C’est une première pierre posée avec conviction dans les locaux de la CCI de Bayonne. Le 8 juillet dernier, autour d’une même table, éleveurs, transformateurs, distributeurs, restaurateurs et acteurs du médico-social ont fait cause commune pour bâtir une filière innovante et éthique : celle de la valorisation de la poule pondeuse au Pays Basque. Son nom ? Oiloberria, contraction évocatrice de « oiloa » (la poule en basque) et « berria » (nouveau). Une poule nouvelle, donc, ou plutôt une vision renouvelée de sa place dans notre alimentation et nos circuits de production.
Une stratégie territoriale
Chaque année, ce sont près de 100 000 poules pondeuses issues de plus de 30 exploitations basques qui, après une vie de service en batterie, sont expédiées vers le nord-ouest de la France, pour être abattues puis vendues au-delà des frontières européennes. Une fin de parcours peu glorieuse pour ces volailles souvent perçues comme peu valorisables. Or, cette fuite des plumes représente non seulement un manque à gagner local, mais surtout une aberration écologique et économique à l’heure où le circuit court et la sobriété alimentaire sont devenus de véritables priorités.
C’est là que le projet Oiloberria entre en scène, porté par la CCI Bayonne Pays Basque, en collaboration étroite avec la Chambre d’Agriculture des Pyrénées-Atlantiques et le cluster agroalimentaire Uztartu, avec le soutien de la Région Nouvelle-Aquitaine et du programme européen ORHI+. Un projet ambitieux et coopératif, pensé pour faire sortir de l’ombre une matière première jusqu’ici sous-valorisée.
Ce projet n’est pas né d’un coup de baguette magique ni d’un effet de mode. Il résulte d’un long travail d’analyse des pratiques en vigueur, allant du fonctionnement des élevages à l’étude des débouchés commerciaux, en passant par l’identification des gisements locaux disponibles. Et les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon la Chambre d’Agriculture 64, plus de 100 000 volailles ont été recensées, dont une part significative pourrait, dès aujourd’hui, entrer dans la démarche.
Derrière ce potentiel, il y a une conviction partagée : le modèle alimentaire de demain se construit sur des pratiques sobres, circulaires et territorialisées. « Ce projet représente une opportunité unique de dynamiser une nouvelle filière sur le territoire et de répondre aux besoins croissants du marché », explique Pierre-Michel Etcheverry, responsable du service Entreprises à la CCI Bayonne Pays Basque. « Nous sommes impatients de lancer la collaboration entre tous les acteurs impliqués pour assurer le succès de cette initiative. »
Des nuggets dans les cantines
Si les enjeux sont nombreux, les débouchés ne manquent pas. Les tests produits menés à la Plateforme Technologique Amikuze Agroalimentaire ont déjà permis d’imaginer de nouvelles recettes à base de poule pondeuse transformée, comme des nuggets ou des boulettes. Une manière concrète d’inscrire cette viande dans les circuits de restauration collective locale, notamment les cantines scolaires.
Et ça fonctionne : les premiers retours sensoriels et organoleptiques recueillis par Uztartu ont confirmé la viabilité gustative du produit. Bien cuisinée, bien transformée, la poule pondeuse révèle toute sa richesse, loin des clichés. Elle peut même devenir un produit signature de la gastronomie locale, entre terroir, astuce et éthique.
La réunion du 8 juillet a été l’occasion d’un véritable déclic collectif. Loin d’être un simple tour de table, elle a permis un échange franc entre les maillons de la chaîne : producteurs, transformateurs, distributeurs, restaurateurs, tous ont pu exprimer leurs attentes, leurs contraintes et leur enthousiasme. Car Oiloberria, ce n’est pas un projet imposé d’en haut, mais une construction progressive, collégiale, adaptée aux réalités de chacun.
Chaque intervenant a mis sa plume à la pâte : la Chambre d’Agriculture pour brosser le portrait des exploitations volontaires, Uztartu pour faire remonter les données terrain, la CCI pour articuler les besoins en transformation et commercialisation. Un dialogue qui a permis d’identifier les verrous techniques et réglementaires à lever pour passer à l’étape suivante. Le tout dans une ambiance constructive, avec en ligne de mire la naissance d’une filière pérenne, respectueuse du vivant et ancrée dans le territoire.
Un œuf à couver ensemble
Ce projet s’inscrit dans un mouvement global vers la sobriété, la durabilité et la circularité des systèmes alimentaires. « Pour accompagner les entreprises face au défi climatique, nous cherchons à développer les pratiques de l’économie circulaire. Il s’agit de diminuer l’impact de nos activités en favorisant notamment les synergies entre entreprises et à limiter le gaspillage de ressources alimentaires ou énergétiques », rappelle André Garreta, président de la CCI Bayonne Pays Basque.
Dans un contexte où chaque geste compte, revaloriser la poule pondeuse devient un acte politique et écologique. Cela signifie moins de transport, plus de local, moins de déchets, plus d’emploi, moins de standardisation, plus de goût. Une équation gagnante-gagnante, où l’alimentation redevient un fait de société, et où le consommateur retrouve du sens dans son assiette.
Comme toute bonne couvée, le projet Oiloberria a besoin de chaleur, d’engagement et de patience. Mais les bases sont là : des partenaires mobilisés, des produits testés, des éleveurs volontaires, des perspectives de marché. Il reste désormais à transformer l’essai, à consolider les circuits, à formaliser les collaborations. Et à faire sortir la poule pondeuse de son anonymat, pour en faire une ambassadrice discrète mais résolument engagée d’un nouveau modèle agroalimentaire.
Sébastien Soumagnas
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