L’été, un concert unique se joue dans la montagne pyrénéenne. Une mélodie atypique que seuls les randonneurs et touristes qui s’engouffrent dans les sentiers montagnards peuvent entendre. Il ne s’agit pas là d’un quelconque festival humain, mais plutôt animal. Un son irrégulier, mais entêtant, un son… de cloches.
Ce dernier donne une atmosphère très particulière d’ailleurs : éloignés de toute forme de civilisation (route goudronnée, 4G, wifi…), les randonneurs sont seuls face à la montagne, qui semble jouer un air de musique singulier, rien que pour eux.
Mais que les néophytes se rassurent, il indique simplement qu’un troupeau de moutons, brebis, vaches ou chevaux est en train de paître paisiblement non loin de là. Lors des estives, les éleveurs accrochent des sonnailles (des cloches) à leurs bêtes pour pouvoir plus facilement les retrouver dans la montagne.
Un savoir-faire séculaire
On doit ce concerto exceptionnel à la famille Daban, qui conserve précieusement un savoir-faire séculaire. Depuis des générations, des mains expertes donnent vie à ces "instruments de musique" du bétail, face aux défis du monde moderne.
L’ancrage à Nay remonte à 1795, lorsque Jean-Bernard Daban y établit l'atelier. L'entreprise s'est ensuite installée à Bourdettes, tout en restant fidèle au Pays de Nay. Aujourd’hui, plus de 200 ans après, l’entreprise familiale est la dernière à fabriquer les véritables sonnailles béarnaises en France.
À la tête de l'entreprise depuis près d’une décennie, Nicolas Daban, 48 ans, incarne cette continuité. En 2002, poussé par une conviction profonde, il décide de rejoindre l'atelier familial. Il devient salarié en 2002, avant de prendre la direction de l’entreprise familiale en 2006.
Ce savoir-faire d'exception n'a jamais été consigné dans des manuels. Il s'est toujours transmis oralement, de génération en génération, un geste après l'autre, une technique après l'autre.
Cette décision n'est pas seulement un choix de carrière, c'est un acte de dévotion. Animé par le désir ardent de perpétuer un savoir-faire ancestral, Nicolas fait chanter le métal grâce à un art processus ancestral rigoureux. Celui-ci commence par le façonnage de plaques de tôle d'acier, qui sont ensuite préparées avec un moule en argile. L'étape cruciale est le brasage au four en vase clos, à 1200°C, qui permet de recouvrir les sonnailles de laiton et de leur donner leur caractère unique et leur résonance inégalable.
Une fois démoulées, les sonnailles sont travaillées au marteau pour la "mise à son". C'est là que l'oreille affûtée de l'artisan entre en jeu. Chaque coup de marteau est précis, réalisé avec patience, savoir-faire et amour du travail bien fait.
L'excellence de ce savoir-faire est reconnue au plus haut niveau. L'entreprise est inscrite sur l'Inventaire du Patrimoine Culturel Immatériel du Ministère de la Culture et a été labellisée "Entreprise du Patrimoine Vivant" (EPV) dès 2006.
Ces labels attestent de la rareté et de la valeur de leur artisanat, soulignant leur rôle crucial dans la préservation du patrimoine français. Cette reconnaissance officielle de "Patrimoine Vivant" met en lumière un engagement national à préserver les métiers traditionnels qui sont essentiels à l'identité régionale, démontrant une tendance sociétale plus large à valoriser le patrimoine culturel immatériel.
Entre tradition et modernité
Les Sonnailles sont des éléments essentiels du pastoralisme béarnais : elles sont intrinsèquement liées à la tradition pastorale du Béarn depuis le 17e siècle. Au-delà de leur fonction utilitaire, les sonnailles sont un symbole fort de l'identité béarnaise. Présentes sur le drapeau du Béarn, elles sont liées aux rituels de l'estive, à la fertilité et à la fierté des éleveurs.
Elles donnent également le rythme à la transhumance, cette marche ancestrale des troupeaux vers les estives. Leurs tintements permettent aux animaux de se regrouper, d'être repérables même dans le brouillard, et même d'éloigner les serpents. Un éleveur recherche une harmonisation sonore dans son troupeau, une "musique" qui assure cohésion et confort.
Pour rester compétitive, l’entreprise Béarnaise à su évoluer, sans pour autant perdre ses traditions. La personnalisation des sonnailles est devenue un axe majeur, permettant de créer des souvenirs touristiques, des objets de décoration (comme le Pic d'Ossau) ou des cadeaux uniques, valorisant ainsi le produit au-delà de sa fonction première et ouvrant de nouveaux marchés.
Les Sonnailles Daban proposent également la personnalisation visuelle des sonnailles (marquages, motifs, dates, têtes de brebis, Nœud d'Alves) et offrent des services de restauration, prolongeant ainsi la vie de ces précieux objets.
La capacité des Sonnailles Daban à innover tout en maintenant leur production traditionnelle sur le territoire est la preuve de leur résilience. Elles s'inscrivent dans un mouvement plus large d'entreprises artisanales labellisées EPV qui, malgré les défis (adaptations aux normes, investissements nécessaires), contribuent activement à l'économie locale.
Noémie Besnard
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