Le soleil ce matin ne fait pas son boulot. Il ne se soucie ni de me réchauffer ni de sécher la route encore humide des averses de la nuit. Le soleil est une grosse feignasse. Mais qu’est-ce qui m’autorise à médire d’un astre qui chaque jour se lève à potron-minet ?
Peut-être a-t-il ce matin un coup de moins bien, le soleil. Même Miguel Indurain, dans sa royale carrière, a connu un coup de moins bien. Alors pourquoi pas le soleil ? Ou peut-être a-t-il posé une RTT, histoire de se reposer un peu, de trainer au-dessus des nuages, de rouler en dedans. Ou bien a-t-il appris par la météo que le vent allait se lever. Et le vent, s’agissant du séchage du goudron, il en connaît un rayon. D’ailleurs le voici le vent. Qu’importe qu’il soit de face, il est là, c’est le principal. Car le vent, c’est le compagnon du cycliste. On roule pour être avec lui. Il nous donne des nouvelles des arbres, des oiseaux, des nuages.
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Pas de bagnole derrière dans la côte de Bénejacq : je peux donc, à l’entrée d’un virage, m’écarter de la corde. Devant moi, les Pyrénées. La neige est là. Peu me chaut. Je e ne suis pas skieur : hostile au tire-fesse et aux 4×4.
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Pas de vélo sans ravitaillement. Dans une boulangerie de Pontacq, j’achète une galette aux fruits secs, la dévore près du lavoir devant lequel passe la route qui mène à Ossun. Un paneau indique qu’il y avait jadis à Pontacq 9 lavoirs. Les lavandières étaient nombreuses et, souligne le panneau, les cancans également. Reconstitution, avant d’enfourcher le vélo, du charmant monde d’avant :
- En venant, je suis passée devant chez la fille Debat, y avait la mobylette contre le mur. Je pense qu’il n’a pas eu besoin de tuster, la porte devait être ouverte.
- Et ça t’étonne ! On a connu la mère…
- Et les chats ne font pas des chiens…Toutu, quino hounto !
- La hounta bergougno !
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Ossun, dont le nom veut dire « ours », puis, Azereix. Sur un panneau publicitaire du restaurant Les Platanes, la mention suivante : Menu ouvrier. Tout n’est donc pas perdu. Le menu ouvrier consiste en un plat de résistance. Résistance au GAFA, au TAFTA, au CETA, à cette armée d’algorithmes qui prend d’assaut notre art de vivre. Résistance.
Je zappe et tombe sur elle. La salle est plongée dans le noir, les projecteurs n’éclairent que son piano, ses mains sur le clavier, ses cheveux blonds, son sourire. Mais elle ne sourit pas à son public. C’est à elle qu’elle sourit, aux notes qu’elle joue. Véronique Samson chante Vancouver.
Et il me semble tout à coup reconnaître cette ville où je n’ai jamais posé les pieds. C’est étrange. C’est le pouvoir merveilleux de la voix. Véronique Samson chante et je m’interroge. Je n’ai jamais vu Vancouver, mais si cette ville m’est familière, c’est que je l’ai lue quelque part. Je l’ai lue dans un poème de Marcel Thiry, un sonnet.
Le voici :
Toi qui pâlis au nom de Vancouver,
Tu n’as pourtant fait qu’un banal voyage ;
Tu n’as pas vu les grands perroquets verts,
Les fleuves indigo ni les sauvages.
Tu t’embarquas à bord de maints steamers
Dont par malheur pas un ne fit naufrage
Sans grand éclat tu servis sous Stürmer,
Pour déserter tu fus toujours trop sage.
Mais il suffit à ton orgueil chagrin
D’avoir été ce soldat pérégrin
Sur le trottoir des villes inconnues,
Et, seul, un soir, dans un bar de Broadway,
D’avoir aimé les grâces Greenaway
D’une Allemande aux mains savamment nues.
« …Et je chante dans le port de Vancouver…Et je chante sur mes souvenirs amers… »
Christian Laborde
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