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ICI, ON PRODUIT LA VIETannerie Carriat : le cuir solide et la créativité éclatante

L’entreprise familiale est l’une des rares survivantes de ce secteur de production sur le bassin Adour-Gascogne et en France. Rencontre avec Marie Carriat-Hiriart qui emploie 72 personnes à Espelette.
ICI, ON PRODUIT LA VIE - Tannerie Carriat : le cuir solide et la créativité éclatante
Cette industrie artisanale illustre parfaitement l’enjeu de la rubrique inédite lancée par PresseLib’ Pays Basque : « ICI, on produit la vie », qui met en avant chaque mercredi les femmes et les hommes qui produisent ICI et qui produisent ainsi de la vie ICI.

La dynamique cheffe d’entreprise représente la 3e génération de cette célèbre tannerie, créée par son grand-père Rémy Carriat, en 1927, puis développée par son père, Jacques. Chaque génération a su prendre les virages nécessaires en anticipant les bouleversements des marchés liés au cuir. En 2019, la labellisation « Entreprise du Patrimoine Vivant » est venue consacrer officiellement un savoir-faire unique dans la sélection et le traitement des peaux de bovins.

C’est ainsi que cette maison familiale presque centenaire s’est imposée comme une pépite de ce territoire qu’elle contribue à irriguer économiquement et socialement et à faire rayonner à travers les 72 familles de ses collaborateurs, avec sa réputation internationale et, bien entendu, grâce aux nombreuses taxes, impôts et cotisations qu’elle verse.

Marie Carriat-Hiriart (54 ans) est « la seule femme à la tête d'une entreprise de transformation du cuir en France » comme cela avait été rappelé à l’occasion de la réunion du G7 à Biarritz en 2019. La dirigeante affiche sa passion pour un métier aussi vivant qu’exigeant.

Une vocation pour vous ?
Marie Carriat-Hiriart -
Pas directement. En fait, j’étais dans des activités commerciales avant d’être amenée à rejoindre l’entreprise familiale. Mon grand-père et mon père, eux, étaient ingénieurs tanneurs. Aujourd’hui, je suis entourée d’une équipe technique très compétente qui gère toute la partie production et suivi des articles, les mises au point des formules…

Les savoir-faire de vos équipes sont multiples.
M. C-H. -
Nous avons de nombreux métiers qui commencent avec la sélection des peaux, puis par le tannage et le corroyage-finissage. Avec une capacité d’adaptation importante pour répondre aux besoins des marchés. Mon grand-père avait démarré l’activité autour de la chaussure. Mon père s’est ensuite orienté vers le secteur de l’ameublement. Désormais, la mode et les accessoires représentent 60% de notre chiffre d’affaires.

Pouvez-vous nous en dire plus sur cette évolution ?
M. C-H. -
Autrefois, il y avait beaucoup de tanneries, installées en milieu rural parce qu’elles étaient adossées à des élevages, pour le travail des peaux. Elles alimentaient alors de nombreuses productions autour du cuir, notamment dans la chaussure. L’entreprise a démarré avec les nombreux fabricants de l’époque autour d’Hasparren et en Soule. Mon père a vu que le vent tournait et que cela devenait compliqué dans ce secteur. Alors, il s’est spécialisé dans le canapé cuir et l’ameublement. Aujourd’hui, il n’y a pratiquement plus de fabricants de canapés en France. Depuis que j’ai repris, on s’est donc tourné vers les accessoires et la mode. C’est notre savoir-faire qui a permis ces adaptations.

Beaucoup de tanneurs ont disparu…
M. C-H. -
La majorité a préféré s’arrêter pensant que l’industrie du cuir était condamnée en France. Mais aussi parce qu’il s’agit d’une industrie soumise à de très nombreuses contraintes, avec l’utilisation de produits chimiques mais aussi de l’eau. On fait partie des entreprises les plus surveillées en Europe. Il faut savoir que nous avons été obligés de fermer notre atelier de tannage à Espelette en 1987, à cause de différentes contraintes, liées notamment aux odeurs. Cette étape majeure qui permet de rendre une peau imputrescible, nous la sous-traitons donc, ailleurs. Aujourd’hui, il n’y a plus qu’une quarantaine de tanneries en France, pour un total de 1.800 emplois.

