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ICI ON PRODUIT LA VIE Arsène, l’espadrille retrouve ses pas à Mauléon

En Soule, la marque d’espadrilles Arsène prouve que produire ici, c’est faire vivre un patrimoine, une économie et un territoire tout entier.
L'équipe d'Arsène, Nicolas Ferreira de Sousa et ses 3 collaboratrices
Arsène DR
Cette entreprise artisanale s’inscrit pleinement dans le mouvement inédit que PresseLib’ Pays Basque initie : « ICI, on produit la vie », pour mettre en avant chaque mercredi les femmes et les hommes qui produisent ICI et qui produisent ainsi de la vie ICI.
Nicolas veut redonner du souffle à tout un écosystème
Arsène DR

À Mauléon-Licharre, dans le cœur battant de la Soule, une vieille histoire de corde et de jute reprend vie. Celle de l’espadrille, symbole d’un savoir-faire basque qui fit jadis travailler des milliers de mains. Et c’est un jeune artisan, Nicolas Ferreira de Sousa, qui s’est donné pour mission de recoudre ce pan de patrimoine local. « Produire local, c’est préserver un savoir-faire vivant », affirme-t-il, avec la conviction tranquille de ceux qui préfèrent le fil à la parole.

L’homme n’est pas un nouveau venu dans l’univers de la chaussure. Ancien cordonnier, il s’est d’abord fait connaître grâce à La Loka, une sandale modulable et naturelle, primée d’une médaille d’argent au Concours Lépine 2021. Mais s’il a choisi aujourd’hui de chausser le nom Arsène, c’est pour renouer avec la terre qui a vu naître l’espadrille : Mauléon. « L’espadrille, c’est le Pays basque dans ce qu’il a de plus authentique : une production à taille humaine, un geste transmis, une fierté locale », confie-t-il.

Retisser la toile d’un territoire


Lorsqu’il reprend la marque Arsène en 2022, créée une décennie plus tôt par Audrey Haspérue et Charlotte Saunier, Nicolas Ferreira ne cherche pas seulement à relancer un nom. Il veut redonner du souffle à tout un écosystème. « Pour moi, c’était essentiel que la production reste ici, sur le bassin de Mauléon. C’est une question de sens, mais aussi d’efficacité : tout est à portée de main, les savoir-faire, les fournisseurs, les talents », explique-t-il.

Son projet ne se limite pas à fabriquer des espadrilles : il a ouvert en juillet dernier son propre atelier-boutique à Libarrenx, qu'il a inauguré le 24 octobre. « On ne sera pas concurrents, mais complémentaires », précise-t-il à propos de sa collaboration avec Stéphan Goyhenetchegaray, de l’entreprise Zétoiles, avec qui il partage le label Mauléon.

La sandale La Loka se garde, se répare, se transmet
Arsène DR

Car ce label, fruit d’une initiative municipale et communautaire, garantit que la fabrication est intégralement locale, du tressage de la semelle à l’assemblage. « C’est une marque de confiance pour les consommateurs et un outil de structuration pour tout le territoire », insiste Nicolas Ferreira.

Aujourd’hui, quatre personnes font déjà vivre l’atelier : Nicolas et trois salariés venus de villages voisins, à savoir Idaux-Mendy et Garindein. « Ces gens travaillaient auparavant du côté d’Oloron, explique-t-il. Aujourd’hui, ils sont revenus plus près de chez eux. Pour moi, c’est ça, produire la vie : recréer de l’emploi ici, chez nous. »

Le modèle est simple, presque cousu main : des circuits courts, des partenaires de proximité, et une production raisonnée. L’atelier collabore avec ATS64 pour les textiles et s’appuie sur Zétoiles pour l’approvisionnement en semelles estampillées Mauléon. Mais au-delà de la production, c’est tout un tissu économique et social qui se retisse. « Quand on fabrique ici, on fait aussi travailler les imprimeurs, les traiteurs, les commerçants. On redonne du souffle à un écosystème complet. »

Raccrocher le fil du passé

L’espadrille, autrefois fierté nationale, a vu son étoffe s’effilocher au fil des décennies. « À une époque, il y avait plus de 3 000 emplois liés à sa fabrication à Mauléon », rappelle Nicolas. Aujourd’hui, ils ne sont plus qu’une poignée d’artisans à perpétuer ce geste ancestral.

