Apparemment, Les trois mousquetaires de Dumas n’ont pas fait pas partie des 20 classiques les plus lus par les Français pendant le confinement. Ces derniers leur ont préféré des œuvres de Camus, Orwell, Hugo et d’autres. On ne sait pas s’il y a là une injustice, mais on se devait de venir à la rescousse de d’Artagnan et de ses trois compères.
Axonais comme Racine et La Fontaine, Dumas (1802-1870), après s’être longtemps concentré sur le théâtre, s’est lancé dans le roman historique dans les années 1840. À l’époque, le genre avait déjà été très largement exploré : Scott, Vigny, Balzac et Hugo étaient déjà passés par là.
Les Trois Mousquetaires parurent en feuilleton dans Le Siècle de mars à juillet 1844, la même année que les premiers volumes du Comte de Monte-Cristo et que le travail de Dumas sur Louis XIV. Suivront Vingt ans après (1845) et le Vicomte de Bragelonne (1847-1850), qui continuent les aventures de nos mousquetaires et complètent l’une des plus savoureuses trilogies de la littérature française.
La genèse de l’œuvre, écrite en collaboration avec Auguste Maquet, est aujourd’hui bien connue. Il n’est plus vraiment question de discuter l’immense talent de Dumas, qui donnait littéralement vie aux ébauches que lui confiait son assistant. Mais certes, le destin et la postérité se sont montrés plutôt ingrats avec le besogneux Maquet, sans qui Dumas n’eût certainement pas publié autant de romans.
De l’histoire au roman…
C’est entendu : il y a bien eu dans l’histoire un d’Artagnan, le Gersois Charles de Batz de Castelmore, né au début des années 1610 du côté de Lupiac, où l’on recommande d’ailleurs la visite du petit musée dédié au héros de Dumas.
Ce sont des mémoires apocryphes de ce véritable d’Artagnan, conçus par Gatien Courtilz de Sandras et publiés en 1700, qui ont inspiré le célèbre auteur. Dumas en avait emprunté les 4 volumes in-12 à la bibliothèque de Marseille, à laquelle il ne les rendit jamais… pour notre plus grand bonheur.
Un mythe allait naître, « géniale création d’un écrivain en quête d’un second souffle, dont il fera la fortune », pour reprendre les termes de Simone Bertière, à laquelle on doit une édition bien documentée des Trois Mousquetaires, ainsi qu’un riche essai sur l’œuvre.
L’action du roman se situe on le rappelle en 1625. Dumas exploite habilement les flous entourant certains épisodes historiques, à commencer par la fameuse affaire des ferrets de diamants de la reine Anne d’Autriche, relatée déjà par La Rochefoucauld. À partir de celle-ci, l’auteur tisse aisément son canevas.
Au-delà des ferrets, comme l’explique Simone Bertière, « l’histoire est complaisante. Elle fournit à Dumas un épisode déjà romancé », à savoir « l’idylle entre la reine de France et le duc de Buckingham ». Pour l’assassinat de ce dernier, Dumas fait du meurtrier, le puritain irlandais John Felton, la chose de sa terrifiante Milady, elle-même à la solde du cardinal Richelieu. Puis, dans la seconde partie du roman, après une mission en Angleterre, on se transporte au Siège de La Rochelle, plutôt bien décrit, avant de finir entre Béthune et Armentières.
En 176 ans, les historiens et les experts ont eu le temps de décortiquer l’œuvre et d’en relever parcimonieusement les petites erreurs, les oublis et les anachronismes. Car oui, nous sommes dans l’univers du roman : pour nous rendre le monde parallèle qu’il a créé plus vraisemblable, Dumas n’hésita pas à employer (plus ou moins volontairement) des matériaux antérieurs ou ultérieurs au temps de l’action, et ce dans le but de cimenter son intrigue et ses descriptions.
On peut penser que le métier de Dumas n’est pas pour rien dans l’immense et durable succès des Trois mousquetaires. Équilibre des caractères entre ces 4 comparses aux tempéraments à la fois distincts, simples et bien marqués, construction d’une intrigue haletante, gestion du suspense et des rebondissements, fluidité des dialogues : tout y était pour emporter l’adhésion du grand public. Et pour la postérité du roman, se sont greffés à tout cela un style brillant, une verve unique et une langue aussi audacieuse que le héros gascon, avec ses néologismes truculents (sangsurer, mélancoliser), ses termes d’escrime (flanconade, espadonner, etc.) et ses phrases bien charpentées dont la succession crée ce rythme endiablé qui a fait la gloire de Dumas.
