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L'INFO INCONTOURNABLEPlanques d’armes, manifestations, le point sur ETA

Sur les hauteurs d’Accous, au lieu-dit Aoulet, un agriculteur vient par hasard de découvrir cinq bidons contenant des explosifs. Sans doute une cache de l’organisation terroriste basque ETA. D’ailleurs c’est le Parquet national antiterroriste qui s’est saisi de l’affaire.
Décryptage avec le spécialiste d’ETA qui revient aussi sur les manifestations de juillet en Pays basque, Jean Chalvidant.

Un mot tout d’abord du contexte : le rôle d’ETA, son existence, sa fin.

Jean Chalvidant : Pour faire simple, ETA a été créée en 1958 pour s’opposer au centralisme espagnol et constituer un État indépendant, d’obédience marxiste-léniniste, formé des sept provinces (Soule, Basse-Navarre et Labourd en France, Biscaye, Álava, Guipúzcoa et Navarre en Espagne). Sur ses soixante ans d’activité, il y a lieu de déplorer 864 morts (dont 22 enfants), 2 632 blessés, 7 000 victimes, 80 enlèvements, entre 60 000 et 200 000 Basques exilés, des milliers d’incarcérés, au long de 3 500 attentats, dont 377 encore à résoudre. Des vies brisées et une déroute totale, puisqu’elle n’a rien obtenu. Son dernier attentat remonte à mars 2010. Un an plus tard, elle met fin à la lutte armée, annonce son désarmement en 2017 et finalement sa dissolution en mai 2018.

Désarmement, cela signifie déposer les armes ? Et les rendre ?

J.C. : C’est ce qu’a mené à bien ETA, en communiquant aux autorités françaises la localisation de huit caches, permettant d’en extraire 118 armes, 25 000 cartouches et près de trois tonnes d’explosifs. Tout le monde s’est alors congratulé, mais les services et les connaisseurs du sujet savaient pertinemment que d’autres planques existaient. Soit les chefs de l’organisation voulaient en dissimuler l’existence, pour un jour improbable où la lutte reprendrait, soit parce qu’au fil des ans et des arrestations, elles ont été carrément oubliées. C’est dans ce cadre que je situerai la découverte d’Accous. Les explosifs mis à jour avaient subi l’irréparable outrage du temps et auraient été dangereux à manipuler par les terroristes. Quant à son emplacement dans ce tranquille village béarnais, il était idéal, car situé à moins d’une heure de la frontière espagnole, là où les attentats avaient lieu en majorité.

Que contiennent ces bidons ?

J.C. : Leur contenu varie en fonction des besoins des commandos sur le terrain. De façon générale, on y trouve des armes de poing, des pistolets-mitrailleurs, des munitions, des explosifs avec leurs détonateurs et parfois du matériel pour fabriquer de faux documents, comme à Brassac en 2014. Le tout enfoui dans la campagne profonde, là où personne, cultivateurs, enfants, rêveurs, ne va et où les risques de découverte sont réduits. Autre exemple, à Capbreton en 2012 ont été sortis 40 pistolets-mitrailleurs MAT-49 (en dotation dans l’Armée française entre 1950 et 1985) et MAT-10, 20 pistolets Herstal 9mm et un millier de cartouches. Mais des caches, ces « zulos » ont été installées aussi bien plus au nord, dans l’Yonne (révélées en 2012 avec des documents, de fausses plaques de police, de faux documents, ainsi que du matériel pour fabriquer de l’explosif, de la résine de cristal époxy et du circoflex) ainsi que de l’argent. Une planque a même été découverte à Dramelayn proche de la frontière suisse !

On a une idée de la répression ?

J.C. : Mieux que ça, on a des chiffres : ces dix dernières années, et en dépit de l’inactivité d’ETA, ont été arrêtés 241 de ses membres, localisés 35 zulos et mis à jour 362 armes et 900 kilos d’explosifs…

Le livre ETA, l’enquête, ouvrage de référence sur ETA, Jean Chalvidant, Editions Cheminements.

Faut-il s’attendre à de nouvelles découvertes de caches  ?

J.C. : Bien sûr, pour les raisons exposées plus haut. Et si certaines gardent encore leur mystère, c’est pour un motif impérieux : si ETA n’a pas rendu la totalité de son armement, c’est qu’elle ne veut pas que certaines armes servent à expliquer les 377 assassinats qui, expertises balistiques à la clé, pourraient impliquer plusieurs de ses membres. Des meurtres commis en majorité dans les années 80, lorsque ETA tuait tous les trois jours. Ou plus récemment, ainsi le dernier assassinat de la bande commis en juillet 2009 à Palmanova, à Majorque, de deux gardes civils. Plus de 40 % des crimes du mouvement n’ont pas été résolus. Une impunité qui arrange bien l’actuel gouvernement socialiste de Pedro Sánchez, toujours soucieux de trouver des alliés de circonstance dans la mouvance indépendantiste. Mais les blessures restent toujours ouvertes.

Vous évoquiez les étarres prisonniers. Combien sont-ils et des manifestations pour leur libération sont-elles encore envisageables ?

J.C. : Ce n’est pas parce qu’ETA a déposé la clef que les problèmes ont disparu. Pour définitivement tourner la page, il faudra un jour – pas trop lointain - élargir ses 206 militants encore incarcérés, qu’ils aient commis des crimes de sang ou pas. C’est ce qu’ont revendiqué leurs sympathisants (Bake Bidea et Les Artisans de la paix) le 23 juillet dernier, en bloquant les grands axes de circulation au Pays basque nord, certains s’enchaînant même sur le tarmac de l’aéroport de Biarritz pour empêcher tout mouvement aérien, d’autres bloquant les voies SNCF à Boucau. 26 personnes avaient été interpellées, et vite libérées. Entre 945 manifestants (chiffre de la Préfecture) et 1 700 (chiffre militant), reconnaissables à leur tee-shirt bleu, étaient impliqués. Un événement à prendre en considération, malgré son échec relatif, et qui devrait être suivi de bien d’autres. Maintenant que l’indépendance s’est avérée une chimère, le thème de la libération des gudaris reste le seul mobilisateur. Vae victis.

Jean Chalvidant

Auteur des deux ouvrages de référence sur l’organisation ; ETA l’Enquête (Ed. Cheminements) et Secrets d’ETA (Ed. Jean Picollec), Jean Chalvidant est Docteur en Civilisation Espagnole. Ses ouvrages consacrés à l’Espagne sont tous devenus des références. Il vient de publier chez MA Editions sa « Petite et grande histoire de l’Amérique Centrale Hispanique » qui sera suivie en décembre 2022 de la « Petite et grande histoire de l’Amérique Latine » chez le même éditeur.

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