Vous noterez que chez Bernard Lubat, à Uzeste, rue Faza, le mot art est du genre féminin. A Toulouse, le mort art est masculin. Mais, toujours à Toulouse, employé au pluriel, il passe illico-swingo au féminin – las arts -, et désigne alors « l’ensemble des instruments de pêche ». Bref, on pêche à Toulouse pendant qu’à Uzeste Bernard Lubat fait bouger les lignes.
Pour rejoindre Uzeste au départ de Pau, j’ai pris l’A65. Nous étions au plus chaud du mois d’août, c’était le « chassé-croisé » des congés comme on dit à la télé, et pourtant, sur l’A65, comme d’hab, pas un chat : trois voitures, deux camions, un bus Macron. L’A65 est l’autoroute la moins fréquenté de France, et je conseille aux vacanciers quittant Paris pour la côte d’Azur de passer par l’A65 : ils seront peinards pendant plus de 200 bornes…
Je suis sorti à Bazas. Pau-Bazas : 19,6 euros. Ma bouche souffle « députt’ ! », forme courte de hilh de puta, juron gascon jamais trash, souvent subtil. 19,6 euros : autoroute la moins fréquentée de France, l’A65 est aussi et la plus chère de France. Ceci n’expliquerait-il pas cela ?
A Uzeste, il y a une collégiale et deux panneaux routiers. Le premier indique la direction de l’Estaminet, le second dit : Les Pyrénées 210 km. Bref, entre L’Estaminet et les Pyrénées, il n’ y a rien, excepté les Landes, c’est-à-dire l’œuvre immense de Bernard Manciet. Au journaliste qui lui demandait : - pourquoi écrivez en gascon ?, le poète de Trensacq avait répondu : - « Ma mère aurait parlé la pluie, j’aurais parlé la pluie. La poésie de Manciet, c’est la pluie, une pluie de mots, des orages de sons.
L’Estaminet se trouve au 18 de la rue Faza. Faza, c’est d’abord le verbe faire conjugué à l’imparfait uzestois : je faisais, tu faisais, il faza. Et l’on fait de tout à Uzeste. C’est le grand chaudron de la cuisine mentale du cochon. Faza, c’est également un nom, la forme elle aussi uzestoise du français phrase. Des phrases, il y en a partout, à Uzeste, sur tous les murs, notamment sur ceux de l’Estaminet où l’on peut lire ces mots d’Edouard Glissant : « Rien n’est vrai tout est vivant ». Edouard Glissant.
L’Estaminet. C’est là, dans cette maison fondée en 1937 par Marie et Alban Lubat, parents de Bernard Lubat que tout a commencé : la fête, l’accordéon, le bal, le cinéma, le théâtre, les réunions syndicales, la parole vivante, le questionnement, la radoterie capitale, le rêve. L’Estaminet, c’est le cœur palpitant de l’Occitanie du désir, celle de Michel Portal, d’André Minvielle, de Felix Castan, des deux Bernard – Manciet et Lubat, une Occitanie sans chemise et sans cloisons, bref, une Occitanie portugaise, je veux dire, une Occitanie qui lit Miguel Torga : « L’universel, c’est le local moins les murs ».
Lubat qui aime les mots autant que les notes, m’invite à dire les miens sur la scène de l’Estaminet plein comme un œuf. J’entre. Ma gueule, la leur. C’est parti pour trois quart d’heure de tchatcherie. Je n’ai ni livre, ni notes, ni cahier, juste mes pieds, mes genoux, mes mains, ma bouche, ma luette, ma langue et ses E qui ne sont pas muets. J’envoie du bois. Parler, c’est jouer. Les mots dits deviennent des notes. Lubat le sait. Le public de l’Estaminet aussi. Je quitte la scène, André Minvielle s’en empare. L’Estaminet ne s’arrête jamais.
Christian Laborde
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