Avec ce texte atypique mêlant récits de promenades, souvenirs autobiographiques et observations en tout genre, « l’autre Rosny » nous raconte à sa manière l’Hossegor encore vierge de la Belle Époque. Mais il nous fait aussi visiter une bonne partie du « far west » gascon…
Avec ses Goncourt, ses Rosny et ses Tharaud, la France est sûrement la championne du monde des binômes de frères écrivains. Mais si tous les trois ont accédé à une certaine reconnaissance de leur vivant, il faut bien admettre que la postérité s’est montrée doublement ingrate avec eux : comme s’il ne suffisait pas que leurs œuvres soient pour l’essentiel oubliées, on doit encore faire l’effort de distinguer chacune de ces plumes de sa moitié…
Dans le cas des Rosny, l’affaire n’est heureusement pas trop compliquée. L’aîné est ce pionnier du roman d’anticipation auquel on doit la fameuse Guerre du feu (adaptée au cinéma par Annaud), et le jeune « celui d’Hossegor », qui après la mort de son frère, en 1940, lui succéda à la présidence de l’Académie Goncourt.
Coup de foudre au bord du lac…
Officiellement, c’est par « soif de silence et de solitude » que Rosny jeune vint vers 1903 s’établir au bord du lac d’Hossegor, dans la maison récemment acquise et aménagée par sa nouvelle compagne Marie-Thérèse de Broutelles. En réalité, il s’agissait probablement pour les amants de fuir la réprobation suscitée par leur liaison adultère. Car à cet instant, Justin était toujours marié à sa compatriote belge Marie-Louise Rimbout : leur divorce ne fut prononcé qu’en 1912. Un autre divorce, plus littéraire, précéda d’ailleurs celui-ci de quatre ans : celui d’avec Joseph Henri Boex, dit Rosny aîné.
Dès l’arrivée de Justin au bord du lac, c’est le coup de foudre : « Robinson chante en moi sa chanson divine », écrit celui qui entendait fonder sur place « la colonie d’Hossegor ». Il faut dire qu’ici, en 1903, « on était loin de tout ». Il n’existait autour de cette étendue d’eau que « deux ou trois petites maisons sur sa rive orientale et quelques cabanes de pêcheurs presque invisibles ; une seule maisonnette sur la rive opposée ».
L’auteur décrit très concrètement son sentiment d’isolement : « Le facteur nous apportait nos lettres de Saint-Vincent de Tyrosse. Le plus souvent, il les confiait à un passant quelconque et elles nous parvenaient au bout de quinze jours ! Il semblait qu’on vécût au fond de la Russie ! ». Et même encore plus loin, puisque l’auteur ne craint pas de comparer le fameux « fond du lac d’Hossegor »… à l’une des 36 vues d’Hokusai représentant le mont Fuji. Fond du lac devant lequel « se donnaient les ballets de l’eau et du ciel », et fond du lac où Monet lui-même « aurait trouvé matière à autant d’aspects qu’à ses cathédrales »…
C’est dans cet Eden préservé que notre cadet Rosny attira la petite société littéraire maintes fois décrite depuis, et en particulier ses nouveaux voisins Maxime Leroy et Paul Margueritte, apparemment tout aussi charmés que lui par l’endroit.
En balade en Gascogne…
De l’Hossegor donnant son nom au texte un brin nostalgique de Rosny (d’abord paru chez André Delpeuch en 1926 et agrémenté de 65 dessins du graveur belge Antoine-François Cosÿns), nous nous éloignons assez vite pour explorer tout le pays alentour, en poussant d’un côté jusqu’à Saint-Sébastien et ses « corridas », et de l’autre jusqu’à Bordeaux et ses grands crus, l’un des nombreux dadas de l’auteur.
Entre les deux, nous visitons la sombre cathédrale de Bayonne, nous nous immergeons dans les boues dacquoises, nous descendons le courant d’Huchet avec Margueritte et d'Annunzio et nous séjournons un moment à Mont-de-Marsan, où Rosny semble avoir puisé un peu d’inspiration pour écrire son « Affaire Derive », le premier de ses romans publié en tant que « Rosny jeune » (1909).
Tandis que nous vagabondons avec lui, l’auteur nous gratifie d’assez savoureuses remarques et digressions touchant tour à tour à ce canal d’Hossegor « dû à un rêve imbécile des Ponts et Chaussées », à l’ensablement du chenal de Capbreton, au comte d’Orx qui « ressemblait parfaitement à Napoléon III », à l’agronome Chambrelent et à la loi de 1857 sur la plantation des pins, au tempérament « doux », « sensible » et « généreux » des Landais ou encore à leur gastronomie et à sa graisse parfumée, « joie et honneur de la maison », qui « servira à corser la garbure et les ragoûts » ou à « recouvrir les saucisses et les boudins ».
Finalement, on n’a pas le temps de s’ennuyer avec Rosny jeune qui, encore au début du XXe, parvenait à distinguer dans sa « contrée déserte » les lointaines origines d’« îlots de population gothiques » et de ces belles brunes landaises qu’il voyait issues des Ligures et de fort ancienne aristocratie…
Des Landes… à la Bretagne
Lorsqu’il compose Hossegor…, en 1925, Rosny a quitté les Landes. Il vit en Bretagne, à Ploubazlanec, face à l’île de Bréhat. Marqué par le double suicide de sa sœur et de son neveu (installés quelques temps plus tôt à Capbreton), il est également mis au pied du mur par Marie-Thérèse, devenue sa femme, qui lui reproche ses amours coupables avec Zélie, leur femme de chambre. Un épisode qui paraît avoir été romancé par l’auteur dans Mimi, les Profiteurs et le Poilu (1919), roman un peu « bizarre » dont l’action se situe près d’« un lac salé du bord de l’océan, dans les Landes », et dont le personnage principal hésite entre la farouche Mimi, jeune fille du pays, et Marcienne, la « veuve exquise » de son cousin. Bref, Rosny dut quitter et regretter Hossegor pour garder sa femme. Il emporta dans ses bagages sa documentation sur le conflit séculaire entre Bayonne et Capbreton, dont il tirera en 1931 sa Lutte pour la mer.
L’Hossegor de Rosny est aujourd’hui son œuvre la plus facile à trouver, avec notamment une réédition soignée dans la collection des « Monographies des villes et villages de France », aux éditions du Livre d’histoire, accompagnée d’une fort instructive présentation de Gérard Maignan.
À lire avec un sirop sur une serviette… Au bord du lac, évidemment !
Dessins : Cosyns
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