bois, ils auraient de la sève à la place de la salive. Et leurs mots, verts comme des feuilles, gorgés de la liqueur acide des mousses seraient compris des rossignols. Langue de bois, langue de bois : si leur conversation était celle des fougères, s’ils parlaient comme les arbres, bref, s’ils avaient vraiment de la branche, les étoiles tendraient l’oreille.
La lune, les arbres, et l’âne, cher à Francis Jammes, en prend lui aussi pour son grade. Tout imbécile serait un âne. Et l’instituteur qui tant fut craint, était le premier à l’affirmer. Bête, l’âne vraiment ? Regardez-le marcher, regardez-le choisir son chemin, s’avancer avec prudence sur une pente accidentée. Pas folle, la guêpe. L’âne réfléchit avant de poser quelque part son sabot, de glisser entre deux pierres ses pattes frêles comme des jonquilles. L’âne serait bête et, qui plus est, têtu. Qu’on lui mette un colis ou un passager sur le dos, et le voilà qui, ignorant le bâton, refuse obstinément d’avancer. A cet instant, il n’est point têtu, comme l’affirment les dresseurs, mais ailleurs, très exactement au cœur du monde, loin de la navrante agitation humaine. A cet instant, il écoute le vent. Le vent qui, collant sa bouche à ses oreilles débordantes de duvet, lui donne des nouvelles de l’herbe, des acacias, des vers de terre, de la rosée. Des news dont l’homme au bâton, les décideurs, les huissiers et les avocats d’affaires n’ont que faire.
Christian Laborde
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