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La fenêtre dans l'art

Philippe et Marie-José Bouscayrol vous proposent un dernier thème, clin d'oeil de circonstance. Quelques minutes de divertissement à travers des anecdotes et épisodes de l’histoire de l’art…
FENETRE 0
Difficile de dater l’apparition de la fenêtre dans la construction, de connaître le passage de la simple échancrure souvent placée en hauteur, à l’ouverture baignant l’intérieur de lumière et laissant voir l’extérieur.

Au Moyen Âge le développement de la verrerie à vitre dès le XIIIe siècle contribue pour beaucoup à cette évolution tendant vers la fenêtre à croisée que nous connaissons encore. 
 
Et la fenêtre devient un élément décoratif dans l’architecture.
Pas étonnant donc qu’elle soit dès la Renaissance un motif pictural à part entière, qui le restera au fil du temps et souvent bien plus qu’un simple élément de décor…

Riche période que la Renaissance ! 
Le regard s’ouvre au monde avec les grandes expéditions maritimes (Christophe Colomb, Magellan, Jacques Cartier, Vasco de Gama …).

La redécouverte des Antiquités grecque et latine nourrit une pensée humaniste qui place l’homme au centre de la réflexion (Pétrarque, Erasme, More, Montaigne…). 

En peinture, la notion de perspective révolutionne la construction du tableau en introduisant un relief qui valorise la présence humaine.

Le peintre crée un décor, souvent fait de ruines antiques ou d’un paysage, donnant une dimension imposante aux personnages tout en laissant souvent filer le regard vers une ouverture en fond de décor.

Dans le même temps, une bourgeoisie de commerçants se développe et s’enrichit. Elle devient commanditaire de tableaux : des portraits, des natures mortes, des intérieurs… tout ce qui peut refléter le statut social.

En voici quelques exemples.

Albrecht Dürer - Autoportrait aux gants, 1498 - Musée du Prado, Madrid

Dürer (1471-1528) a 26 ans lorsqu’il peint cet autoportrait.

Il a déjà acquis une reconnaissance et un statut qu’il met en scène en se représentant dans de riches atours. Il choisit de se peindre de trois-quarts et non de face, il plante un décor ouvrant vers un paysage sur le fond du tableau, réalisant une synthèse entre les traditions picturales flamande et italienne.

Cette œuvre célébrissime fera école.

[caption id="attachment_121943" align="alignright" width="333"] La fenêtre de Dürer[/caption]

Novateur, on lui doit aussi « le portillon de Dürer » ou « fenêtre de Dürer » inspirée d’une théorie du Traité De Pictura d’Alberti au XVe siècle, qui écrivait : « je trace d’abord sur la surface à peindre un rectangle de la grandeur que je veux, qui sera pour moi une fenêtre ouverte à partir de quoi on peut contempler l’histoire. »

[caption id="attachment_121944" align="alignleft" width="269"] Quentin Metsys - Le prêteur et sa femme, 1514 - Musée du Louvre[/caption]

Dürer imagine une vitre quadrillée fixée dans un cadre en bois à placer entre le peintre et son sujet. Le peintre installe devant lui une feuille quadrillée à l’identique sur laquelle il dessinera et un œilleton (bâton se terminant pas un cercle de bois) devant lequel il place son œil, puis il reporte sur la feuille le motif équivalent à celui vu à travers le quadrillage de la vitre par l’œilleton.

La fenêtre se fait une place de diverses manières dans les peintures de la Renaissance et devient, subtilement, aussi bien ouverture vers l’extérieur que reflet d’un intérieur. Chaque option, parfois combinée, dévoilant beaucoup dans un petit espace et conviant le spectateur dans l’intimité des bourgeois de l’époque…

Le prêteur et sa femme ou Le banquier et sa femme, de Quentin Metsys (1466-1530) est une mine d’informations et joue avec la perspective en divers endroits.

A droite, une porte entr’ouverte laisse voir deux personnes conversant ;
une carafe en verre sur une étagère, en haut à gauche, reflète la fenêtre.

Arrêtons-nous sur le petit miroir convexe posé devant le couple.

Qu’y voit-on ? 
Le reflet très précis de la fenêtre à croisée qui élargit la scène d’intérieur vers un extérieur identifiable : d’un côté, le visage du banquier se reflète sur un carreau, mais la croisée ouverte renvoie l’image d’un paysage urbain avec une façade de maison et, sur fond d’arbres, la flèche d’un beffroi de quelque ville flamande. 
Petit détail que ce miroir dans l’ensemble de la composition, mais riche d’enseignements !