D’où viennent les peaux ?
M. C-H. -
Nous travaillons essentiellement des cuirs de bovins, des peaux de jeunes animaux qui sont élevés pour la viande en Europe. La qualité du cuir est directement liée à celle de l’élevage. Quand vous avez une belle viande, vous avez une belle peau. Nous sommes en relation avec des collecteurs qui garantissent les critères de qualité.

Vos métiers jusqu’au produit final ?
M. C-H. -
Nous commençons par le triage des peaux et la préparation des lots, avant de passer à la teinture, la nourriture et le finissage. Les métiers sont nombreux. D’abord, avec les teinturiers et les courroyeurs. Cette étape, entre la sèche et le finissage, consiste à manipuler la peau, à la transformer, à travailler la souplesse, à rajouter des grains, etc. Interviennent ensuite les cadreurs, les coloristes qui travaillent « en plein bain » dans les tonneaux. Pour terminer, une fois les peaux sont teintes et traitées, on applique une finition en surface qui permet d’uniformiser le coloris et d’obtenir le produit final. Nos collaborateurs sont polyvalents, sauf pour des métiers très spécifiques, et travaillent en binômes. Nous les formons en interne, car il n’existe qu’une seule école en France, à Lyon, ciblée sur les ingénieurs.

Vous produisez une vaste gamme…
M. C-H. -
Nous avons une grande variété de peaux pour nous adapter à la demande. Nous créons en permanence de nouveaux articles et de nouveaux coloris. Nous devons être au fait de tout ce qui se passe dans les grandes capitales européennes et mondiales. Nous participons à des salons et nous nous faisons connaître un peu partout. 

Comment vous positionnez-vous ?
M. C-H. -
Nous nous sommes orientés vers des cuirs de qualité et moyen/haut de gamme, avec une bonne sélection de peaux, en raison des coûts de production très élevés en France. On ne touche pas aux marchés plus bas en prix, au niveau national comme à l’international. Nous faisons beaucoup de séries à la demande et nous avons peu de stock. La Tannerie Carriat est une industrie artisanale. Les grosses structures ne sont plus en France.

Travaillez-vous pour des grandes marques ?
M. C-H. -
Oui, mais tout dépend des collections. Pour répondre à leurs besoins, on s’adapte à chaque saison, avec une large palette de coloris. Nous avons aussi des clients qui nous suivent très régulièrement. Nous travaillons avec des personnes qui ont une vraie vision de la matière, une envie de chercher, de créer… c’est passionnant i

Des clients dans la région ?
M. C-H. -
Ils sont nombreux et très variés : des ateliers très divers ; des selliers comme le Groupe Voltaire à Bidart ; des maroquiniers, comme la Maison Laffargue et Manufactoum à Saint-Jean-de-Luz ; des chausseurs comme Le Soulor à Nay ; des petits fabricants, des décorateurs, des gens qui font des objets artistiques… Ils savent qu’ils peuvent venir à la tannerie pour acheter des cuirs, ou mettre au point des coloris particuliers pour de nouveaux projets. On les guide aussi vers des produits qui ne sont pas trop compliqués à faire et qu’on peut maintenir un peu en stock, pour éviter de mettre en production des séries trop petites.

Quel avenir ?
M. C-H. -
Il faut avant tout s’ouvrir sur le monde pour continuer à exister. Nous faisons 30% de notre chiffre d’affaires à l’export. Nous avons des métiers compliqués, avec de vrais savoir-faire, mais aussi des réglementations très lourdes… Tout le monde a dit, il faut garder ces savoir-faire en France, il faut les sauvegarder… Mais en réalité, personne n’a agi dans ce sens, sauf les grandes maisons qui ont considéré qu’à un moment ou un autre, elles en auront besoin pour faire de belles pièces. Elles veulent rester en France et continuer à acheter français. Ces maisons nous challengent à tous les niveaux et c’est une bonne chose. Heureusement, il y a d’autres marchés qui se développent, avec de nouveaux savoir-faire. Quant aux étrangers, ils sont rassurés quand ils viennent acheter en France.

