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    Les dits du vendredi3

    Toussaint… les mots de Christian Laborde
    Flocons de poésie à Saint-Lary-Soulan avec Christian Laborde
    C’est le temps des tombes, y a du souk dans les cimetières, des hommes passent, avec, en guise de tête, un pot de géraniums. On dirait des personnages de Magritte.

    Toussaint : repos éternel, jour des saints. Mais la sainteté, l’éternité, n’intéressent guère celles et ceux qui, ce jour-là, font mine de se recueillir  devant une tombe : la plupart d’entre eux  font le signe de croix en gardant entre les doigts les clés de la voiture.

    Moi, j’aime les cimetières. Je les aime  parce que je fais du vélo. Le souci premier quand on sillonne à vélo les départementales et que le bidon est vide, c’est de trouver de l’eau. Et il  y a toujours un robinet au cimetière.

    Il y a aussi le café du coin, me direz-vous, « Le bar des platanes », avec sa table à l’ombre, le cendrier Suze, la bouteille d’eau, et le demi de bière Méteor. Mais le café du coin a fermé. Il n’ y a plus de « Bar des Platanes » dans nos villages : il y a juste des ronds-points. Pauvres en imagination, élus municipaux, conseillers départementaux ou régionaux ne savent bâtir et inaugurer que des ronds-points. Ils en font partout. Ce sont tous des rond-pointeurs.

    Alors, je le redis : le point d’eau, l’oasis quand on roule des heures durant sur le goudron granuleux des départementales, c’est le cimetière avec son robinet. Le trouver est un jeu d’enfant. Ou de  cycliste. Car faire du vélo c’est rouler vers l’enfant que l’on a été, remettre à sa vie de petites roues.

    Pour trouver le robinet, se  repérer au clocher. Le cimetière, le plus souvent, est derrière l’église, à ses pieds. Désaltéré, le bidon rempli, on pourra, le soleil cognant comme un furieux, trouver refuge dans l’église où la fraîcheur est délicieuse, requinquante. On appuie le vélo contre le bénitier, et  l’on s’assied sur un banc.

    Que les mémés recroquevillées près du confessionnal ne s’offusquent pas ! Nos tenues  ne sont pas du dimanche, certes, mais nos maillots Bic à la gloire de Luis Ocaña, nos cuissards et  nos casquettes publicitaires plaisent à Dieu. Car Dieu s’intéresse aux courses cyclistes.

    Contrairement à ce que les mémés ont appris à l’école communale, contrairement à ce qu’affirment encore aujourd’hui les manuels d’Histoire, Dieu n’a pas créé les Pyrénées pour séparer les Français des Espagnols. Il s’en bat les balles, Dieu, des états, des frontières, et de l’homme qui passe le plus clair de son temps à faire couler le sang. Dieu a créé les Pyrénées pour distinguer les grimpeurs des non-grimpeurs et pouvoir, comme nous, applaudir Federico Bahamontes et Charly Gaul.

    Revenons à nos moutons, à la soif. J’entre dans le cimetière : le robinet m’attend. Je gare mon vélo contre un caveau en usant de la pédale comme d’une béquille. Je dégage le bidon du porte-bidon. Je le remplis. Je  bois, le vide, le remplis de nouveau, avant de passer ma tête sous l’eau. La casquette aussi.

    Y a le robinet, les brocs de couleur mauve et, parfois, vêtues de noir, deux vieilles. Assis près de mon vélo, je  les écoute. Toutes leurs phrases finissent par « pauvre ». Toutes disent du bien des morts – « Ce pauvre Julien, le cœur sur la main, le pauvre… » -,  toutes disent du mal des vivants : «  On a connu, la mère... les chiens ne font pas des chats… » Puis elles remplissent les brocs et se dirigent vers les tombes qu’elles fleurissent. Elles se signent, et c’est reparti pour le chapelet de « pauvre »…

    Y a le robinet, y a les brocs, y a les vieilles et, sur les tombes, y a les vases. Les vases les plus originaux sont sur les tombes les plus modestes des cimetières du Gers. Ce ne sont pas des vases mais des pots, des pots en grès, de couleur beige foncé, presque marron, ce pot en grès que l’on trouve dans toutes les maisons du Sud-Ouest : le pot du confit. La veuve gersoise qui dispose les fleurs dans ce pot sur la tombe de son « pauvre  mari » se dit qu’elle lui apporte, avec les roses du jardin, de quoi se rassasier. L’éternité, ça creuse.

    Christian Laborde

    www.christianlaborde.com

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