Autoportrait de Goya, 1815 - musée du Prado
Une certitude : à l’ouverture du cercueil en vue de transférer son corps de Bordeaux à Madrid, la découverte stupéfiante, en présence du Consul d’Espagne, d’un corps sans tête… Un questionnement parmi tant d'autres : autour de cette vanité de 1849, titrée « Crâne de Goya » ; peinture aujourd’hui au musée de Saragosse…
Francisco de Goya y Lucientes, dit Goya, né en 1746 à Fuendetodos près de Saragosse, arrive en 1824 à Bordeaux, où s’étaient réfugiés de nombreux libéraux espagnols, et y réside jusqu’à sa mort en 1828. Pourquoi cette émigration d’un éminent peintre de la cour de Ferdinand VII, lequel ne lui en tiendra pas rigueur puisque sa rente annuelle de 50.000 réaux sera maintenue jusqu’à sa mort ?
Un peu d'histoire - En 1808, les troupes de Napoléon occupent l’Espagne et Joseph Bonaparte est installé sur le trône. Retenons juste ces deux dates : le 2 mai 1808, soulèvement du peuple contre cette occupation du pays ; le 3 mai, sanglante répression menée par Joachim Murat, maréchal d'Empire.
[caption id="attachment_120535" align="alignleft" width="285"] Dos de Mayo, 1814 - 266 x 345 cm - musée du Prado[/caption]
En 1814, les troupes napoléoniennes sont chassées du pays ; s’en suit une période politique instable nourrie d’idées libérales.
Goya, peintre officiel de la cour d'Espagne, est chargé d’immortaliser les évènements des 2 et 3 mai 1808 symboliques de l’histoire récente.
Les peintures du « Dos de Mayo » et « Tres de Mayo » comptent parmi les plus célèbres de son œuvre par leur réalisme et leur puissance d’évocation.
[caption id="attachment_120536" align="alignright" width="269"] Tres de Mayo, 1814 - 266 x 345 cm - musée du Prado[/caption]
En 1823, le roi Ferdinand VII reprend le pouvoir et restaure la monarchie absolue. L'année suivante, Goya et sa compagne Leocadia quittent l'Espagne pour la France. Rétif à l’autorité, le peintre a t-il eu quelque sympathie pour un pouvoir plus libéral ? Ou faudrait-il plutôt chercher du côté de Leocadia, plus impliquée, quelque raison de quitter l’Espagne ?
Pendant ces 4 années à Bordeaux, Goya poursuit son oeuvre. Grand peintre et graveur déjà renommé, il s'est essayé à la toute nouvelle technique de la lithographie comme en témoigne la fameuse série de 4 lithographies des « Taureaux de Bordeaux ».
Mais la santé du peintre se dégrade rapidement. Après deux semaines d’agonie, il meurt aux premières heures du 16 avril 1828, au 57 cours de l’Intendance à Bordeaux, bel hôtel particulier qui abrite aujourd’hui l’Institut Cervantés. Goya avait 82 ans.
[caption id="attachment_120537" align="alignleft" width="239"] La laitière de Bordeaux, 1827 - 74 x 68 cm - musée du Prado[/caption]
Il est enterré le lendemain au cimetière bordelais de la Chartreuse. Il repose dans le caveau de la famille Muguiro de Iribarren avec laquelle il avait de lointains liens familiaux, aux côtés du beau-père de son fils, Martin Miguel de Goicoechea, décédé trois ans plus tôt.
En 1830, un certain Juan Bautista Muguiro qui soutenait l’œuvre de Goya, achètera à Leocadia « La laitière de Bordeaux », une des dernières peintures de Goya.
Pour l'affaire qui nous concerne, tout commence en 1880 lorsque le Consul d’Espagne à Bordeaux, Joaquin Pereyra, découvre la sépulture en piteux état portant les noms de Goicoechea et Goya. Il s’active pour obtenir les autorisations nécessaires au rapatriement du corps de Don Francisco de Goya en Espagne.
[caption id="attachment_120538" align="alignright" width="298"] Fresque de l'ermitage San Antonio de la Florida peinte par Goya en 1798[/caption]
En 1888, a enfin lieu l’exhumation en présence des autorités légales compétentes. Le caveau contient deux cercueils de même taille, sans plaque ni indication de nom : le premier, au fond du caveau, recouvert de zinc et un autre, plus en avant, en bois. Les deux sont donc ouverts. Le cercueil de bois révèle les restes d’un corps sans tête. Considérant la taille et le format des os, il ne fait pas de doute qu’il s’agit de ceux de Goya connu pour sa forte constitution.
