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Rencontre avec… Dominique Mockly

Auteur de « La mondialisation décompressée », le président et directeur général de Teréga ouvre des pistes pour repenser l’avenir, dès maintenant, autour de la libération des énergies dans les régions…
TEREGA MOCKLY 10
Décompression des métropoles, décompression des filières et des entreprises, décompression des décisions politiques… Dominique Mockly propose des solutions concrètes.

Son ouvrage s’appuie sur une solide expérience mais aussi sur son vécu à la tête de Teréga qui s’enrichit de son implantation historique dans une ville moyenne, Pau, pour assurer encore mieux ses missions nationales et européennes.

Originaire de Pontarlier, Dominique Mockly a œuvré pendant de nombreuses années au développement de programmes stratégiques au sein de grands groupes. Depuis 5 ans, il pilote Teréga, né du gisement de gaz de Lacq et devenu un acteur majeur dans l’énergie.

Le spécialiste du transport et du stockage de gaz ne se contente pas d’assurer sa mission de service public : il s’est donné une vocation « d’accélérateur de la transition énergétique ». Dominique Mockly et Teréga s’impliquent largement dans la mobilisation des forces vives du bassin Adour Gascogne. Par exemple, dans le cadre de « Territoires d’industrie » Lacq-Pau-Tarbes : un contrat pionnier interrégional.

Pourquoi ce livre ? Une réflexion sur l’avenir ?

Dominique Mockly – Pas seulement. Mon livre est une sorte de manifeste. J’y exprime des convictions, mais surtout des solutions concrètes. Je l’ai écrit maintenant, car je pense qu’il y a une opportunité historique pour repenser nos modèles et changer d’échelle. La pandémie a fait évoluer beaucoup de choses, et l’accélération de la digitalisation ouvre de nouvelles voies.

Qu’entendez-vous par « mondialisation décompressée » ?

D. M. – C’est une mondialisation mieux équilibrée. Ces dernières années ont mis en évidence la nécessité de faire lâcher un certain nombre de contraintes générées par des phénomènes d’accumulation. Ils génèrent des tensions comme on a pu le voir au niveau social avec la crise des Gilets Jaunes, puis au niveau industriel avec la dépendance constatée à l’occasion de la crise sanitaire. Cette problématique d’accumulation est évidente sur le plan territorial avec une forte concentration dans des énormes métropoles Nous devons sortir de cet héritage d’un monde passé. On doit pouvoir réoccuper l’espace et ainsi enlever des pressions excessives. Décompresser.

Vous proposez un rééquilibrage en donnant plus de place aux régions ?

D. M. – Le changement d’échelle est important. Lancer ce mouvement est rendu possible, aujourd’hui, parce qu’il est attendu par l’ensemble de nos concitoyens. Il faut pouvoir offrir des projets de vie en dehors de la capitale. Les entreprises ont un rôle essentiel à jouer en repensant leur organisation territoriale.

Est-il possible de régionaliser l’industrie ?

D. M. - L’un des grands phénomènes de ces dernières années est la désindustrialisation de nos territoires. Or, l’industrie est un élément vital. Il faut vraiment réamorcer cette pompe industrielle dans les régions. Cela sera, de plus en plus, rendu possible par le fait qu’on ne regardera plus les productions à la seule lumière des coûts standards. On devra intégrer le coût complet, y compris celui lié à l’impact sur l’environnement. L’automatisation et l’arrivée du digital à tous les niveaux, dans les produits et dans les process, contribueront à favoriser la relocalisation à proximité de là où se font les conceptions ou à proximité des partenaires et des clients. Les transitions digitales et écologiques nous donnent une opportunité extraordinaire de relocaliser les productions.

Cela va à l’encontre de la mondialisation ?

D. M. – Non. La mondialisation décompressée n’est pas de l’antimondialisation. C’est une façon de regarder la mondialisation avec un éclairage différent pour rechercher comment en atténuer les effets négatifs, comme ceux liés à l’accumulation et à de trop grandes pressions. Le danger de la pression, c’est que lorsque l’on appuie très fort sur quelque chose, il y a un risque de rupture. Dans une métropole, vous faites courir des risques avec des zones qui deviennent difficilement gouvernables. Quand on met trop de pression sur la production agricole, on l’oblige à utiliser des produits qui ne vont pas être compatibles avec l’environnement. Quand vous mettez trop de pression sur les flux internationaux, il y a un danger d’interruption. Concernant le secteur du digital, qui est dans les mains de trop peu d’acteurs, ma conviction est qu’ils vont eux-mêmes se mettre en réseau, avec une part de décentralisation, pour assurer la sécurité de leur système d’information et leur résilience. Il y a de nouveaux équilibres à trouver.

Pour rester sur le numérique, pouvez-vous préciser votre vision ?

D. M. – L’avenir passe par le concept que j’appelle « digital inside ». Il s’agit d’intérioriser le numérique et non pas de le considérer comme un petit plus. Le digital nous permet aujourd’hui de revitaliser industriellement des territoires trop longtemps délaissés. On peut travailler à distance, comme nous l’a montré le télétravail, mais aussi échanger et partager. La pandémie nous a donné l’occasion de redécouvrir les outils. Le redéploiement territorial est possible, il est même nécessaire pour déconcentrer, pour « décompresser » les espaces métropolitains. J’insiste, les entreprises ont un rôle essentiel à jouer dans ce sens, comme les politiques locaux. Travailler différemment, cela veut dire que vous n’êtes pas nécessairement obligé de concentrer vos sièges sociaux dans la capitale.