Face à cette lente érosion, il veut rétablir la production sur son territoire. « Je rachète des machines à des fabricants espagnols qui délocalisent au Maroc. Moi, je fais le chemin inverse : je rapatrie les outils ici », explique-t-il. L’atelier devient ainsi un lieu de résistance tranquille à la mondialisation, où chaque paire cousue est une victoire symbolique. « Si on ne réindustrialise pas localement, on perdra plus qu’un métier : on perdra notre identité. »

Nicolas a voulu rétablir la production sur son territoire
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Produire localement, c’est aussi reprendre la main sur les rythmes. « Avant, je sous-traitais. J’avais des stocks d’invendus, des tailles qui ne partaient pas. Aujourd’hui, je fabrique à la commande. Rien ne part en surproduction. » Une manière, selon lui, de remettre le bon pied à l’économie : celle du bon sens.

L’atelier d’Arsène fonctionne comme une ruche : chaque geste est précis, chaque étape maîtrisée. « Le fil, la colle, les toiles… tout vient de France ou d’Espagne. Le seul matériau qu’on ne peut pas encore produire ici, c’est le jute, qu’on doit importer du Bangladesh. Et ça, je l’ai encore en travers... », sourit-il.

Des défis cousus de fil blanc

Le succès de La Loka avait déjà prouvé sa capacité d’innovation : sandales adaptables, cuir végétal de Armendarits, liège de Soustons, caoutchouc naturel de Mauléon… un véritable manifeste du circuit court. Avec Arsène, il applique la même philosophie : « produire moins, mais mieux ».

Chaque paire est pensée comme une pièce d’artisanat durable, réparable, et non jetable. « Une sandale à 145 euros, c’est un investissement, mais elle se garde, se répare, se transmet », explique-t-il. Un contre-pied assumé face à la fast fashion.

Nicolas a pour but d'être autonome, de produire de A à Z ses produits
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Pourtant, le chemin n’est pas sans embûches. « Le principal défi, c’est la main-d’œuvre, confie-t-il. On a besoin de former, mais les aides sont rares ou trop complexes à obtenir. » L’artisan plaide pour une simplification administrative et un soutien concret à l’embauche : « Si on allégeait les charges les deux premières années, on pourrait embaucher plus facilement. »

Il appelle aussi à mutualiser les services : communication, numérique, accompagnement. « Les artisans n’ont pas le temps de monter des dossiers. Ils travaillent. S’ils pouvaient cotiser pour des services communs, ce serait bénéfique pour tout le monde. »

Garder le cap et le pied ferme

Malgré les obstacles, Nicolas Ferreira ne perd pas le nord. Son regard reste tourné vers l’avenir. « Ce n’est jamais la bonne période pour se lancer, mais il faut y aller. L’intelligence artificielle ne remplacera jamais les métiers manuels », affirme-t-il. Son message aux jeunes ? « Visez l’autonomie, choisissez bien vos outils, travaillez en coopération. Et gardez un budget pour la communication : c’est vital. »

À travers Arsène, Mauléon retrouve son pas, et la Soule, sa respiration. L’espadrille, objet simple et populaire, devient ici symbole d’un mouvement plus vaste : celui de la relocalisation, du respect du geste, du travail bien fait. « Produire ici, conclut Nicolas, c’est produire la vie. C’est faire battre le cœur du territoire à chaque point de couture. »


Sébastien Soumagnas

Arsène DR

Un défi majeur à relever ensemble…

Plus nombreux qu’on ne le pense, ceux qui produisent au Pays Basque montrent la voie. On pense souvent à quelques fleurons industriels, à des grands groupes, mais une multitude de femmes et d’hommes font partie de l’aventure production, avec des structures de toutes tailles. Les petits ruisseaux font les grandes rivières.

Tous méritent d’être encouragés.
 
A travers cette rubrique « ICI, on produit la vie », PresseLib’ veut animer une communauté, en favorisant des solidarités, en encourageant la partage d’expériences, en incitant aux transmissions, en faisant bouger les lignes, en faisant émerger des solutions nouvelles… Bref, en créant une dynamique inédite.

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