Lorsque cinq amis décident, au début des années 80, de lancer Alki, le Pays Basque connaît une crise économique marquée par l’exode de sa jeunesse. « Lancer une coopérative de production ici, dans une région peu industrialisée, c’était une ferme volonté de vivre et travailler au pays et de créer des emplois qualifiés hors du circuit touristique déjà en plein essor », explique Eñaut Jolimon de Haraneder, le dirigeant.
Le choix d’Itxassou n’a rien d’anecdotique. « C’est un lieu situé entre la côte et l’intérieur du Pays Basque nord, comme un trait d’union », poursuit-il. L’ancrage est clair : vivre et travailler au pays, bâtir l’avenir depuis cette terre, plutôt que de la quitter. l’idée est simple et audacieuse : créer des emplois qualifiés, hors du tout-tourisme, et contribuer à diversifier une économie déjà menacée par la monoculture des services.
Aujourd’hui, l’enjeu reste tout aussi pressant. « La 'touristification' est plus forte que jamais et il est vital de diversifier l’économie. Produire ici, c’est préserver des savoir-faire et maintenir des postes qualifiés. C’est aussi un choix écologique associé à du bon sens : réduire les transports, collaborer avec des partenaires proches, notamment en Hegoalde, et limiter ainsi notre empreinte carbone. »
Une coopérative qui change tout
Chez Alki, la forme juridique n’est pas un détail. « La coopérative change tout. Ici, chaque personne est associée, avec une voix égale dans les décisions stratégiques et structurantes. »
Pas de hiérarchie figée ni de capital concentré : les grandes orientations sont discutées en assemblée générale, et les bénéfices sont partagés équitablement entre les membres, tout en étant largement réinvestis.
« Cela donne une autre manière de travailler, une autre forme d’implication : chacun se sent responsable de son travail et du projet collectif. On ne produit pas pour un patron, mais pour soi et au service d’un projet commun. »
Cette culture coopérative, héritée de la tradition basque de solidarité, irrigue toute l’organisation. Elle structure la relation avec les salariés, mais aussi avec les partenaires, les designers et les artisans locaux.
« Dès le départ, nous n’avons jamais voulu être une simple fabrique de mobilier. » Le choix du bois plutôt que du métal, raconte le PDG, tenait déjà d’une logique sociale : avec un investissement moindre par poste de travail, il permettait d’embaucher plus de personnes.
Aujourd’hui, Alki continue de revendiquer cette responsabilité élargie. « Notre rôle est aussi social : offrir des emplois stables et locaux. Il est également culturel : nous soutenons la langue basque ainsi que des initiatives artistiques et associatives. » L’entreprise assume ainsi pleinement son ancrage : produire au Pays basque, pour le Pays basque, tout en gardant un rayonnement international.
Des métiers qualifiés et transmis
Menuisiers, tapissiers, opérateurs sur machines numériques, monteurs, logisticiens, bureau d’études… « Nous faisons vivre des métiers précieux, que nous transmettons en interne et que nous valorisons au quotidien. »
La transmission est un pilier. Elle se fait par la pratique, mais aussi par des collaborations locales fortes : « Nous travaillons avec des artisans de proximité pour des savoir-faire complémentaires, comme la poterie Goicoechea pour la collection Lur. » Cette exigence a valu à Alki d’obtenir le label Entreprise du Patrimoine Vivant, reconnaissance nationale d’un savoir-faire rare et transmis.
Souvent perçue comme une marque de design international, Alki revendique pourtant son ancrage local comme tremplin. « Nos racines locales ne nous enferment pas, elles nous permettent au contraire de nous projeter autant vers l’international que vers l’avenir. »
Le PDG cite des innovations marquantes : la première chaise en bioplastique au monde (2015), l’intégration de terre cuite locale, ou encore l’utilisation de PET recyclé. « Associer notre matériau de prédilection, le chêne, avec le bioplastique, le PET recyclé ou encore la laine n’est ni un effet de mode ni un choix purement esthétique : ce sont des réponses concrètes aux enjeux écologiques et aux ressources disponibles. »
Un atelier « zéro énergie » comme vitrine
L’inauguration récente de leur atelier « zéro énergie » illustre cette ambition. « Cet atelier, dont les conditions de travail ont été au cœur de la réflexion, est conçu pour fonctionner sans chauffage ni climatisation, en optimisant la lumière et l’isolation. »
L’investissement, ambitieux, prouve qu’« une production industrielle peut être respectueuse de son environnement. »
Mais l’outil va plus loin : showroom, boutique, espace de médiation… « Ce n’est pas qu’un outil de production : le lieu est aussi une vitrine vivante de notre coopérative et de ce que nous fabriquons ici. »
80 % des fournisseurs d’Alki se situent dans un rayon de 100 km, y compris en Hegoalde. L’entreprise travaille avec Alki Tapicería, la Poterie Goicoechea ou encore des ferronniers locaux. Ce maillage renforce les filières productives et limite l’empreinte carbone. « C’est aussi une manière de préserver les savoir-faire du territoire et de contribuer à la vitalité économique. »
La production, un acte politique
Le PDG d’Alki ne le cache pas : produire au Pays basque est un choix courageux, presque militant. « Mettre en valeur ces initiatives, c’est inviter consommateurs, institutions et grand public à prendre conscience et à regarder ce qui se fait avec plus de fierté et de confiance. »
Mais il pointe aussi les défis : manque de formation adaptée, difficulté à attirer les jeunes vers les métiers productifs, accès limité au foncier. « Des politiques foncières et économiques doivent faciliter l’installation et le développement des entreprises productives. » Le soutien des collectivités est salué, mais « il est possible d’aller plus loin encore », notamment dans les achats publics, où la priorité au local devrait être renforcée.
Aux institutions, Eñaut Jolimon de Haraneder adresse une demande : « Donner plus de place à la production dans les politiques appliquées, accompagner et renforcer les filières de formations pour qu’elles soient au plus près des réalités des entreprises, et soutenir les investissements en facilitant l’accès au foncier ou vers l’innovation. »
Aux entreprises, un mot d’ordre : coopérer. « Travaillons ensemble, entre artisans, designers, industriels, pour créer des filières de production solides et assurer la pérennité des entités. »
Ici, on produit l’avenir
À Itxassou, chaque meuble sortant des ateliers d’Alki raconte cette histoire : celle d’une production enracinée et ouverte, artisanale et industrielle, locale et internationale. « Nous avons voulu aller plus loin : créer un outil moderne et durable qui nous permette d’augmenter nos capacités, d’améliorer nos conditions de travail et, à terme, de doubler le nombre de coopérateurs. »
Alki prouve qu’au Pays basque, produire n’est pas seulement fabriquer des biens : c’est bâtir un projet de société, où économie, culture et environnement se conjuguent au service d’un territoire.
Sébastien Soumagnas
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À lire, les premiers articles de cette rubrique
Un rendez-vous hebdomadaire inédit pour défendre les métiers de production
Artzainak à Mauléon : les bergers d’une production indépendante
La Ferme Elizaldia : au cœur de Gamarthe, l’agro-pépite se bâtit de génération en génération
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L’IzarFamily invente une dimension humaine pour les télécoms et le numérique
Quand la maroquinerie fait vivre un atelier, un village, un pays
Un défi majeur à relever ensemble…
Plus nombreux qu’on ne le pense, ceux qui produisent au Pays Basque montrent la voie. On pense souvent à quelques fleurons industriels, à des grands groupes, mais une multitude de femmes et d’hommes font partie de l’aventure production, avec des structures de toutes tailles. Les petits ruisseaux font les grandes rivières.
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