Depuis 1987, la famille Bouscayrol écrit, entre Pau et Biarritz, une histoire singulière : celle d'une passion fidèle pour l’art et ses artistes, d'une exigence sans concessions et d’une capacité à se renouveler au fil des générations.
Rien ne prédisposait Marie-José à entrer dans ce monde de l’art. Fille d’Hubert Buchou, une grande figure de la vie agricole et politique (lire notre article hommage de 2015), la jeune béarnaise a eu le déclic en rencontrant Philippe Bouscayrol à Sup de Co qui, lui, avait grandi dans un milieu très artistique et de collectionneurs dans le Tarn-et-Garonne.
Le pari de Marie-José et Philippe Bouscayrol
Dans les années 1980, créer une galerie d’art contemporain en province relève presque de l’audace. C’est pourtant ce que décident Marie-José et Philippe en 1987. Tout juste sortis de Sup de Co, ils rêvent de s’installer. « On s’est retrouvé à Paris, avec l’envie de revenir dans notre Sud-Ouest pour décliner notre amour de l’art, en indépendants. » Ils trouvent un local abordable rue Tran, à Pau : une ancienne boucherie qu'ils transforment en galerie. « C’était un chantier total », se souvient Marie-José. « Mais nous voulions un lieu à notre image : simple, accueillant, vivant. »
Dès l’ouverture, leur ambition est claire : promouvoir exclusivement des artistes vivants, établir un lien direct avec eux, et proposer un véritable travail d’accompagnement auprès du public.
Philippe se souvient : « À Paris, nous avions visité de nombreuses galeries avec l’idée de transporter en province ce concept qui n’existait que dans quelques grandes métropoles. Nous avons rapidement organisé nos premières expositions, puis elles se sont enchaînées pratiquement tous les 2 mois, avec chaque fois un catalogue, une affiche, un vernissage…».
« Nous étions à l’ère d’avant internet et le catalogue de l’exposition permettait de faire découvrir l’artiste, son parcours, sa formation, sa démarche… des éléments très complets que l’on diffusait en amont. On faisait ainsi partager notre relation avec l’artiste. Nous nous positionnions en véritable passerelle entre lui et le public » s’enthousiasme Marie-José. C’est la marque de la Maison Bouscayrol. A partir de ce lien particulièrement fort, des projets importants ont pu être proposés au public.
Premières expositions et premiers défis...
Les premières expositions donnent le ton avec des œuvres de maîtres du XXe siècle : Yves Brayer, Bernard Buffet, Louis Toffoli. L’accueil est enthousiaste. Dans la foulée, d’autres artistes majeurs rejoignent les cimaises de la galerie : Sonia Delaunay, Fran-Baro, Gougis, Jouenne, Langhoff, Weisbuch, Jauréguy… « Nous allions dans leurs ateliers pour faire leur connaissance, pour les comprendre, pour découvrir leurs inspirations… Tout se joue dans une relation de grande confiance et de partage, qui peut aller jusqu’à de l’amitié » pétille Philippe.
Ce métier réserve quelques surprises et beaucoup d’émotion. « Au démarrage, on présentait des artistes deux fois plus âgés que nous. Je me souviens encore de Philippe, dépité : un client voulait rencontrer son père avant de lui acheter un tableau » s’amuse Marie-José. « A l’époque, on achetait à partir d’un certain âge, quand on avait réussi socialement. Aujourd’hui, c’est différent ».
Désireux d’ouvrir le regard à d’autres expressions, le jeune couple expose en 1989 des œuvres de Robert Combas, chef de file de la Figuration Libre du début des années 1980, reconnu aujourd’hui comme un artiste majeur de la peinture contemporaine française et internationale.
« Robert Combas a participé à la révolution de l’art contemporain, fin des années 1980, avec un travail un peu brut. A l’époque, la peinture était dans le domaine de l’abstraction, de l’informel… lui est revenu au figuratif avec des histoires. Quand il était gamin, il dessinait beaucoup et il a retrouvé cette dynamique de la couleur, du mouvement… qualifiée de figuration libre. La première exposition à Pau, personne ne l’a regardée.» se souvient Philippe.
