Sur le dernier exercice, Euralis a particulièrement bien résisté aux effets de la crise sanitaire, avec un chiffre d’affaires relativement stable (1,33 milliard d’euros) et un résultat net à l’équilibre. Une vraie performance qui semble entériner les choix de rupture de la coopérative de Lescar, qui rassemble aujourd’hui 14.000 agriculteurs et compte 5.275 salariés.
Christophe Congues (48 ans, producteur de semences de maïs, de kiwis et de tabac à Moumour, dans les Pyrénées-Atlantiques) vient de succéder à Christian Pèes, en place depuis plus de 20 ans, à la présidence d’Euralis.
Entré au conseil d’administration de la coopérative en 2014, Christophe Congues en était depuis un an le président délégué. Auparavant, il avait déjà présidé pendant 13 ans la Fédération des planteurs de tabac et occupé pendant 11 ans la fonction de secrétaire général de France Tabac Union.
Au sein d’Euralis depuis 8 ans, il en a présidé la commission territoriale Sud Aquitaine. Il a aussi été président délégué du pôle agricole. Titulaire d’un BTS en analyse et conduite des systèmes d’exploitation agricole, l’agriculteur a bénéficié d’une formation de l’Essec à la gouvernance des coopératives agricoles.
Malgré le contexte de la crise sanitaire, Euralis semble avoir bien limité les dégâts sur l’exercice 2019-2020, avec un chiffre d’affaires stable et des comptes à l’équilibre…
Christophe Congues - Il faut savoir que ce résultat net de zéro a été obtenu de haute lutte, grâce aux efforts de chacun. Si nous n’avions pas su nous adapter au contexte sanitaire, nous aurions pu connaître une bien plus sévère déconvenue. Je pense en particulier aux activités alimentaires. La réactivité des équipes a été capitale pour mettre nos différentes marques en phase avec leurs marchés, avec l’idée de nous focaliser sur des produits plus sains et de faire à la fois moins et mieux. Rougié, en particulier, s’est bien rattrapé après la période catastrophique du premier confinement, en adaptant son offre aux problématiques des restaurateurs et en finissant l’année à seulement -18%. Difficile de prévoir ce qu’il en sera en 2021, mais forts de cet état d’esprit, nous avons montré que nous pouvions surmonter des difficultés d’un caractère exceptionnel.
Quelques mots de la nouvelle gouvernance d’Euralis et de ses orientations ?
C. C. - Il y a un an, dans le cadre de la loi Egalim, Euralis faisait le choix audacieux et radical de renoncer à la vente de produits phytosanitaires et optait pour le conseil, contrairement à la quasi-totalité des coopératives françaises. Nous nous étions réunis pour étudier la question et tenter de nous projeter dans l’avenir. Compte tenu des attentes sociétales, des nouveaux modes de consommation ou encore des dernières conclusions du Giec sur le climat, le conseil nous est apparu le choix le plus viable à long terme. Par cette décision, nous avons choisi de prendre notre destin en main plutôt que de subir l’évolution naturelle de la société, même si pour l’instant, nous passons un peu pour des extraterrestres. Philippe Saux (directeur général d’Euralis, NLDR) et moi-même avons été nommés en ayant conscience de devoir conduire ce changement. Là-dessus, le mot d’ordre est de dire ce qu’on fait et de faire ce qu’on dit. Pour le reste, la stratégie reste la même, centrée sur les trois piliers que sont le développement à l’international, l’innovation et enfin les territoires et les hommes. Je tiens à rendre hommage à Christian Pèes, qui a toujours su mettre en valeur le collectif et l’amener à prendre les bonnes décisions. Visionnaire, il a aussi su faire profiter Euralis de sa hauteur de vue. Nous souhaitons être les héritiers de cette philosophie.
Au-delà des polémiques sur les produits phytosanitaires, leur disparition progressive semble de toute façon le sens de l’histoire…
C. C. - Les faits le confirment, avec un marché des produits phytosanitaires à la baisse et un essor notable du bio et du biocontrôle. Nous accompagnons cette tendance en investissant dans les technologies et en collaborant avec plusieurs startups afin de répondre aux attentes des agriculteurs et des consommateurs (Euralis travaille avec la société Weather Measures sur un outil d’aide à la décision basé sur la météo de précision, avec Elicit Plant à des expérimentations autour de la résistance au stress hydrique et de l’optimisation des traitements, et avec UV Boosting à une solution de protection des cultures viticoles sans intrants, NDLR). Nous allons d’ailleurs présenter cet été un nouvel outil qui, si nous atteignons notre objectif, pourrait représenter un pas de géant dans la réduction de l’utilisation de produits phytosanitaires, de l’ordre de -50 à -70%. Plus globalement, nous consacrons 30 millions d’euros à l’innovation chaque année. Pour le pôle semences, nous réinvestissons 13% du chiffre d’affaires en R&D dans le but d’avoir des flux génétiques performants et adaptés aux attentes des agriculteurs, dans les différents pays où nous avons des activités. À l’arrivée, tous ces efforts en matière d’innovation ont entre autres pour objectif de cesser de fonder notre modèle économique sur les produits phytosanitaires.
Qu’en est-il du développement d’Euralis à l’international dans le contexte actuel ?
