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    Je dis ça, je dis rien...

    Comment savoir que tu viens du trou du cul du monde...

    Oloron, Pau, Biarritz, Dax, Tarbes : des capitales. D'ailleurs, c'était la sortie consacrée. Une fois par mois dans le meilleur des cas, histoire de se rendre dans un "supermarché" digne de ce nom. Et de faire le plein. D'essence et de victuailles. De quoi je parle ? De tous ceux qui ont grandi à la campagne, et que l'on reconnaît à deux trois indices lourds (j'ai pas dit "lourdingues").

    Génétiquement marqués au fer de la croissance à la campagne, nous sommes. À tout jamais. Tremble, citadin, tremble...

    Par exemple, la phrase "merde, j'ai oublié le pain..." ne prend une connotation dramatique que lorsqu'on habite à Trifouillis-les-Oies (j'ai décidé de ne pas nommer certains lieux-dits, pardon bourgs, pardon villages basques ou béarnais, pour pas me prendre des baffes, on chouchoute le lectorat ici... voui...). Considérer que le "verglas est ton ami" est aussi une indication majestueuse de ta provenance. Oui, car qui dit verglas, dit pas de ramassage scolaire, pas de bus, pas d'école, vacancesssssssssssssssssssssssss... Les citadins, eux, ne connaissent pas ce bonheur... Les citadins, des gens capables de devenir hystéros parce qu'une coccinelle se pose sur leur main, signe indubitable que l'urbanisation est allée trop loin. Toi, ça te fait marrer...

    Avant de passer ton permis de conduire, tu as vachement marché. Mais alors vraiment "vachement". Résultat, quand tu l'as eu, le papier rose (à 18 ans et un jour. Parce que le jour de tes 18 ans tombait un dimanche !), t'as plus marché du tout, considérant que t'avais assez emmagasiné de kilomètres pour toute ta vie.

    On sait aussi que tu as grandi à la campagne à d'autres légers détails. Tu dis "cambrouze" et pas "cambrousse", parce que tu le sais bien qu'il y a plus de "bouses" que de "brousse" là où tu vis. Et d'ailleurs, fortiche, tu peux nommer toutes les familles à des kilomètres à la ronde de ton bled natal. Alors que t'es pas foutu de retenir les sept principales de Game of Thrones.

    Autre signe qui ne trompe pas, tu as eu une mobylette, et tu lui avais ajouté un pot Bidalot (ou un Ninja, selon les écoles). Tu es contre les éoliennes. D'ailleurs, tu es contre plein de trucs, parce que le vrai rebelle grandit à la campagne, eh ouais. Tu ne piges toujours pas le concept de "pelouse interdite". Pourquoi, pourquoi mettre une pelouse si on peut pas marcher dessus ? Pieds nus de préférence, dans la rosée du matin qui chatouille les petons ?

    Ton adresse, c'était juste un nom, sans numéro, sans rue, genre "La butte", ou "Le val du puits", mais suivi d'un code postal bien velu. Avantage énorme, tu peux t'endormir malgré l'aboiement d'un chien, ou les chants intempestifs d'un coq en plein décalage horaire, malgré le passage d'une moissonneuse-batteuse, mais en revanche, rien à faire, les bruits de circulation et les bars, et les voisins qui s'engueulent, ça te strreeeeessseeeeee...

    Tu as attendu la majorité pour goûter ton premier hamburger, ton premier kebab, tes premiers sushis. Pour toi, un vrai commerçant, ça reste pas le cul vissé derrière un comptoir, non, ça passe dans la rue en klaxonnant. Et selon le klaxon, tu sais si c'est la boulangère, le boucher ou l'épicier. Et tu lui dis bonjour, ainsi qu'à tous les gens que tu croises. Le jour où tu arrives à la capitale et que tu entres dans le métro en lançant un collégial "bonjour", on sait d'où tu viens ! D'ailleurs, on te reconnaît aussi au fait que tu sois le seul à héler le chauffeur du métro pour qu'il s'arrête là où tu veux descendre...

    Tu n'as jamais glandé à la sortie du collège ou du lycée, parce que fallait se grouiller pour attraper le bus scolaire. Du coup, tu économisais ton argent de poche. Que tu as très vite dépensé ensuite au bar du village, chez Momone, à coup de Monaco ! Il a fallu attendre ta majorité au moins pour qu'on t'appelle par ton prénom. Jusque-là, tu étais le fils ou la fille de... Si t'étais enfant de commerçant (ceux qui klaxonnent, oui !), c'était pire... Ah mais voilà la fille de la crémière et le fils du boucher...

    Tu sais survivre sans eau et électricité pendant 10 jours. La tempête de 1999 ou l'ouragan de 1987, c'est comme si c'était hier. Elles sont où les bougies, mémé ?

    Ton QG, c'était l'abri-bus, l'endroit où tu retrouvais les copains et les copines (la plupart étaient des cousins au second degré) du gang. Tu avais ta propre balançoire, et personne venait te la piquer, puisque tout le monde avait la sienne. Tu avais une cabane. Dans les arbres ou pas. Mais une putain de super cabane ! Et même que t'as rien à envier à Sitting Bull, parce qu'avant ton cinquième anniversaire, t'avais déjà fait ton arc et tes flèches (ok, tu savais aussi tirer à la carabine avant d'avoir ton Brevet des Collèges, que tu sois fille ou garçon, mais ça, faut pas le dire...) Pour te baigner, t'allais à la rivière ou au gave. La piscine, c'était un truc de ville. En plus, ça pue le chlore !

    Tu as conduit le tracteur avant ta majorité. La voiture aussi d'ailleurs. Tu sais parfaitement différencier l'odeur du fumier, du purin ou du lisier. Les Inuits ont 50 mots pour dire neige. A la campagne, on en a plein pour les odeurs de merde animale ! Et toc ! Tu sais ce que c'est que de te faire courser par un fermier en colère. T'as retenu son nom. Dans trente ans, tu te souviendras encore qu'untel manquait singulièrement d'humour, et tu transmettras l'info comme un héritage hautement important aux générations futures. S'il était comme ça, ses gamins doivent l'être aussi.

    Tu pouvais jouer sur la route sans aucun risque. Pourtant, c'est un peu con avec tous ces champs qu'il y a autour. Mais comme tu te blessais souvent sur les clôtures électriques ou les barbelés, t'étais devenu méfiant. Tu pouvais laisser la maison et la bagnole ouverte, et en riant, tu disais "moi parti, y a plus de voleurs, de toute façon..."

    Ton école faisait aussi office de Mairie, de bureau de vote, de Poste, de dépôt de pain, de presque tout en fait. Le cinéma ? C'était une fois par mois à la salle des fêtes. Mais tu préférais le loto, et les crêpes. Surtout celle de madame Michaux, mais si, celle qui a les chiens méchants, derrière chez tonton Albert, ok ? Tu prends à droite, juste avant le bois... P'tain, sont bonnes ses crêpes à elle... Pas comme celle de madame Irimachinchose, elle doit les faire au plâtre, pas possible. Mais siiii, madame Irimachinchose, c'est celle qui habite derrière le vieux qui pue et qui...

    Alors, et toi, t'as grandi où, hein, avoue ???

    Enfin bon, moi je dis ça, je dis rien...

    Gracianne Hastoy

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