Le Gascon vu de Paris…
Avec ces Trois mousquetaires, on peut se faire une idée du caractère gascon, vu de Paris, quelque part entre 1625 et 1844. Faisons connaissance avec le d’Artagnan de Dumas : « Figurez-vous don Quichotte à dix-huit ans ; don Quichotte décorcelé, sans haubert et sans cuissard ; don Quichotte revêtu d’un pourpoint de laine, dont la couleur bleue s’était transformée en une nuance insaisissable de lie de vin et d’azur céleste. Visage long et brun ; la pommette des joues saillante, signe d’astuce ; les muscles maxillaires énormément développés, indice infaillible où l’on reconnaît le Gascon, même sans béret, et notre jeune homme portait un béret orné d’une espèce de plume ; l’œil ouvert et intelligent ; le nez crochu, mais finement dessiné ; trop grand pour un adolescent, trop petit pour un homme fait, et qu’un œil exercé eût pris pour un fils de fermier en voyage, sans la longue épée qui, pendue à un baudrier de peau, battait les mollets de son propriétaire, quand il était à pied, et le poil hérissé de sa monture quand il était à cheval ».
Suit la description de ladite monture, « un bidet du Béarn, âgé de 12 ou 14 ans, jaune de robe, sans crins à la queue, mais non pas sans javarts aux jambes, et qui, tout en marchant la tête plus bas que les genoux, ce qui rendait inutile l’application de la martingale, faisait encore galamment ses huit lieues par jour. Malheureusement les qualités cachées de ce cheval étaient si bien cachées sous son poil étrange et son allure incongrue, que, dans un temps où tout le monde se connaissait en chevaux, l’apparition du susdit bidet à Meung, où il était entré, il y avait un quart d’heure à peu près, par la porte de Beaugency, produisit une sensation dont la défaveur rejaillit jusqu’à son cavalier ».
On vous résume : arrivant de sa province, d’Artagnan apparaît au nord de la Loire un extra-terrestre. On notera que le d’Artagnan de Dumas n’arrive ni de Pau, ni de Lupiac, mais bel et bien de Tarbes. C’est son père, en lui parlant « ce pur patois du Béarn, dont Henri IV n’avait jamais pu parvenir à se défaire », qui l’envoie faire ses preuves à Paris avec sa rossinante et quelques écus : « Vous êtes jeune, vous devez être brave pour deux raisons : la première, c’est que vous êtes Gascon, et la seconde, c’est que vous êtes mon fils ».
D’Artagnan est censé se rendre chez M. de Tréville, autre personnage historique véritable et originaire de Gascogne, qui dans le roman est dit l’ami et le voisin du père de d’Artagnan. Un voisin un peu éloigné, sans doute, puisqu’on sait que le vrai comte de Trois-Villes, Jean Armand du Peyrer, était originaire d’Oloron.
« M. de Troisvilles, comme on appelait encore sa famille en Gascogne », avait commencé comme d’Artagnan, « sans un sou vaillant, mais avec ce fonds d’audace, d’esprit et d’entendement qui fait que le plus pauvre gentillâtre gascon reçoit souvent plus en ses espérances de l’héritage paternel que le plus riche gentilhomme périgourdin ou berrichon ne reçoit en réalité ». Le père de Tréville avait fidèlement servi Henri IV dans ses guerres contre la Ligue (ultra-catholique). Pour le remercier, Henri IV qui, toujours fauché, « paya constamment ses dettes avec la seule chose qu’il n’eût jamais besoin d’emprunter, c’est-à-dire avec de l’esprit », n’avait pu le nantir que d’armoiries au lion d’or et d’une devise (« Fidelis et fortis »).
Avec cela, Tréville n’avait eu en héritage que son épée, « sa franchise toute gasconne », et un trait de caractère un peu discordant : « Quoique Gascon, M. de Tréville n’avait pas l’habitude de promettre ».
Rencontre avec le cardinal…
Chez Dumas, le Gascon est en général « entêté », et a « la réputation de ne point facilement se laisser intimider ». Il vient d’une province où s’échauffent « promptement les têtes ». Plus amusant, l’auteur de la Reine Margot attribue d’autres pouvoirs aux gens d’Adour : « Les yeux des Gascons ont, à ce qu’on assure, comme ceux des chats, la propriété de voir pendant la nuit ». Et puis à tout Gascon ses gasconnades, au sens de propos et de fanfaronnades propres au gens du cru. D’Artagnan lui-même en lâche quelques-unes, comme lorsqu’en Angleterre il affirme que « les Gascons sont les Écossais de la France ».
Même s’il représente une sorte de héros idéal, le quatrième mousquetaire n’a cependant pas que des vertus. Il a aussi d’aimables défauts. Il est jeune et impétueux : il a besoin de la figure d’Athos pour le modérer. Il est aussi « d’un caractère prévoyant et presque avare », et bien entendu fort vaniteux, doté de cet « orgueil naturel aux gens de son pays ». On reconnaît d’ailleurs à distance son « babil gascon ».
« Ah ! Maudit Gascon que je suis, je ferais de l’esprit dans la poêle à frire », se reproche-t-il aussi, plein de cette « imagination gasconne » qui lui fait voir sa fortune future. « Le Gascon est plein d’idées », s’exclame Porthos lorsque d’Artagnan fait ses déductions sur l’enlèvement de sa bien-aimée. Quoiqu’un brin téméraire, c’était donc « un garçon fort sage que notre Béarnais, si jeune qu’il fût ».
