Il est des rendez-vous qu'on ne manque pas. Des dates qu’on attend, qu’on entoure d’un trait rouge sur le calendrier, ou plutôt ici, bleu et blanc. À Hendaye, depuis près d’un siècle, la Fête Basque est de ceux-là. L’histoire débute un dimanche de fin d’août 1930, sur l’initiative de Léon Lannepouquet, alors maire de la commune, et de son Comité des Fêtes. Le nom inaugural en dit long sur l’ambiance : Grande Kermesse Basque. Objectif assumé : amuser tout en ancrant, sur la scène publique, les coutumes du Pays Basque comme autant d’arguments vivants pour séduire les visiteurs.
Ambiance intergénérationnelle
Depuis 2004, la kermesse s’est dotée d’un petit frère ambitieux : Hiri Besta, la fête au cœur de la ville. On a gardé les fondations : la convivialité, les chants, les danses, les repas partagés. Et on y a ajouté une belle dose de collectif associatif. Aujourd’hui, une dizaine d’associations prennent les rênes, se partagent la rue et donnent le la d’un week-end où tout Hendaye se transforme en un théâtre à ciel ouvert.
Ici, pas de dress code imposé, mais une évidence : le blanc et le bleu dominent, comme les vagues d’une fête océanique. Les foulards flottent comme des drapeaux de paix joyeuse. Les espadrilles ou abarkas claquent le pavé. Les chamarras des hommes et les boleros des femmes réveillent les archives textiles. Chaque habit devient un hommage aux aïeux, une manière de danser dans leurs pas tout en imprimant les siens.
Dès le vendredi 8 août, les premiers accords de bandas résonnent entre les Halles de Gaztelu et la place de la République. On ouvre les festivités comme on débouche une bouteille de cidre, dans un jaillissement collectif. À 14h30, les aînés sont à l’honneur avec un goûter musical. Puis les coureurs populaires prennent la relève dans les rues, pendant que les premières odeurs de sardines grillées, de lomos et de fromage basque chatouillent les narines.
Lorsque la mairie s’illumine, que les premières notes d’Andoni Oilokiegi puis de DJ Bull réchauffent la nuit, Hendaye ne dort plus. Elle danse, elle trinque, elle chante. Elle devient la capitale de la joie bien tempérée.
Samedi : le rire des enfants
Le samedi matin, les cris d’enfants remplacent les cuivres. La « Place aux enfants » ouvre un royaume d’émerveillement : maquillage, calèches, marionnettes basques et structures gonflables redonnent à la tradition des airs de récréation. Les plus petits reçoivent leur premier foulard de fête comme on reçoit une étoile filante entre les mains.
L’après-midi, entre pelote basque et régate en baie de Txingudi, l’émotion se mêle au mouvement. Les pas de danse du Mutxiko entraînent toutes les générations dans une ronde où les âges se confondent. Et lorsque la sardine crépite à Caneta, c’est tout un peuple qui se rassemble pour une communion culinaire.
Dimanche : cavalcade en majesté
Et puis vient le dimanche. La journée où Hendaye se fait théâtre vivant. Dès 9h, le marché artisanal habille les Halles d’arômes et de couleurs. La messe en musique à Saint-Vincent, le rebot en hommage à Pierre Loti, les petits couples en habits d’époque : tout invite à ralentir pour mieux ressentir.
À 16h30, la cavalcade s’élance depuis la gare. C’est un défilé où le cœur bat plus fort. M. le Maire et le curé en calèche ouvrent la marche, comme un clin d’œil au passé. Douze chars, chacun représentant une scène de la vie basque, la vendange, la ferme, la cidrerie, traversent la ville au son des txarangas et des groupes de danse. Les spectateurs applaudissent, chantent, prennent des photos, rient, se saluent. Hendaye ne fait plus la fête : elle est la fête.
Chaque char, fruit d’un travail associatif minutieux, est une fresque en mouvement. Ils racontent une mémoire collective en musique. Quand passe la kupela, le tonneau emblématique, c’est la promesse d’un dernier toast à la tradition, d’un dernier clin d’œil avant le grand final.
Les enfants courent derrière les groupes de danse, imitent les gestes. Les anciens, en tenues d’apparat, les regardent avec un sourire tendre. Le savoir n’est pas enseigné ici, il est vécu, transmis à chaque pas, à chaque refrain.
La dernière nuit en apothéose
Au stade Ondarraitz, la fête ne s’achève pas, elle se transforme. Neuf stands offrent le meilleur du terroir basque : chipirons, lomo, burgers, axoa, fromages de brebis et douceurs sucrées s’invitent à table. On mange debout, assis, sur un genou ou au rythme d’une chanson.
La danse reprend à 20h, comme pour garder la cadence. Puis vient le concert de Kilimak, puis le feu d’artifice. La maison Caballer, venue de Valence, peint le ciel comme une toile en hommage à la fête. Une constellation de couleurs au-dessus de l’océan, au-dessus des souvenirs déjà en train de naître.
À 23h20, le groupe ADN monte sur scène. Les derniers résistants de la nuit dansent encore. Les couples valsent, les enfants dorment dans les bras, les adolescents filment, les grands-parents sourient. Hendaye vibre dans une harmonie douce-amère : celle de la fin des beaux moments.
Mais chacun le sait : ce n’est pas une fin. C’est un point de suspension. Une promesse tenue chaque année. Celle d’un rendez-vous où la tradition ne se conserve pas sous cloche, mais explose en lumière, en musique, en sueur joyeuse.
Sébastien Soumagnas
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