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ARTPierre Bonnard, le peintre du bonheur et sa muse

Pierre Bonnard : Philippe et Marie-José Bouscayrol vous apportent quelques minutes de divertissement à travers des anecdotes et épisodes de l’histoire de l’art…
BONNARD 2
A partir de leur rencontre en 1893 à la descente d’un tramway, Marthe, née en 1869, est le modèle, la muse, l’épouse, omniprésente dans l’œuvre de Pierre Bonnard, né en 1867.

Le corsage rouge, 1925 - 50 x 52 cm musée national d'art moderne – Paris (portrait de Marthe)

Mais Marthe a aussi le défaut de réécrire sa vie... ce qui aura de fâcheuses conséquences jusque bien après sa mort.

Pierre Bonnard est, au cœur de l’impressionnisme, un peintre inclassable. Considéré comme l'un des grands coloristes du XXe siècle, ses peintures ornent aujourd'hui les cimaises des plus grands musées de la planète. Insensible aux mouvements modernistes de son temps, fauvisme, cubisme, surréalisme... il a poursuivi une quête esthétique personnelle autour de la couleur.

Pour lui, « la peinture doit revenir à son but premier : l'examen de la vie intérieure des êtres humains ».

Photo à la Une : autoportrait, 1889 (vendu en 2015 pour 970 000 €)

[caption id="attachment_121330" align="alignleft" width="265"] La grande salle à manger dans le jardin,1934-35 - Minneapolis, Institute of Arts[/caption]

Né près de Paris dont il ne s’éloigne jamais longtemps, Bonnard privilégie une démarche intimiste nourrie de sa quête d'un bonheur simple du quotidien. Il est le peintre du temps arrêté ; il ne travaille qu’en atelier, hors du motif, son exceptionnelle mémoire lui renvoyant images et sensations au service d’une œuvre qui célèbre l'instant.

[caption id="attachment_121331" align="alignright" width="232"] Le cabinet de toilette, 1932 - MOMA, New York[/caption]

Comme il est de tradition à son époque, Bonnard a recours à des modèles. En ce jour de 1893 il aborde la jeune et gracile Marthe et lui propose de poser pour lui. Ils ne se quitteront plus.

Marthe débarque dans l’œuvre de Bonnard, l’inspire, la transcende. Elle offre à l’artiste sa silhouette légère. Il peint Marthe au bain, Marthe à la fenêtre, Marthe au jardin… il couvre ses toiles des couleurs d’un bonheur chaque jour renouvelé.

Au moment de leur rencontre, elle lui a dit s’appeler Marthe de Méligny, orpheline, sans fratrie, d’une famille d’aristocrates. Seule au monde donc. Pourtant, lorsqu'ils se marient en 1925, Bonnard va faire une découverte pour le moins surprenante…

Mais pourquoi ce mariage alors qu’ils ont 56 et 58 ans, qu’ils vivent ensemble depuis plus de 30 ans ?

Bonnard qui n’a jamais été un modèle de fidélité, n’a pas renoncé à quelques aventures galantes… arrive ainsi Renée Montchaty, une artiste plus jeune que lui, qui traverse un temps l’existence du peintre. Est-ce l’aventure de trop ? Renée menace-t-elle l’avenir du couple ? On ne sait.

Toujours est-il que le mariage assure à Marthe l’officialisation du couple.

[caption id="attachment_121333" align="alignright" width="192"] Pierre et Marthe Bonnard sur les bords de Seine[/caption]

A la production des papiers officiels pour le mariage, Bonnard découvre que Marthe de Méligny s’appelle en réalité Marie Boursin, qu’elle descend d’une famille modeste du Berry. Mais elle semble bien être orpheline et sans fratrie, rien de nouveau de ce côté-là.

Il apprend tout de même, impitoyable état civil, qu’elle avait 24 ans et non 16 comme annoncé au moment de leur rencontre…

Puis la vie reprend son cours. Pour Bonnard, Marthe elle est, Marthe elle restera.

Marthe meurt le 27 janvier 1942. Ils étaient mariés sans contrat, donc sous le régime de la communauté. C’est-à-dire que la moitié des œuvres de Bonnard reviennent à sa femme et donc à ses héritiers…

Bien qu'elle ait toujours affirmé ne pas avoir de famille, le notaire chargé de la succession voudrait tout de même voir une trace testamentaire de la main de Marthe assurant qu’elle lègue tout au peintre dont la part des œuvres qui lui reviennent. Ceci pour éviter une mise sous scellés de l’atelier, le temps d’une recherche d’héritiers éventuels et d'une expertise des œuvres à la date du décès de Marthe.

Bonnard a alors 75 ans, il vient de perdre son épouse, sa muse. La peinture est toute sa vie et fermer l’atelier c’est le priver de vie. Et puis Bonnard n’a jamais eu connaissance d’héritiers et ne doute pas de la parole de sa femme. Or il y aurait eu de quoi…

On ne sait si le précieux document léguant tout au peintre, existait au décès de Marthe. Peu probable étant donné que Bonnard n'était pas très versé dans ce genre de démarche juridique ou administrative.