Mais, les choses peuvent-elles vraiment bouger ?

D. M. – Oui. Je l’ai mesuré concrètement grâce à Teréga et ses 3 dimensions : le territoire, qui constitue son ADN ; le national, avec l’interconnexion de réseaux gérés en commun ; et l’Europe avec les projets transfrontaliers. On voit bien comment les trois dialoguent efficacement. Le fait d’avoir notre siège à Pau ne nous empêche pas de travailler, bien au contraire, nous sommes à proximité du territoire qui nous nourrit. Historiquement, les entreprises se sont installées dans la capitale pour être au plus près des lieux de pouvoir et de décisions. Mais ce n’est plus une nécessité, on peut très bien être basé en région et avoir une cellule à Paris pour la communication et les relations institutionnelles, comme c’est notre cas.

D’autres exemples ?

D. M. – La méthanisation, composante de la transition énergétique, est un premier exemple intéressant, car elle permet de relocaliser des sources d’énergie dans les territoires. On voit aussi l’émergence de microsystèmes qui sont générateurs d’activités. De même, il y a aujourd’hui de nombreuses initiatives autour de ce qu’on appelle les circuits-courts. C’est un regard porté par le monde des agriculteurs, ceux de l’agroalimentaire et de la distribution sur une façon de travailler différemment sur un cercle de proximité. Mais, c’est aussi un regard différent porté sur un certain nombre d’activités qui sont traitées au niveau du commerce international. Les productions de masse permettent de réduire les coûts, mais elles ont créé un déséquilibre avec les agriculteurs qui restent sur de petites quantités. S’ils n’ont pas la possibilité d’organiser les circuits courts, ils disparaissent. Or, cette activité locale porte de la qualité mais aussi l’image d’un terroir. Il faut pouvoir développer les deux : des productions centralisées et des productions décentralisées. Aujourd’hui, grâce au digital, grâce à la remise en cause de certains business models, on doit pouvoir faire émerger davantage ces productions plus locales, très caractéristiques de nos territoires. Il faut que tous ces écosystèmes se parlent entre régions et nation.

Justement. Et les politiques dans tout ça ?

D. M. - Là aussi, il faut savoir rééquilibrer le dialogue, trouver les bons dispositifs. Dans mon livre, je parle d’une évolution possible pour le Sénat en citant l’exemple de la Suisse avec la Chambre des cantons qui porte les intérêts régionaux, à côté du Parlement qui porte les intérêts nationaux et la législation. Ces deux assemblées prennent des décisions totalement collégiales, car la façon de vivre localement est essentielle pour eux.

Et sur le plan régional ?

D. M. – Il y a un très bel exemple ici, avec la démarche « Territoires d’industrie » Lacq-Pau-Tarbes. On voit bien toutes les possibilités qui s’ouvrent en mettant ensemble des industriels. Avec l’émergence de projets très innovants dans de nombreux domaines, surtout dans cette période où l’on doit se réinventer. C’est le cas, par exemple, de l’aéronautique et du défi que les industriels doivent relever : fabriquer des avions moins polluants. On voit à quel point, en fédérant des énergies locales, on peut dégager des moyens et des capacités très importants.

Vous parlez aussi de responsabilité des entreprises ?

D.M. – D’abord, toute entreprise sur son territoire porte déjà la responsabilité d’exister, avec les emplois et les retombées qu’elle génère. Ce n’est pas rien. Mais, elle a aussi une responsabilité sociétale et environnementale (RSE). Aujourd’hui, je pense que le mot résilience et le mot sécurité doivent entrer pleinement dans l’entreprise. On n’est pas une entreprise responsable, si l’on n’imagine pas les défaillances potentielles du système dans lequel on est et qui pourrait faire que notre service ne soit plus rendu demain. C’est d’autant plus vrai pour nous, à Teréga, et nos infrastructures sont construites en conséquence. Chaque entreprise a un peu de cette souveraineté entre ses mains. C’est pour ça que je propose que la RSE soit étendue à ces aspects de résilience et de souveraineté. Cela ferait progresser la mondialisation vers une meilleure gestion des risques ainsi que vers une meilleure utilisation des territoires.

Revenons aux grands groupes. Pensez-vous vraiment qu’ils vont revenir vers les régions ?

D. M. – Oui, parce qu’il y a une prise de conscience accélérée par la pandémie. Ce que je souligne dans mon livre, c’est que, même si un grand groupe décide de ne pas délocaliser son siège, il peut délocaliser un certain nombre de services. Beaucoup ont déjà des filiales ou des établissements dans les territoires qui peuvent accueillir ces évolutions. Une entreprise n’est pas seulement là afin de produire pour des clients externes, elle a aussi, et de plus en plus, une responsabilité locale. Je crois aussi qu’il serait pertinent que les rapports RSE ou Développement durable soient faits non pas uniquement au niveau du groupe, mais à l’échelle des établissements. Je pousse aussi, pour que les établissements aient plus d’autonomie pour organiser eux-mêmes leurs actions solidaires, pour qu’on leur redonne de la marge de manœuvre, parce que le territoire fait partie des éléments qui doivent compter. Dès que l’on est quelque part, on est acteur.

« La mondialisation décompressée » par Dominique Mockly, éditions Débats Publics - cliquez ici

Informations sur Teréga, cliquez ici

Lire notre article d’octobre 2020 sur Teréga, cliquez ici

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