Le boulot, le taff, la turne, le trimard, le turbin, un monde à part. Avec ses codes (ne pas arriver bourré, en vrac, en jetant un collégial "alors ça boome les tafioles ?"), ses obligations (non, après 11 heures du mat, se pointer avec la trace de l'oreiller sur la joue et un peu de bave séchée au coin des lèvres, ne fait pas bonne impression), son look (le pyjama en pilou n'est pas encore à la mode dans les bureaux, mais ça viendra peut-être ; idem pour les multiples piercings sur le visage et les tatouages sur les doigts des mains ou le front), ses relations hiérarchiques (le chef, l'assistant du chef ; le sous-chef, l'assistant du sous-chef ; le sous-sous chef, l'assistant du sous-sous chef ; et puis vous, le GDFO, à savoir le Grouillot de Fond d'Organigramme), et son langage.
Mais là, vraiment, on passe les bornes. Du jour où le mot "managment" a fait son entrée, à peine francisé en un vulgaire "management", c'était la porte ouverte à toutes les fenêtres. La plupart du temps, on n'y comprend rien, mais on fait comme si...
Et…
Attention, certaines réponses sont peu admises. Par exemple, si le chef passe la tête par la porte de votre bureau, et vous lance : "J'attends ton feed-back asap", évitez de lui répondre "moi extranjero, no comprender nada", cela pourrait nuire à votre avancement.
En revanche, vous pouvez oser un judicieux et impertinent : "Et on ne dit pas asap, mais ASASP, à côté de Gurmençon. C'est déjà assez de tous les crétins qui disent Asaps, ne va pas t'y mettre à ton tour", mais pas sûr non plus que cela soit bien vu.
S'il vous lance : "On se fait un petit brief demain matin", évitez de le reprendre en disant "Je crois qu'on dit plutôt brunch, mais c'est pas grave, je m'occupe des croissants et des chocolatines à moins que tu ne préfères du salé ?"...
Si votre sous-chef soupire "Je suis tellement charrette sur mon projet que je suis parti pour une nuit blanche", il peut être mal vu que vous répondiez "Normal, avec le temps que tu perds à la machine à café ou à reluquer les avantages très décolletés de la stagiaire." Un peu de compassion affligée ne nuit jamais, quoi que vous en pensiez. Quand "fayot" et "lèche-botte" valent toujours mieux que "pragmatiquement réaliste" dans le milieu professionnel.
Une "conf-call" ne fait en aucun cas référence à la call-girl croisée (et plus si affinités) la semaine dernière, et non, il ne s'agit pas d'une conférence privée avec elle, faut pas rêver. La call girl n'existe que dans la vie parallèle du bureau. La conf-call est plus fréquente. Certes, on peut regretter que ce ne soit pas l'inverse, mais c'est comme ça.
Si le même chef ou sous-chef demande si vous vous sentez capable de "délivrer" pour vendredi, il y a plusieurs réponses qui pourraient être mal perçues : délivrer ne veut en aucun cas dire "vomir" ou ne symbolise pas un bilan sous forme de tableau Excel avec camemberts et tout le toutim résumant de façon (trop) explicite votre gastro carabinée. Il s'agit de travail, de pur travail. Evitez aussi de dire : "Ouhla, moi le vendredi hein, tu m'oublies ce jour-là".
Donner son "go", c'est donner le feu vert. Aucun rapport avec les Gentils Organisateurs du Club Méd'. Même si ça vous fait envie, évitez de la ramener avec un snobinard : "Je sais pas, je serai en full jet lag, you know." À moins que vous n'ayez déjà un autre "job" en vue, ailleurs... Parce que sinon, vous pourriez bien vous faire "jet-larguer", à savoir virer à vitesse grand V.
Idem si l'on vous assène : "Tu me draftes un petit truc pour la réunion de demain ?" N'allez pas vous méprendre, et ne répondez pas : "Le draft ? Connais pas... T'es sûr que tu préfères pas de la coke plutôt ? Les classiques, c'est bien aussi. Ecoute, j'appelle mon dealer et je te dégote un truc carabiné fissa, promis juré !"
Lorsqu'on vous demande de rencontrer "Mathilde pour réfléchir à une strat' commune", cela n'a rien de sexuel, attention danger. Idem si le sous-sous chef vous précise qu'avec Mathilde, ils ont "plein de projets dans le pipe". Ne demandez pas de développement, ce n'est TOUJOURS pas sexuel. Un truc mnémotechnique : dès qu'on parle "d'un" pipe, et pas "d'une", c'est pas sexuel, d'accodac ?
Si le même demande que vous pensiez à "le mettre dans la boucle", ne montez pas sur vos grands chevaux en hurlant : "J'en ai marrreeeeeeeee de tes allusions salaces, tu le sais ça ? Vais te coller un procès pour harcèlement sexuel, ça va être vite vu, gros dégueulasse, va !"
Autre chose, quand le dirlo demande : "Tu viens au kick-off meeting ?", évitez de rétorquer : "C'est un nouveau resto tendance ? Chouette, j'en avais marre du bar à Mimile pour les soirées boulot. Ok, tu peux compter sur moi, pour la chouille, toujours partant(e)."
Lorsque le boss demande ce que vous avez prévu comme "next steps", il n'attend pas de vous que vous répondiez, enthousiaste : "Apéro, vomi, gros dodo. C'est encore à l'état de projet. Mais toute l'équipe est super, hypra motivée !"
Le "next steps" est certainement une perspective beaucoup moins marrante, désolée de vous l'apprendre.
Au mail qui dit "Avec la PJ, c'est mieux", évitez de demander ce que la Police Judiciaire vient faire dans cette affaire. Ne vous trompez pas en ajoutant la "pièce jointe" en question : le fichier rapport.xls est forcément le bon. Le fichier rapport.jpg avec les photos de vos derniers ébats n'est pas attendu par la direction. Surtout si la femme du patron apparaît sur le fichier rapport.jpg, of course.
Si le chef répond à l'un de vos mails, pardon courriels, qu'il "verra ça semaine pro", ne tapez pas une crise du genre : "Ecoute, on est lundi, semaine pro, ça mène un peu loin, donc ma feignasse, tu vas te coller au taff rapidos et me répondre asap, parce que sinon je t'en colle une, très très asap itoo !"
Lorsque le même chef annonce qu'il va "reprendre le lead sur ce projet", acceptez la défaite. Ne répondez pas : "mais ouais, c'est ça, reprends tout ce que tu veux, et surtout, surtout, oublie-moi vite, so far so good !"
Bon allez, y a une conf-call de PresseLib', je reviens vous voir asap...
Mais bon, moi je dis ça, je dis rien...
Gracianne Hastoy
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