[caption id="attachment_121335" align="alignright" width="191"] Bonnard photographié dans son atelier par Brassaï en 1946[/caption]

Le 16 décembre 1942, il dépose chez son notaire un testament signé Marthe Bonnard lui léguant sa part de la communauté. Il apparaît que Bonnard l'a rédigé de sa main - ce dont il ne paraît pas se cacher - et il semblerait qu'il l'est daté du 11 novembre 1941, quelques semaines avant le décès de Marthe en janvier 1942.

Toujours est-il que le notaire accepte le document et clôt la succession. On imagine aisément que ce document pourrait se retrouver au coeur d'un litige si des héritiers de Marthe apparaissaient... Antidaté ou pas ? Faux ou pas ?

L'artiste reprend ses pinceaux à l’atelier… Bonnard peint.

[caption id="attachment_121336" align="alignleft" width="260"] Nu à la baignoire, 1940-1946 - Carnegie museum, Pittsburgh[/caption]

Il décède en janvier 1947 et laisse un ensemble impressionnant de plusieurs centaines de peintures (on parle de 700 ou 900), de milliers de dessins et d’aquarelles, et plusieurs ayants droit dans sa famille.

Cette fois-ci le notaire chargé de la succession, et face à l’ampleur de l’héritage, lance une recherche en héritiers du côté de Marie Boursin/Marthe de Méligny…

Et là, surprise ! Marthe avait une sœur ! Une sœur, épouse Bowers, décédée, qui avait 4 filles, des nièces de Marthe donc… Soudain tout s’accélère ! C’est que la peinture de Bonnard vaut de l’argent. L'atelier et son contenu sont mis sous scellés.

C’est le début d’une saga judiciaire qui trouvera son épilogue en… 1963. Mais, promis, on fera court !

Tout commence en 1951, avec un premier procès, suivi de pourvois en appel et en cassation, les familles Bowers et Bonnard s’affrontant sur plusieurs éléments.
 
Les soeurs Bowers, héritières de Marthe, soutiennent que le document établi par Bonnard est un faux, assimilant à un recel les œuvres exclues de la succession.

Elles réclament, à ce titre et selon la loi, que l'intégralité des oeuvres de Bonnard, à la date du décès de Marthe, leur soit attribuée. Elles seront déboutées à chaque étape de la procédure, la bonne foi du peintre étant retenue du fait que Marthe lui avait toujours dit ne pas avoir de famille.

[caption id="attachment_121338" align="alignleft" width="300"] La terrasse à Vernon, 1939 - Metropolitan museum, New York[/caption]

La famille de Bonnard défendra aussi l’argument de la bonne foi du peintre, et sera entendue. Plus intéressant, en matière de jurisprudence, elle fera surtout valoir que les œuvres du peintre, non encore diffusées au moment du décès de Marthe, doivent être exclues de la communauté et donc de la succession.

L’argument est étayé par le fait que les compositions musicales ou littéraires non encore divulguées par leur auteur sont déjà reconnues comme ne faisant pas partie de la communauté légale et sont donc exclues de successions.

En effet, la jurisprudence puis le législateur ont considéré que tant qu'une telle oeuvre n'a pas été diffusée l'artiste peut encore y travailler, la modifier, la détruire, en faire ce qu'il veut.

Mais quid de l'oeuvre picturale ou graphique ?

[caption id="attachment_121339" align="alignright" width="256"] La grande salle à manger, 1934-35 - musée Guggenheim, New York[/caption]

Un arrêt de la cour de cassation, dit « arrêt Bonnard », en date du 4 décembre 1956, reconnaît, en matière d'oeuvre picturale, le droit de finition. Ainsi les oeuvres appartiennent bien à la communauté, mais l'artiste conserve un droit de les modifier, achever, ou supprimer.

Le dernier mot revient en 1959, au terme du marathon judiciaire, à la cour d’appel d’Orléans qui dit que : les œuvres picturales sont au même titre que les compositions littéraires ou musicales exclues de la communauté légale, tant qu'elles n'ont pas été divulguées par leur auteur ; tout acte postérieur de divulgation est resté sans effet sur la composition de la masse partageable.

La cour d'appel d'Orléans a ensuite désigné un collège d’experts chargé de déterminer la masse des œuvres de Bonnard en sa possession au jour du décès de Marthe, d’en déterminer celles qui ont fait l’objet d’une divulgation sous une forme ou une autre, et bien sûr, d’évaluer la valeur de la succession ainsi arrêtée.

Le collège d’experts rendra sa copie en 1963, 12 ans après le premier procès. Ainsi s'achevait la page judiciaire de la succession Bonnard... une parmi les nombreuses procédures que recèlent les annales judiciaires en la matière, tellement il y a de fortunes en jeu au décès de certains grands artistes.

Bonnard, le peintre du bonheur, pour qui « l'oeuvre d'art est un arrêt du temps », n'y aura pas échappé ! La rançon de la gloire, sûrement.

Marie José et Philippe Bouscayrol

Informations sur la Galerie Bouscayrol – cliquez ici

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