Comment encourager les entreprises de production comme la vôtre ?
M. C-H. -
Clairement, comme beaucoup, nous n’avons pas attendu des aides hypothétiques. Si de nombreux tanneurs ont jeté l’éponge, mon grand-père et mon père y ont cru et se sont battus. Je suis dans le même état d’esprit avec à la fois un souci permanent d’anticipation et d’adaptation aux marchés, et à la fois une ouverture sur le monde. C’est quand il y avait encore de multiples entreprises artisanales industrielles comme la nôtre qu’il fallait bouger. Aujourd’hui, les territoires français ont été largement désindustrialisés, c’est compliqué d’inverser la tendance. Plus personne n’a envie de développer une tannerie dans notre pays. On attend surtout des pouvoirs publics qu’ils favorisent un environnement plus favorable pour les entreprises. À partir de là, nous savons faire.

Avec 72 emplois à Espelette, vous êtes un acteur essentiel…
M. C-H. -
Nos entreprises sont essentielles pour garder et développer une dynamique dans nos territoires. Avec nos collaborateurs se sont autant de familles qui peuvent continuer à vivre ici et qui participent à la vie locale souvent à travers des associations, des clubs… En plus d’être des consommateurs qui permettent de préserver un tissu commercial et artisanal solide. À cela, se rajoutent les multiples taxes et impôts que nous versons chaque année et qui viennent financer les services publics.

Tout cela n’éteint pas votre passion ?
M. C-H. -
Non. Nous avons un métier très varié, autour d’une matière qui vit. Même s’il n’est pas toujours facile de la maîtriser, c’est passionnant ! Nous continuerons à nous adapter, à nous battre parce que nous avons des clients remarquables, parce qu’on se fait plaisir avec de très beaux articles, mais aussi parce que nous avons l’envie de contribuer à faire vivre ce territoire que nous aimons tant.


Informations sur le site internet de la Tannerie Rémy Carriat

Une entreprise familiale presque centenaire
Tannerie Carriat à Espelette

ICI, on produit la vie

Désormais, chaque mercredi, vous retrouverez cette rubrique : un rendez-vous hebdomadaire inédit pour défendre les métiers de production. Des témoignages, des reportages, des interviews, des dossiers permettront de porter cette CAUSE majeure, pour la faire avancer.

À lire, les premiers articles de cette rubrique, cliquez ici

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  • Artzainak à Mauléon : les bergers d’une production indépendante

  • La Ferme Elizaldia : au cœur de Gamarthe, l’agro-pépite se bâtit de génération en génération

  • Créer une nouvelle dynamique autour de la fierté « industrielle », Peio Etxeleku livre quelques réflexions...

  • Artisan-boulanger à Mauléon : le goût de l’authenticité au quotidien

  • Lynxter façonne l’avenir en 3D, depuis Bayonne

  • L’IzarFamily à Bidart invente une dimension humaine pour les télécoms et le numérique

  • Quand la maroquinerie Erro fait vivre un atelier, un village, un pays.

  • Alki à Itxassou : des racines et des ailes.

  • Itsalga à Bayonne,quand la mer nourrit la terre

Un défi majeur à relever ensemble…

Plus nombreux qu’on ne le pense, ceux qui produisent au Pays Basque montrent la voie. On pense souvent à quelques fleurons industriels, à des grands groupes, mais une multitude de femmes et d’hommes font partie de l’aventure production, avec des structures de toutes tailles. Les petits ruisseaux font les grandes rivières.

Tous méritent d’être encouragés. A travers cette rubrique « ICI, on produit la vie », PresseLib’ veut animer une communauté, en favorisant des solidarités, en encourageant la partage d’expériences, en incitant aux transmissions, en faisant bouger les lignes, en faisant émerger des solutions nouvelles… Bref, en créant une dynamique inédite.

Participez !

Ce nouveau rendez-vous est celui d’une communauté, engagée pour défendre et valoriser les emplois de production.

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