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Les racines du futur poussent dans les Landes

Clémentiniers sous serre, patates douces dans le sable, gingembre bio et circuits courts... Dans les Landes, les Fermes Larrère innovent pour faire germer les récoltes de demain
Les Fermes Larrère cultivent beaucoup de légumes, dont les patates douces
Fermes Larrère DR
Expérimentations sous serre, adaptation au climat, transition écologique : leur terre d’avenir se cultive aujourd’hui
Patrick Larrère, un des dirigeants des Fermes
Fermes Larrère DR

À Liposthey, au cœur des Landes de Gascogne, les Fermes Larrère ont toujours eu un coup d’avance. Depuis 1981, cette entreprise familiale creuse son sillon dans le maraîchage de plein champ. La carotte, leur produit emblématique, a longtemps été leur carte maîtresse. Mais les temps changent, et les climats aussi. Alors la famille Larrère, forte de ses 12 exploitations, 200 permanents et 160 saisonniers, a décidé de faire rimer tradition avec innovation. Leur crédo : nourrir les hommes tout en respectant la terre, quitte à bousculer les habitudes et semer là où l’on n’avait jamais songé à récolter.

« C’est dans notre ADN ! On a toujours été persuadés qu’on pouvait faire pousser plein de choses dans les Landes », affirme Patrick Larrère, l’un des dirigeants. Et pour cause : là où d’autres voyaient une terre acide façonnée par les pins, eux ont vu un terrain d’expérimentation grandeur nature. Le sol, il suffit de l’écouter, de l’amender, de le nourrir. Et parfois, il surprend. Le gingembre, par exemple. Oui, du gingembre… made in Landes.

Le verger du futur se plante dans les Landes

Dans une serre photovoltaïque de trois hectares, les agrumes poussent en terrain… presque connu. Citronniers, orangers, clémentiniers se plaisent sous les 30 °C printaniers d’une serre où les bourdons pollinisent en liberté et où les coccinelles sont sur le pied de guerre pour lutter naturellement contre les ravageurs.

Ce n’est pas un décor de carte postale, mais bien un laboratoire agricole. Les essais ont commencé il y a trois ans, accompagnés par Thierry Dupouy, pépiniériste spécialisé dans les agrumes également installé dans les Landes. L’objectif est clair : comprendre quelles variétés résisteront à un climat en mutation. Car ce que la serre simule aujourd’hui, c’est l’extérieur de demain. Patrick Larrère explique que, sous cette serre, ils observent déjà les températures que l’on connaîtra à l’air libre d’ici une vingtaine d’années. Autrement dit, planter aujourd’hui, c’est préparer les récoltes des générations futures.

Mais l’expérimentation ne se fait pas sans prudence : les gelées tardives rappellent que le Sud-Ouest n’est pas encore tout à fait le nouveau verger méditerranéen. Alors on teste, on observe, on apprend. Et on espère que d’ici quelques décennies, les Landes feront figure de verger européen.

La patate douce met les pieds dans le sable

Si l’idée de la patate douce a germé en 2010, elle n’a vraiment pris racine que quatre ans plus tôt. Aujourd’hui, sur une soixantaine d’hectares, la variété orange à chair sucrée s’épanouit dans le sable landais. Une culture capricieuse, exigeante en chaleur et en eau, mais promesse d’avenir. Car en dessous de 13 °C, la plante ne donne rien. En revanche, plus il fait chaud, plus elle se régale.

Récolte de la patate douce
Fermes Larrère DR

Patrick Larrère indique que c’est à la fois le changement climatique et l’appétence croissante des Anglo-Saxons pour cette culture qui les ont poussés à s’y intéresser. Et dans les Landes, l’eau ne manque pas, grâce à une nappe phréatique de surface généreuse.

Mais la douceur de la patate ne s’étend pas à sa rentabilité : plantation semi-manuelle, récolte à la main, coûts élevés. Résultat : elle coûte deux fois et demi plus cher que sa concurrente venue d’Égypte ou du Sénégal. Pourtant, des enseignes de grande distribution s’engagent, misant sur le local, le goût, la traçabilité et les qualités nutritionnelles du tubercule français.

Encore faut-il écouler toutes les tailles : les plus grosses séduisent les restaurateurs, les plus petites garnissent les barquettes pour le grand public. Rien ne se perd, tout se valorise, à l’image de l’agriculture de demain.

Gingembre landais : du piquant qui pousse sous serre

À Labouheyre, c’est une serre photovoltaïque sous-exploitée qui a offert une idée inattendue : cultiver du gingembre. Peu lumineux, le bâtiment ne convenait pas à tout... mais le gingembre, lui, s’y plaît. Trois ans plus tard, ce rhizome exotique récolté à la main séduit brasseries, restaurateurs, commerces de proximité et même jurys gastronomiques.

Production bio, sans chauffage artificiel, sans intrants chimiques, engrais organiques : tout est fait dans le respect de la terre et du produit. « Les plans viennent du Pérou. Nous avons été très vigilants à ce sujet pour que ce soit des plans éthiques. Nous ne voulions pas du gingembre de Chine, et encore mois du Brésil où il est issu de la déforestation », précise Patrick Larrère. En bouche, la différence est saisissante : frais, aromatique, délicat, le gingembre landais a même décroché la note de 4,7/5 lors du concours des Gourmets de France. Une petite production — moins de 10 tonnes par an — mais qui marque un vrai tournant dans l’agriculture française.

Fermes Larrère DR

Le climat change, les champs aussi

Ce que les Fermes Larrère cultivent, au fond, c’est une vision. Celle d’une agriculture résiliente, capable de se réinventer sans se renier. Une agriculture où les saisons se décalent, où l’on plante aujourd’hui ce qui ne pouvait germer hier. Une agriculture qui, malgré les incertitudes, prend les devants au lieu de subir.

Dans le Lot-et-Garonne, on récolte désormais olives et amandes. En Béarn, les orangers s’installent peu à peu. Et dans les Landes, on rêve de devenir le verger de l’Europe. Un rêve enraciné dans l’observation, l’expérimentation et une philosophie forte : « La terre nous donne beaucoup, et nous entendons lui rendre ce qui lui est dû. »

Pour les Larrère, l’enjeu dépasse le rendement. C’est une question de responsabilité. « Nous pensons l’agriculture comme un moteur essentiel de la transition écologique, nous croyons en sa viabilité dans le changement, à son déploiement dans le champ social, environnemental et sociétal. »

Pas de solution unique, pas de recette magique. Mais une conviction chevillée au corps : celle que la terre, même bousculée, peut continuer de nourrir les hommes, à condition de la respecter et de l’écouter. C’est cette voix que les Larrère s’efforcent de suivre. Même si, comme le dit Patrick Larrère avec un sourire, « certaines tentatives échouent plus souvent qu’elles ne réussissent ».

Qu’importe. Là où certains voient une impasse, eux voient un champ d’opportunités. Et demain pourrait bien leur donner raison.

Sébastien Soumagnas

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