[caption id="attachment_121946" align="alignleft" width="300"] Johannes Vermeer - La liseuse à la fenêtre, 1658 - et Cupidon dévoilé, Musée de Dresde[/caption]

La liseuse de Vermeer (1632-1675) fixe un moment d’intimité de cette jeune femme en train de lire une lettre.

La fenêtre est ouverte, elle donne une lumière directe sur la lettre, le centre du thème, et reflète le visage de la liseuse.

Mais ce tableau a une histoire... En 1979, une analyse aux rayons X avait révélé la présence d'un angelot sur le mur beige du fond et il était considéré que Vermeer, in fine, l'avait recouvert d'une couche de peinture pour quelque raison ignorée. 
Lors de sa complète restauration entamée en 2017, une technique plus précise a permis de découvrir que le Cupidon avait été recouvert bien des années après la mort de Vermeer en 1675... pour des raisons toujours inconnues.

Revenons à nos fenêtres... A priori, simples éléments de compositions centrées sur les personnages, elles en disent bien plus long qu’il n’y paraît sur les modes de vie, les intérieurs, les activités ou encore l’intimité des contemporains de l’époque…
La fenêtre source de lumière est aussi assimilée, dans les thèmes religieux, à la présence divine.

[caption id="attachment_121947" align="alignright" width="216"] Edouard Manet - Le balcon, 1869 - Musée d'Orsay[/caption]

Traversons le temps... jusqu’au XIXe siècle pour trouver Le Balcon peint par Edouard Manet (1832-1883). Présenté au Salon de 1869, le tableau choque la critique par… la couleur verte des volets, mais aussi le bleu de la cravate, le puissant contraste du blanc des robes avec l’intérieur sombre.

Et surtout, ce tableau ne raconte rien, ce qui fait dire à Cham, caricaturiste à la mode, « fermez les volets ! ». 

S’il est vrai que les personnes représentées : Berthe Morisot à gauche, Fanny Claus, violoniste et le peintre Antoine Guillemet, ne semblent avoir aucun lien, la composition renvoie cependant au tableau de Goya Las majas en el balcon peint au début du siècle.

[caption id="attachment_121948" align="alignleft" width="199"] Berthe Morisot - Jeune fille lisant - pastel - Bemberg Fondation, Toulouse[/caption]

Berthe Morisot (1841-1895), fut avec Mary Cassatt et Eva Gonzalès, l’une des rares femmes peintres au temps de l’impressionnisme. Nous venons de la découvrir, toute jeune femme au balcon d’Edouard Manet dont elle épousera le frère Eugène.

Elle a souvent recours, comme dans ce pastel non daté, Jeune fille lisant, à un cadrage installant la scène entre intérieur et extérieur pour inviter le spectateur dans une intimité familiale toute de sérénité, empreinte de rêverie. Fenêtre, balcon, véranda jouent souvent un rôle dans ses compositions.

Rien de mièvre cependant dans la peinture de Berthe Morisot qui, au contraire, sera remarquée pour son indépendance et sa liberté de faire.

[caption id="attachment_121949" align="alignright" width="197"] Matisse - La fenêtre à Collioure, 1905[/caption]

L’année 1905 marque une étape importante dans l’émancipation de la peinture avec le fauvisme. Mouvement qui privilégie les couleurs pures, puissantes, et allonge la touche qui donne la forme. Matisse (1869-1954) en sera le chef de file avec Derain et Vlaminck notamment.

Les tableaux qu’ils présentent au Salon de 1905 inspirent au critique Louis Vauxcelles l’épithète de fauves donnant son nom au fauvisme .
 
Le tableau ci-dessus, La fenêtre à Collioure de 1905 est de cette période fauve. 
Matisse l’évoquera en 1942 : « Pour mon sentiment, l’espace ne fait qu’un depuis l’horizon jusqu’à l’intérieur de ma chambre-atelier, et que le bateau qui passe vit dans le même espace que les objets familiers autour de moi, et le mur de la fenêtre ne crée pas deux mondes différents. »

[caption id="attachment_121950" align="alignleft" width="215"] Matisse - La porte-fenêtre à Collioure, 1914 - Musée national d'art moderne, Paris[/caption]

On retrouve ce thème de la fenêtre ouverte dans toute l’œuvre de Matisse. 