« Lorsque nous avons exposé Robert Combas pour la première fois, c'était un choc pour beaucoup. Les visiteurs étaient déroutés. Il fallait expliquer, accompagner. Quand il y a une rupture visuelle, il faut que les gens s’habituent. Comme on éduque l’oreille à la musique, il y a une éducation à la peinture… D’où l’intérêt de travailler sur la durée avec les artistes pour les installer dans la galerie, dans l’environnement… Un vrai travail. Tout met beaucoup de temps » complète Marie-José.
En 1998, la galerie déménage en plein centre de Pau, place Clemenceau, après s’être implantée à Biarritz, avenue Reine-Victoria, en 1991, puis à Bordeaux en 1993. La signature Bouscayrol prend du corps.
Une philosophie fondée sur la fidélité
Depuis ses débuts, la Galerie Bouscayrol cultive une approche résolument humaine : créer une passerelle entre l’artiste et le public. D’un côté comme de l’autre, l’accompagnement est indispensable pour créer des relations de confiance et durables. « Nous privilégions le travail sur la durée, confie Philippe. « Nous suivons nos artistes pendant des années, parfois des décennies. C’est un vrai compagnonnage ».
Aujourd’hui, les artistes travaillent différemment : « Quand j’ai débuté, les artistes avaient souvent un grand nombre de toiles disponibles. On prenait le temps de choisir des œuvres dans les ateliers tout en échangeant avec l’artiste sur ses projets, son travail. Désormais, ils ont peu de fond d’œuvres et, surtout s’ils sont très sollicités, avec des plannings précis et très organisés. Une exposition s’anticipe sur 1 an ou 2, se prépare sur plusieurs mois et sur des projets précis et ciblés. »
La galerie a multiplié aussi des participations aux salons d'antiquaires. « Nous aimions présenter l’art contemporain dans ces contextes », explique Marie-José. « Cela montrait que peinture actuelle et mobilier ancien pouvaient dialoguer avec élégance. Nous y avons rencontré un nouveau public d’amateurs ».
L’émergence d’une nouvelle génération et n lien fort avec les artistes
Alors que Marie-José et Philippe poursuivent leur engagement, une nouvelle voix s'élève au sein de la famille : celle de leur fils, Barthélémy. Après des études de commerce à Bordeaux et à Chicago, il choisit de tracer son propre chemin. En 2015, il ouvre sa propre galerie, reprenant l’espace de ses parents à Biarritz, mais avec une approche plus contemporaine.
« Je voulais proposer autre chose. Aller vers des expressions différentes, plus en phase avec mon époque : art urbain, abstraction contemporaine, installations »…
Barthélémy développe une programmation dynamique, présentant des talents émergeants aux côtés d’artistes confirmés (Speedy Graphito, Jef Aérosol…) et expérimente de nouveaux formats : éditions limitées, interventions immersives, supports numériques. Très vite, il impose sa propre identité, tout en s'inscrivant dans la continuité familiale.
Dans son approche, Barthélémy conserve une constante héritée de ses parents : la proximité avec les artistes. « Je vois les artistes plusieurs fois par an. Je passe du temps dans leurs ateliers. Comprendre l'univers d'un artiste est essentiel pour pouvoir avancer ensemble et mener de beaux projets. Les créateurs avec lesquels nous collaborons sont représentés par 3 ou 4 galeries au maximum. Ils ciblent des projets de qualité plus que la quantité. De notre côté, nous ne vendons pas une œuvre, mais un parcours. Speedy Graphito, par exemple, renouvelle son travail tous les quatre ans, Il réinterprète sans cesse l’iconographie contemporaine. Ce besoin d’exploration permanente correspond exactement à ce que j'ai envie de défendre ».
« Nous organisons une expo individuelle pour chaque artiste tous les 2 ou 3 ans, et nous travaillons avec certains depuis plus de 10 ans. Nous proposons aussi des formats courts qui permettent de faire des focus toute l’année sur des petites séries d’œuvres. Cela avec des talents très variés, je ne m’enferme pas dans un registre particulier. Les nouveaux outils de communication me permettent de concevoir et réaliser la communication intégralement moi-même. » se confie Barthélémy.
Barthélémy communique régulièrement sur les autres projets développés par les artistes, ailleurs, pour permettre aux clients de garder le lien, la connaissance de l’ensemble de leur parcours. « Nous les poussons aussi à amener de nouvelles choses. Nous éditons des livres pour certains. Mais aussi des petites vidéos, ce qui permet encore plus de capter l’attention. Nous montons également des projets en dehors de notre galerie, dans des lieux emblématiques ».