Le consul de télégraphier aussitôt en Espagne : « Le squelette de Goya n’a pas de tête », la réponse ne tarde pas : « Envoyez Goya, avec ou sans tête ». Cet incident de parcours a dû retarder les opérations de rapatriement. Il faut attendre 1899 pour que, enfin, aient lieu une deuxième exhumation et le rapatriement à Madrid des restes de Goya.
Depuis 1919, le corps sans tête de Goya repose à l’ermitage de San Antonio de la Florida à Madrid.
[caption id="attachment_120539" align="alignleft" width="192"] Vanitas, 1849 - 44 x 37 cm - par Dionisio Fierros[/caption]
Si le corps a enfin trouvé sa demeure pour l’éternité, la tête disparue a fait l’objet de bien des questionnements…
D’abord, Goya aurait pu indiquer à ses exécuteurs testamentaires que sa tête soit séparée du corps pour l’enterrer à Madrid ou encore, qu'il ait promis à son médecin, le docteur Laffargue, de faire porter sa tête en son laboratoire de l’hôpital de Bordeaux. Un certain Docteur Gaubric est également évoqué et présenté comme un brillant anatomiste bordelais qui aurait convaincu Leocadia de l’autoriser à prélever la tête.
On était alors au début de la phrénologie, l’étude des dispositions morales et intellectuelles des hommes par la configuration de leur cerveau, et Goya aurait pu, en effet, intéresser les scientifiques qui voulaient comprendre son génie, mais aussi sa constitution de colosse, sa surdité d’origine incertaine depuis l'âge de 46 ans, l’hémiplégie et l’aphasie à la toute fin de sa vie.
Autre possibilité évoquée, la profanation de la tombe pour récupérer la tête de Goya pour des motifs divers et variés.
Plus près de nous, le crâne aurait pu séjourner à l'université de Bordeaux avant de se retrouver dans les années 50 dans un cabaret espagnol « Sol y Sombra », en face de l’école de médecine, dans le quartier des Capucins, fréquenté par les réfugiés espagnols et aurait été cédé à un antiquaires lors de la liquidation du cabaret... et serait alors dans quelque collection privée bordelaise, qui sait ?...
[caption id="attachment_120540" align="alignright" width="182"] Dos du tableau de Dionisio Ferrios[/caption]
Bien sûr, aucune réponse n’est venue confirmer une hypothèse plutôt qu’une autre.
Et voilà qu’apparaît une peinture de 1849, d’un certain Dionisio Fierros, peintre des Asturies né en 1827. Cette toile représente un crâne dans la tradition des vanités et porte au dos plusieurs mentions manuscrites dont un titre : « le crâne de Goya par Fierros ».
Du coup, une nouvelle hypothèse est avancée : le fils de Fierros, étudiant en médecine, aurait pu transporter le crâne qui se trouvait dans l’atelier du père, à l’université de médecine de Salamanque pour des expériences qui l’aurait dégradé et détruit.
Comment ce tableau est-il apparu ? En 1928, à l'occasion du centenaire de la mort de Goya, le tableau est offert au musée de Saragosse par un certain Hilarion Gimeno qui l'aurait acquis auprès d'un antiquaire.
[caption id="attachment_120541" align="alignleft" width="300"] Mentions de n°4 et de craneo de Goya pintado por Fierros[/caption]
L'analyse par le musée révèle au dos de l'oeuvre des écrits de mains et d'époques différentes : une étiquette de papier mentionnant Marques de San Adrian d'une écriture fine, stylisée et penchée ; un N°4 d'une écriture plus grossière, qui pourrait correspondre à un classement dans la collection du marquis ; un titre, « Craneo de Goya, pintado por Fierros », d'une écriture ronde et postérieure à celle de l'étiquette de papier
[caption id="attachment_120542" align="alignright" width="300"] Signature du marquis de San Adrian[/caption]
De quoi y perdre la tête non ? Tout au plus sait-on que cette vanité a été peinte à la demande du marquis de San Adrian, dont Goya avait réalisé un portrait, et qu'elle est visible au musée de Saragosse. Mais s'agit-il du crâne de Goya ? rien n'est moins sûr... Où en est-on aujourd'hui ? A vrai dire pas bien loin... du genre, on ne sait rien mais on vous dit tout.
Beaucoup d'encre a coulé sur le sujet, et il en coulera encore, l'Espagne comme la France espérant toujours abriter la précieuse relique en quelque collection qui surgira, ou pas, un jour d'un fond de grenier, d'un recoin de l'histoire. Cette anecdote nous a permis de revisiter l'oeuvre de ce maître de l'histoire de la peinture.
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Déjà publié : Le vol de la Joconde – cliquez ici
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