C. C. - Il reste capital pour nous. Euralis a réalisé 26% de son chiffre d’affaires à l’export sur le dernier exercice, et ce dans 26 pays. Ce chiffre atteint 40% pour une marque alimentaire comme Rougié. Nous avons d’ailleurs arrêté l’élevage, le gavage et l’abattage en Chine pour y exporter directement nos foies gras de canard d’origine française, notre site de Maubourguet ayant obtenu l’agrément pour cela. Le constat est aussi valable pour le pôle agricole, avec un tiers du chiffre d’affaires à l’export et des positions de leader : nous représentons par exemple 60% du maïs doux consommé au Royaume-Uni. Nous avons des contrats avec des producteurs de whisky écossais, avec des engagements en matière de biocontrôle et en faveur d’une production plus vertueuse. Enfin, l’export pèse aussi et surtout 80% de l’activité du pôle semences. Notre projet de développement en Russie, sur le même modèle qu’en Ukraine, est bien avancé avec une usine montée en seulement 9 mois. Sur place, nous avons pu commencer en décembre à travailler le maïs.
Le marché des semences est dynamique mais concurrentiel, avec la nécessité de ce genre d’investissement et d’importantes dépenses de R&D. C’est le sens du rapprochement de l’an dernier avec Caussade, qui a donné lieu à la création de Lidea ?
C. C. - Oui, c’est l’idée. Il y a aujourd’hui une corrélation assez claire entre la rentabilité d’un semencier et son pourcentage de chiffre d’affaires investi en R&D et dans de nouvelles variétés. Les plus grands semenciers réinjectent environ 20% de leurs ressources dans la R&D. Nous sommes engagés dans une course mondiale. Au-delà, il faut aussi dire que ce rapprochement nous permet de proposer une offre plus étoffée à nos agriculteurs. Nous produisons aujourd’hui tous types de semences, de maïs mais aussi de soja, de sorgho, etc. Et il faut également préciser que ce développement ne se fait pas au détriment des producteurs français, comme on l’entend parfois. Nous devons tout au contraire être implantés dans ces pays pour avoir les moyens de continuer à produire en France et à y proposer de nouvelles variétés plus adaptées au climat. Nous en avons déjà fait la preuve en Ukraine, où nous nous sommes installés sans que les surfaces exploitées en France aient diminué.
L’année 2020 a aussi été marquée par le succès de votre concept de Table des Producteurs, qui affiche 30% de croissance… Que représente-t-il aujourd’hui pour le groupe et comment le voyez-vous évoluer ?
C. C. - C’est une vraie satisfaction et nous comptons évidemment continuer d’investir sur la Table des Producteurs. Sur les 10 millions d’euros de chiffre d’affaires générés l’an dernier par ces rayons, 8 millions reviennent aux producteurs référencés dans nos magasins. Nous travaillons sur le développement de ces rayons, qui passera certainement par de nouveaux points de vente entièrement dédiés, à l’image de celui de Sainte-Eulalie, qui nous a servi de laboratoire, avec ses belles réussites et, certes, quelques échecs. Nous commencerons sans doute avec des points de vente plus proches de nos bases, en Béarn ou sur la côte basque. Nous sommes en train de structurer un projet de développement. De façon générale, le concept a décollé avec le premier confinement et les clients ont continué de venir par la suite. Il est clair que ceux-ci plébiscitent de plus en plus les circuits courts, le respect de la saisonnalité des produits et le lien avec les producteurs, exigences avec lesquelles la Table des Producteurs est complètement en phase. La restauration, notamment, représente une part non-négligeable de la clientèle.
Quelles sont les autres pistes de travail et projets de développement du groupe ?
C. C. - Nous sommes engagés dans des projets de développement de différentes cultures. Nous participions par exemple déjà à un projet de recherche autour d’un soja qualitatif et économe en eau, et comptons maintenant développer la culture du kiwi dans la zone du piémont pyrénéen, dans le cadre d’un partenariat avec la Scaap. Le kiwi présente l’avantage d’être un fruit non traité, et sa culture a clairement un sens dans cette zone, où nous pouvons mieux maîtriser l’irrigation.
Nous travaillons par ailleurs beaucoup sur le volet énergétique, avec l’ambition de devenir une coopérative leader en matière d’énergies décarbonées, que ce soit à travers le photovoltaïque, la géothermie, la biomasse ou notre contribution à la production de bioéthanol.
Nous avons également beaucoup investi dans la formation de référents, c'est-à-dire d’équipes techniques associées au pôle agricole, lesquelles accompagnent les agriculteurs sur le terrain et leur délivrent des prestations de conseil. Ces référents ont suivi des modules de formation complets et nous avons pour cela noué des partenariats avec Motival, Arvalis et Purpan. Pour Purpan par exemple, il s'agit d'un partenariat sur le long terme destiné à anticiper les évolutions des métiers du pôle. Il va permettre d’accompagner les équipes dans l’adaptation de leurs connaissances, de leurs techniques et de leurs méthodes de travail, mais aussi d’attirer de nouveaux talents en proposant des études et sujets de recherche professionnels aux futurs diplômés de l’école.
C. C. - Au final, pour résumer, on peut simplement répéter qu’Euralis a choisi de prendre son destin en main et de ne pas subir l’évolution actuelle de la société.
Plus d’informations sur euralis.fr
Notre article sur les résultats d’Euralis – c’est ici
Notre article sur la Table des Producteurs – c’est ici
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