Après avoir évoqué des écrivains d’ailleurs qui ont parlé d’ici, en voici un d’ici qui nous parle d’ailleurs. Un drôle d’ailleurs qui, entre rêve et réalité, s’étend des prairies sud-américaines jusqu’à Paris, et le long duquel on suit les aventures extraordinaires de Fernandez y Guanamiru, dit « l’homme de la pampa ».
Personne n’a mieux résumé son Homme de la Pampa que Jules Supervielle lui-même : « Rêves et réalités, farce, angoisse, j’ai écrit ce petit roman pour l’enfant que je fus et qui me demande des histoires. Elles ne sont pas toujours de son âge ni du mien, ce qui nous est l’occasion de voyager l’un vers l’autre et parfois de nous joindre à l’ombre de l’humain plaisir ».
Si l’auteur ne s’en revendique pas, son premier roman, publié en 1923 chez Gallimard, annonce un peu cette vague surréaliste dont le célèbre manifeste paraîtra l’année suivante. Mais cet Homme de la Pampa est quand même un véritable « ovni » en lui-même : on aurait tort de lui coller trop vite une étiquette.
Un quart de siècle avant L’Écume des Jours, ce surprenant premier roman de Supervielle tient à la fois du conte pour enfants à l’adresse de leurs parents, de l’autobiographie déjantée et du grand poème en prose. Qu’on y galope en plein mirage, qu’on y nage en plein délire ou qu’on s’y perde dans la Ville Lumière, le dépaysement est garanti…
De Guanamiru à Supervielle…
C’est l’histoire du riche propriétaire Fernandez y Guanamiru, atteint d’un genre de « spleen de la pampa », cette « campagne sans limites » ou règne une « chaleur sans issue ». Le bonhomme un peu naïf trompe son ennui en jouant les pharaons, agrandissant année après année son palais démesuré, déjà doté d’une formidable ménagerie : « ce jardin d’acclimatation fut célèbre dans toute l’Amérique du Sud par le tour de poitrine de ses éléphants et les dépenses de son propriétaire, qui y faisait vivre sans joie des bêtes très cruelles dans des cages dont on changeait le bariolage tous les quinze jours pour donner aux fauves l’illusion des lointains, et de la liberté », écrit Supervielle. La promenade autour du monde commence…
La nouvelle lubie de « l’estanciero » Guanamiru est de construire… un volcan, au beau milieu de ces plates landes uruguayennes reconstituées par l’auteur. Mais ce volcan-là parle, s’appelle « Futur », flotte dans l’air et tient dans une valise : le bon et mauvais génie paraît symboliser l’imagination ou l’inconscient du « héros », avec lequel il traverse l’Atlantique et rejoint Paris. Et ce volcan-là est une création qui pourrait correspondre aux aspirations de l’auteur, lequel affirme qu’à la réflexion, Guanamiru « trouva très naturel que nul Européen n’eût songé à construire un volcan et qu’ils se fussent contentés, jusque-là, d’églises, palais, immeubles, hôpitaux, ponts, becs de gaz et montagnes russes. Il ne méconnaissait pas l’intelligence ni même les talents de ces gens-là, mais vraiment ils étaient trop prisonniers de leurs études classiques pour concevoir des projets nouveaux ».
On attend, tout au long de ce conte un poil métaphorique, une éruption finale qui survient quand « gonflé à bloc jusqu’aux nuages », Guanamiru finit par éclater, tel la grenouille de La Fontaine. L’histoire se termine entre le fleuve Zambèze et le fond du Pacifique, non loin de Bornéo, où navigue naturellement un trois-mâts norvégien.
Comme le souligne Amaury Nauroy sur le site de l’éditeur, « l’essentiel se joue dans la féérie du langage, dans le mouvement presque somnambulique de la phrase, dans l’enchaînement libre et naturel des images ». Derrière les artifices, on sent aussi que Supervielle nous dit quelque chose des joies, des peines et des angoisses du petit et du grand Jules (1884-1960), né à Montevideo d’un père béarnais et d’une mère basque, tous deux décédés alors qu’il n’était encore qu’un enfant. Il sera élevé par son oncle et sa tante en Uruguay. Avec eux, il rejoindra Paris à l’âge de 10 ans et y fera ses études, mais sans perdre le contact avec la pampa natale, où il séjournera souvent en été et où il se mariera.
Petite balade en plein rêve américain
L’Homme de la Pampa est une œuvre très originale qui n’a guère vieilli et qui connaît, depuis 1978 et le début de ses rééditions dans la collection « L’Imaginaire », une deuxième carrière qui n’a pas l’air de vouloir s’arrêter.
Car il est vrai qu’on s’amuse beaucoup en voyageant avec Guanamiru, lequel quitte son pays en « n’emmenant ou n’emportant avec lui que son contremaître Innombrable, un tatou vivant, et, pour parer au mauvais sort, un autre empaillé, puis, dans vingt-deux caisses numérotées, un peu de terre de ses estancias », car « en voyage, le superflu lui était aussi indispensable que son système artériel et les battements de son cœur ».
Voguant sur la « plaine maritime » avec son volcan, le propriétaire terrien continue de languir : « Le temps se couvrit à l’approche des côtes de l’Europe. Futur proposa à Guanamiru de faire une partie de dames au moyen des nuages blancs et noirs que le ciel mettait à leur disposition. Mais aussitôt que Guanamiru ou son adversaire avançait un pion, c’étaient de fortes averses, ce qui indisposait les autres passagers, surtout les dames, et faisait pousser aux enfants des éclats de rire que l’on entendait jusqu’au ciel ». Est-ce qu’on voyage de l’Uruguay à la France ou de la Terre à la Lune ? Le doute subsiste…
Apparemment, il nous faut remercier son contemporain Montherlant d’avoir glissé à Supervielle l’idée de rédiger ce premier roman, qu’on peut toujours prendre plaisir à lire en 2019, bien installé au bord de l’océan… avec un maté.
Plus d’informations sur le site de Gallimard – cliquez ici
Déjà publiés
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