Un laboratoire d’expérimentation et une transition vers un projet commun
Un second espace à Biarritz, sur la même avenue Reine Victoria, ouvre ses portes en 2017. Prolongement de la première galerie, ouverte durant les mois d’été, elle offre aux artistes un espace de liberté pour expérimenter de nouvelles formes hors des contraintes commerciales. « Ils peuvent intervenir sur les murs, le sol, la vitrine… créer des installations immersives. C’est un terrain de jeu fantastique ».
Cette liberté de création séduit. Pour le public, c’est une invitation à entrer dans l’intimité du processus créatif et à mieux comprendre la démarche artistique.
Depuis 37 ans, la famille Bouscayrol travaille main dans la main avec les artistes. « Avec eux, on prend des risques. On sait quand ce sera compliqué pour la vente, mais ça fait partie du chemin. On prend le temps. On organise aussi des rencontres avec les clients pour un contact direct qui apporte une perception de l’œuvre différente. C’est la richesse de ce métier, la dimension commerciale est réelle, mais encore davantage le lien, le partage, la transmission… » sourit Barthélémy.
Aujourd’hui, les deux galeries travaillent en étroite collaboration, tout en conservant chacune leur identité. « Nos approches sont différentes mais complémentaires », explique Barthélémy. « Nous partageons les mêmes valeurs : exigence, fidélité, accompagnement des artistes et des clients. Mais nous abordons les choses avec des esthétiques et des publics différents ».
L’exigence au cœur du métier
Ce qui frappe, dans la famille Bouscayrol, c’est la haute idée qu’ils se font du métier de galeriste. « C’est un engagement total », confie Barthélémy. « Ce n’est pas seulement exposer et vendre. C’est défendre une vision et tisser des liens durables ».
Une exigence partagée par les artistes eux-mêmes. « Nos artistes attendent beaucoup de nous. Ils veulent être compris, soutenus, challengés parfois. C’est une relation de confiance mutuelle » ajoute Barthélémy. « Ceux avec qui j’avance ont une motivation totalement artistique. Ils peuvent avoir des traversées du désert, puis une reconnaissance arrive parce qu’on se rend compte qu’ils ne se sont jamais détourné de leur fil conducteur. Ils consacrent tout leur temps à la création, et ils attendent un galériste dans le même état d’esprit, qui ne va pas les pousser à produire à la chaîne. Notre créneau est aussi d’amener des expressions qu’on n’a pas l’habitude de voir ici ».
Un regard tourné vers l’avenir pour une aventure profondément humaine
Malgré un contexte économique parfois difficile, la famille Bouscayrol continue de croire en l’avenir de la création contemporaine. « Nous devons sans cesse nous adapter », explique Marie-José. « Développer de nouveaux outils de communication, inventer de nouveaux formats d’exposition, toucher de nouveaux publics. » Le développement d’une présence en ligne, la création de contenus digitaux, et l’ouverture vers de nouveaux territoires font partie des projets en cours.
Depuis quelques années, la galerie accompagne également les professionnels dans l’acquisition d’œuvres d’art par le biais de solutions de leasing. Une méthode d’acquisition permettant aux entreprises de soutenir la création contemporaine et de bénéficier de certains avantages.
Au fond, ce qui fait la singularité de l’histoire Bouscayrol, c’est cette dimension humaine, presque familiale, du métier. « Nous avons vu des jeunes visiteurs devenir collectionneurs au fil des années », raconte Philippe avec émotion. « Nous avons vu des artistes éclore, mûrir, parfois traverser des périodes difficiles. C’est cette histoire longue, patiente, qui donne du sens à notre engagement ».
À travers trois décennies, deux générations, et de multiples évolutions, la Galerie Bouscayrol est restée fidèle à elle-même : un lieu d’exigence, de transmission, de passion. Et l’histoire est loin d’être terminée.
Pour découvrir la Galerie Barthélémy Bouscayrol à Biarritz, cliquez ici
Prochains rendez-vous cet été avec une nouvelle exposition de Speedy Graphito qui présentera une série inédite d’œuvres... Vernissage le 5 juillet 2025.
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