Lentement, il écarte tout d’abord ses bras, puis ses jambes, le torse luisant, en des mouvements délicats, en parfaite harmonie avec le son du tambour, et en rythme de deux mesures, la seconde constituant une répétition de la première. Une mélodie diatonique comprenant deux thèmes de seize mesures, que le danseur, Jorge Donn, respecte au millimètre, sur son estrade ronde tendue de tissu. Vous vous souvenez ? Cette séquence nostalgie nous remet en mémoire cette séquence exceptionnelle, offerte il y a déjà quarante ans par Claude Lelouch dans son film Les uns et les autres, qui révéla au grand public, sur une chorégraphie de Maurice Béjart, ce tube planétaire et magique qu’est Le boléro, œuvre de Maurice Ravel, un musicien exquis qui ne saurait être résumé comme simple auteur de ce morceau magique.
Tout Basque sait que Ravel est né en 1875 à Ciboure, quai de la Nivelle, aujourd’hui quai Maurice Ravel, dans la maison Estebania, que son constructeur, l’armateur Esteban Etcheto, avait voulue de style hollandais. Le cardinal Mazarin y séjourna lors du mariage de Louis XIV avec l’infante d’Espagne, avant que la demeure ne soit louée en appartements, et aujourd’hui transformée en siège de l’Office de tourisme et de l’Académie internationale de musique Maurice Ravel. Bien sûr, il fallut au compositeur quitter sa terre pour éclore. Tout d’abord au Conservatoire de Paris, dans la classe de contrepoint de Gabriel Fauré, qui lui enseigne la composition et le juge un peu dédaigneusement comme « un bon élève, laborieux et ponctuel. » Autrement dit un branlotin qui peut mieux faire. Il le prouve en créant un opéra, baptisé Shéhérazade, qui ne recueille que les huées du public, rétif à ses audaces. Dans le même registre, il essuie cinq échecs au prix de Rome. Cela n’a rien d’étonnant, car dans le jury siège le professeur de ses six concurrents ; une fois révélé, le tollé est considérable et le nom de Ravel connu – pour de mauvaises raisons – dans le sérail musical.
Ce petit milieu ne tarde pas à tomber sous son charme. Et surtout sous celui de ses sonorités hispaniques ou exotiques, mêlant mélodie et virtuosité du piano, ainsi qu’exprimées dans La Rapsodie espagnole, Miroirs et L’heure espagnole. Le voilà apprécié, mamouré, alors même qu’il change de genre en abordant le ballet, avec Daphnis et Chloé, Ma mère l’Oye et Adélaïde ou le langage des fleurs. Volontaire à l’engagement lors de la Première guerre mondiale, il est recalé à l’examen médical (décidément, lui et les examens !) en raison de sa frêle constitution, 1,61m pour 48 kilos : insuffisant pour porter casque lourd et paquetage. Mais assez pour conduire un camion militaire, du côté de Verdun. Il lui reste alors douze années à vivre, qu’il va remplir en composant une œuvre par an, de plus en plus dépouillée et marquée alors par l’influence américaine. Mais quoiqu’encensé et couvert d’honneurs, lui manque encore la composition de référence, le chef d’œuvre. Patience, le voici.
C’est à Montfort-L’amaury, où il s’est installé entre quelques séjours dans son Pays basque et d’autant de concerts aux États-Unis, où il fait un tabac, le jeune Gershwin lui demandant même de lui donner des leçons, qu’il se met en tête de composer « un ballet de caractère espagnol » sur le rythme d’un boléro andalou. À son grand étonnement, car il considère que sa partition « est vide de musique », le succès devient littéralement planétaire, malgré une ritournelle sans cesse répétée, et seulement deux thèmes. Je suis sûr qu’en lisant ces lignes, vous chantonnez dans votre tête le refrain, long d’un quart d’heure de pure jubilation. Ses dernières années sont marquées du signe de la maladie ; sans doute une atrophie cérébrale dégénérative, proche de la maladie de Pick, qui le condamne au silence, alors que son intelligence reste intacte. Après quatre ans de souffrance, il s’éteint en 1937 à l’âge de 62 ans, lors d’une opération chirurgicale ratée, destinée à apaiser sa douleur. Il est depuis, l’un des musiciens français qui s’exporte le mieux dans le monde entier, avec son Boléro en tête du classement mondial des droits SACEM, et un astéroïde porte désormais son nom. Quelle destinée !
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