Tiens, à propos de balancer son savoir, je te lance un défi, ami lecteur : cite-moi un autre roman dû à la plume de Théophile, rien qu’un ! Top chrono !
Parce que, en dépit de son indéniable notoriété, notre Théo, qui a accouché de huit romans, d’une trentaine de contes z’é nouvelles, de quelques recueils de poésie et de cinq ballets du répertoire romantique, n’est l’auteur d’aucun chef d’œuvre ayant passé les siècles. D’aucun best seller, comme on ne disait pas à l’époque. Pourtant, le scandaleux Mademoiselle de Maupin mérite un joli sort, tout comme Militona, relu il y a peu et qui m’a donné l’idée de sortir mon Théo du trou. C’est qu’en ce temps-là, on savait trousser un livre sans chichis, sans excès à la Virginie Despentes. Notre Théo, mon Théo, c’est de la belle littérature, à la Dumas, à la Hugo, à la Balzac, à la Ponson du Térail, qui sent la chevauchée, les amours folles, le fantastique, l’exotisme. Le beau. Les mots sont choisis, la forme enrobée, « Sculpte, lime, cisèle », conseille-t-il dans son poème L’Art. On essaye, on essaye.
« Aimer, c’est admirer avec le cœur »
Théo – je familiarise, tout comme Hugo est mon Totor depuis ma puberté boutonneuse – a eu plusieurs vies. On commence par l’amoureuse, qui le fait tomber raide dingue d’une ballerine, Carlotta Grisi, à propos de qui il écrit : « On dirait une feuille de rose que la brise promène. » Expression appétissante mais ambigüe, pour le moins. Cette délicatesse ne l’empêche pas de succomber aux charmes de la sœur aînée de Carlotta, Ernesta Grisi, à qui il fait deux marmottes (féminin de marmots, pour paraître inclusif). Après tout, ça reste dans la famille tuyau de poêle. On pardonnera tout à celui qui a écrit : « Aimer, c’est admirer avec le cœur ; admirer, c’est aimer avec la raison. » Les lecteurs de Voici apprendront que l’une de ses rejetonnes, la remarquable Judith Gautier, deviendra Mme Catule Mendès, puis divorcée, le dernier amour de Richard Wagner et l’objet d’une passion passagère de Totor. On a du tempérament, dans la famille !
Haschich et opium
On poursuit avec le bizarre, comme suggéré dans Les tontons flingueurs. Avec son initiative de rejoindre le Club des Hashischins, qui entend s’intéresser au haschich et à l’opium, déjà en vogue au mitan des années 1800, en particulier dans les milieux scientifiques et littéraires. Naturellement, votre Théo (en ce cas, il n’est plus le mien) plonge dedans, en se délectant de dawamesk, sorte de confiture orientale bien chargée en résine de cannabis. Il est en bonne compagnie, puisque Verlaine et Rimbaud s’y adonnent à cœur joie, et que Baudelaire consacre un opuscule à la substance, avec Les paradis artificiels, tout comme Nerval et son Voyage en Orient. Tu vois, Joey Star, t’es pas tout seul, frère.
S’il avait dû choisir entre la gloire immédiate et la postérité, pas sûr que mon Théo aurait saisi la première suggestion. Car de son temps, il a été admiré, adulé, encensé, porté aux nues. Trop sans doute. Ainsi, Baudelaire lui dédie Les fleurs du mal et se veut son disciple, tout comme Théodore de Banville. Tous lui rendent allégeance, Taine, Sainte-Beuve, Mérimée, les Goncourt, ce qui lui vaut de présider la Société nationale des beaux-Arts et quelques inimitiés des crânes chauves de la bienséance, puisque par quatre fois, de 1856 à 1869, sa candidature à l’Académie française est refusée. On est moins exigeant de nos jours, mais on ne caftera pas…
Et puisque je vous avais promis des anecdotes, autant finir par celle-ci, pas vraiment folichonne. Quasiment ruiné, notre Théo, devenu cardiaque, en est réduit à accepter pour vivre une aide financière du gouvernement et à vivre un temps aux crochets de Totor, à Guernesey. Son décès, en 1872 à l’âge de 61 ans lui vaut un « enterrement pompeux » selon cette langue de vipère d’Edmond de Goncourt. Si un Tarbais ou un admirateur désire lui rendre un hommage mérité, qu’il sache qu’il est inhumé au cimetière de Montmartre, sous un monument surmonté d’une Calliope, la muse de la poésie, placé dans un recoin, toujours à l’ombre. Décidément…
Dominique Padovani
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