Mais La porte-fenêtre à Collioure de 1914 est d’une toute autre facture.
Les montants de la fenêtre deviennent l’œuvre, occupent tout le champ de la toile.

Terminé le rapport intérieur/extérieur, la fenêtre paysage.

Matisse a recouvert le paysage et le balcon d’un badigeon noir. Le tableau se résume à une verticalité de couleurs et la fenêtre devient une métaphore du tableau.

[caption id="attachment_121951" align="alignright" width="241"] Marc Chagall - Paris par la fenêtre, 1913 - Guggenheim museum, New York[/caption]

Comment ne pas évoquer le célèbre tableau de Marc Chagall (1887-1985), Paris par la fenêtre peint en 1913.

Le peintre né en Russie, arrive à Paris en 1910 et plonge dans le bain artistique de l’époque. Paris devient sa deuxième ville de cœur sans qu'il renie ses origines. 
L’imposante fenêtre colorée ouvre sur un intérieur/extérieur, symbole de cette dualité culturelle que l’on retrouve aussi dans le double visage de l’homme tourné vers ses deux pays.

Les couleurs, la lumière, la tour Eiffel, des personnages en apesanteur, un parachutiste… Chagall a 23 ans, il peint Paris comme une fête, un lieu de tous les possibles, et les codes de son œuvre traversent déjà ce tableau.

[caption id="attachment_121952" align="alignleft" width="186"] Magritte - la condition humaine, 1935 - National gallery, Washington[/caption]

Pour le peintre surréaliste René Magritte (1898-1967): « les titres des tableaux ne sont pas des explications et les tableaux ne sont pas des illustrations des titres. » On ne saurait mieux dérouter le spectateur. 

Et la composition dans son aspect froid et descriptif n’aide pas davantage. L’ouverture vers un paysage à la fois identifiable mais non réel, fut souvent utilisée par Magritte.

De même que, comme ici, le tableau peint dans le tableau représente… le thème vu par la fenêtre dans le tableau… vous nous suivez ?

Ainsi travaillait Magritte, déranger pour reconstruire, déconstruire pour déranger… Les mots et l’œuvre participant de ce tout.

[caption id="attachment_121953" align="alignright" width="356"] Edward Hopper - Cape Cod morning, 1950 – Smithsonian museum, Washington / Morning sun, 1952 - Columbus museum[/caption]

Edward Hopper (1882-1967) est le peintre d’une Amérique au tournant de l’urbanisation des années 1930 et de son lot de solitude, de désenchantement, d’anxiété, mais aussi d’attente, d’espoir, de désirs.

La fenêtre devient un écran et non plus une ouverture ou un appel. 
Elle isole, compartimente les individus. Le spectateur est tantôt derrière la vitre, hors de portée des personnages, tantôt à côté d’eux regardant dans la même direction d’une fenêtre qui, souvent, n’ouvre sur rien ou vers un ailleurs invisible.

[caption id="attachment_121954" align="alignleft" width="243"] Robert Combas - La fenêtre optimiste, 2008[/caption]

Terminons avec La fenêtre optimiste de Robert Combas, le grand peintre de la Figuration Libre.

Un homme et une femme se rapprochent et forment le cadre d’une fenêtre qui ouvre sur un ciel bleu tacheté de nuages blancs pommelés. Un bouquet occupe l’embrasure.

A sa manière Combas construit une œuvre aux confins d’une tradition et de son imaginaire. Le bouquet devant la fenêtre compte parmi les thèmes classiques de la nature morte. La présence d’un homme et d’une femme est courante dans la peinture de Combas. On peut imaginer ici la complicité, l’amour de ce couple solide face au vide et à l’infini que symbolise le ciel. 
 
Disons le tout net : nous n'imaginions pas combien cet élément d'architecture tenait une place à part chez de grands maîtres de la peinture à travers les siècles. Nous voulions vous faire partager quelques-unes des oeuvres marquantes sur ce thème.

En espérant qu'à votre tour vous trouverez désormais à vos fenêtres un charme voire un mystère insoupçonné...

Marie-José et Philippe Bouscayrol

Informations sur la Galerie Bouscayrol – cliquez ici

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