On sent bien que Dumas veut adjoindre une intelligence méthodique à la ruse gasconne de son héros, mais il ne pousse heureusement pas jusqu’à faire d’Artagnan plus ingénieux qu’Ulysse ou plus porté à l’abstraction qu’un théologien : il s’amuse même à l’excéder un peu en le plaçant au milieu d’une discussion entre l’ambivalent Aramis, un jésuite et un curé, un de ces fameux débats sur la grâce qui émaillèrent le XVIIe, débats subtils où l’on se coupait les cheveux en quatre et dont rendent compte les géniales Provinciales de Pascal.
Il y aurait donc plus de ruse que de froid calcul dans l’esprit gascon de d’Artagnan. Mais il s’agit d’une ruse que l’auteur ferait presque aussi diabolique que les séductions de sa Milady, d’ailleurs prise à son propre jeu par le jeune garde. « Le Gascon est le diable, rien ne lui échappe », s’écrie quelque part Athos. Le roi Louis XIII lui-même, ayant vent de ses exploits, s’exclame : « Mais c’est donc un véritable démon que ce Béarnais, ventre-saint-gris ! », faisant remarquer à Tréville que « les Gascons sont toujours pauvres ».
Et Tréville de répondre : « Sire, je dois dire qu’on n’a pas encore trouvé des mines d’or dans leurs montagnes, quoique le Seigneur dût bien ce miracle en récompense de la manière dont ils ont soutenu les prétentions du roi votre père ».
Les trois mousquetaires : un indispensable…
Tréville et d’Artagnan ne sont pas les seuls Gascons du roman. On peut également citer Biscarat, l’un des 5 gardes du cardinal avec lesquels nos mousquetaires ont querelle dans la première partie du roman. C’est encore un Gascon têtu, « un de ces hommes de fer qui ne tombent que morts » et qui, quand son commandant Jussac lui demanda de se rendre, « fit la sourde oreille et se contenta de rire ». Ce Biscarat eut meilleur sort que son collègue tarnais Cahuzac, lequel « tomba la gorge traversée d’un coup d’épée » d’Athos.
Dernière petite allusion (et pas des moindres) à notre chère Gascogne : lorsque le cardinal reçoit notre jeune héros, il lui demande s’il est « un d’Artagnan du Béarn », puis à laquelle des branches tarbaises de la famille il se rattache. Le jeune d’Artagnan répond naturellement qu’il est « fils de celui qui a fait les guerres de religion avec le grand roi Henri ». Bref, « ce n’est pas pour rien que l’on a vingt ans, et surtout que l’on est né à Tarbes ».
Évidemment, on ne croise pas que des Gascons dans Les trois mousquetaires. L’on y rencontre aussi des Anglais, bien sûr, et puis un certain soldat suisse, presque aussi drôle que le Nucingen de Balzac : « Dutieu ! Zi zella il être auzi grante tame que son l’égridure, fous l’être en ponne fordune, mon gamarate ! » La transcription hilarante de l’accent allemand n’est pas le seul point commun entre Dumas et son homologue tourangeau.
Outre certains détails comme leur goût pour la physiognomonie, il y a chez ces deux grands auteurs particulièrement prolifiques une puissance de l’imagination assez similaire, un même travail lexical fondé sur un vocabulaire aussi riche que pittoresque, et encore cette espèce de génie de la construction et de la narration.
Pour ceux qui ne sauraient quelle lecture conseiller à leurs jeunes enfants, on n’oubliera pas que des générations de petits Français sont pour leur plus grand plaisir passés par ces trois Mousquetaires et par l’excellent Comte de Monte-Cristo. Et nombreux sont ceux qui en gardent des années plus tard un souvenir ému… Lire Les trois mousquetaires, c’est aussi devenu une tradition…
On ajoutera que d’autres œuvres de Dumas nous ramènent dans la région. On pense en particulier aux « Deux Diane » et à la fameuse série des « Crimes célèbres », dans lesquels est évoquée la ténébreuse « affaire Martin Guerre », du nom d’un étonnant cas d’usurpation d’identité survenu au XVIe siècle en Ariège et dont ledit Guerre, Basque originaire d’Hendaye, fut la victime. Bref, si l’on aime lire et que l’on est un peu gascon (par le sang ou par le cœur), impossible de faire l’impasse sur Alexandre Dumas.
Ah ! On allait oublier : on a appris fin juin, par la voix de Jérôme Seydoux, producteur et propriétaire des cinémas Pathé & Gaumont, que Les trois mousquetaires allaient de nouveau être adaptés au cinéma. Tournage prévu en 2021… Et puis pour finir, plus près de nous, on signalera la parution toute récente d’un nouvel ouvrage de Joseph Miqueu sur les « vrais » mousquetaires, aux éditions du Cercle Historique de l’Arribère.
Ce « Louis XIII et les Mousquetaires » sera une occasion pour les passionnés de prolonger leur lecture de Dumas (et de vérifier, s’il en était encore besoin, que d’Artagnan n’était pas le seul Gascon chez les vrais mousquetaires !).
Allez : un pour tous, tous pour un !
Musée d’Artagnan de Lupiac, cliquez ici
« Louis XIII et les Mousquetaires », de Joseph Miqueu, cliquez ici
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