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Cahier de vacancesPaul Gadenne et L’invitation chez les Stirl

Cet été, PresseLib’ vous propose de relire chaque semaine une œuvre littéraire marquante, classique ou méconnue, en lien avec nos chers pays de l’Adour….
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Cette semaine, on sort des sentiers battus pour vous présenter l’œuvre unique en son genre d’un écrivain de moins en moins méconnu : « L’invitation chez les Stirl », de Paul Gadenne.

Ce roman, paru chez Gallimard en 1955, est le dernier que Gadenne publia de son vivant. L’on y retrouve tout ce qui fait le charme de cet auteur si singulier, lequel nous emmène cette fois en villégiature dans une station thermale du Pays basque. Un texte lumineux et subtil qui ravira les amoureux des lettres.

Il est devenu assez banal de dire que Paul Gadenne est « un auteur du XXe siècle injustement méconnu ». On l’aurait même presque assez dit pour considérer qu’il ne l’est plus vraiment. Il y aura bientôt 40 ans, pour présenter sa réédition de la courte nouvelle intitulée « Baleine », Hubert Nyssen louait d’ailleurs déjà « un écrivain considérable », déclarant envier « ceux qui n’ont pas encore lu Paul Gadenne ». Depuis, les louanges des milieux autorisés n’ont jamais vraiment cessé.

L’histoire de Paul Gadenne, né en 1907 à Armentières, est celle d’un homme de santé fragile et de sa sa lente migration du nord vers le sud. Contrainte à l’exil par la première guerre mondiale, sa famille fuit d’abord à Boulogne-sur-Mer et ensuite à Paris, où le jeune Paul fera des études de lettres et obtiendra son agrégation. Il sera nommé professeur en Normandie en 1932.

Tuberculeux, Gadenne abandonnera très vite cette carrière pour de fréquents séjours en sanatorium, en Haute-Savoie et plus tard en Pays basque, où il s’installera définitivement après la défaite française de 1940, à Bayonne puis à Cambo-les-Bains. C’est dans ce dernier village qu’il s’éteindra en 1956, à l’âge de seulement 49 ans.

De Scheveningen à Barcos-les-Bains…

Et c’est sans doute à proximité d’un village qui s’en rapproche beaucoup que se situe l’action de cette surprenante Invitation chez les Stirl, quoique dans sa brève note préliminaire, Gadenne semble nous sommer de n’en rien croire : « J’ai choisi pour cadre extérieur de ce petit roman les Basses-Pyrénées. Il ne s’ensuit pas que le lecteur doive chercher Barcos sur une carte, ni attribuer à l’auteur des intentions satiriques à l’égard d’une corporation particulière, considérée dans un pays donné ».

Car on doit bien avouer que le narrateur de cet ultime roman ne se montre pas des plus tendres avec ce Barcos-les-Bains aux maisons « débordantes d’excroissances saugrenues » qui « répandaient la tristesse particulière aux petites communautés qui sentent le chou et vivent de cancans », notamment composées de « grappes d’hommes en chandail et en espadrilles sur les perrons, accrochés aux fenêtres ou à cheval sur les murs d’enceinte ».

On a au passage l’impression que Gadenne, à ce stade, ne croit plus vraiment aux vertus curatives de la « florissante station » climatique, née du « développement de l’aide sociale », de « spéculations habiles » et d’une « astuce de la propagande »… Mais on aurait tort de prendre tout cela trop au sérieux : Gadenne plante là l’étroit décor où ses Stirl apparaîtront bientôt en étrangers lassés de tout…

L’influence de la région sur l’auteur de Siloé ne se manifeste qu’assez tardivement dans ses écrits. Sa Plage de Scheveningen, publiée en 1952 et souvent considérée comme son plus beau roman, se terminait certes un peu tristement sur les hauteurs grandioses de Biarritz. Mais la bascule ne s’opéra véritablement qu’avec les « lettres trouvées » de son « Bal à Espelette » (1954), et bien sûr avec L’invitation chez les Stirl (1955). Dommage qu’il n’ait pas vécu un peu plus longtemps…

Un étonnant roman autour du non-dit…

L’histoire du dernier roman de Gadenne tient à peu près dans son titre : Olivier Lérins, un jeune artiste-peintre, revient séjourner chez les « Steurl », quatre longues années après avoir villégiaturé dans leur ancienne résidence savoyarde, souvenir assez agréable pour avoir renforcé son « amitié » avec Mme Stirl, femme trépidante et distinguée, victime de son ennui et fort préoccupée de ses chiens. M. Stirl, quant à lui, est présenté comme un malade chronique et un « fin causeur » à la fortune ancienne et aux manières aristocratiques. Comme l’auteur, il va bientôt mourir.

Mais en attendant, l’atmosphère se fait rapidement pesante. La gêne et le non-dit s’installent entre l’hôtesse et l’invité : l’immense talent de Gadenne fait le reste. Sans beaucoup nous éloigner de la spacieuse et oppressante villa des Stirl pour « excursionner » en Pays basque, nous en ressentons parfaitement le climat spécial et la chaude humidité, que nous suggère fort bien cette sorte de langueur, de léthargie dont sont frappés comme d’un mauvais sort les personnages de l’étrange huis-clos.

L’ambition originale de Gadenne, avec cet ultime roman, était « de composer un ouvrage où ce qui compte est tout ce qui n’est pas dit ». De ce point de vue, on peut dire qu’il a merveilleusement rempli sa mission, et d’autant mieux grâce à son style à la fois limpide et recherché, d’une élégance et d’une délicatesse rares. La réédition en Folio de 1982 parle de son « art raffiné, créant un climat d’inquiétude et de mystère qui n’est pas sans rappeler Henry James », traduisant « la solitude de chaque instant » et « l’inéluctable présence de la mort ». On pourrait aussi distinguer dans Gadenne quelque chose des lourdes atmosphères de Julien Green, de la légèreté discursive d’un Gide ou des perfectionnements descriptifs d’un Proust (apparemment étudié avec soin dans sa jeunesse) et d’un Gracq. D’autres, après tout, n’ont pas hésité à rapprocher Gadenne de Dostoïevski…

Mais les comparaisons importent peu : ces influences plus ou moins nettes sont « tempérées » par l’apport de Gadenne lui-même, avec sa façon d’anesthésier et de bercer son lecteur qui n’appartient qu’à lui. Bref, par les temps chauds qui courent, le moment paraît décidément idéal pour répondre à l’invitation de ces Stirl…

Photos édition originale reliée - « Librairie Thalie »

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