Dans les Landes, le rugby c’est la culture. Et Dédé Boni fut un grand passeur de culture. Il fut un créateur-ingénieur du rugby. Virtuose du cadrage débordement, il inventa la « passe croisée » et bien d’autres finesses et stratégies du jeu de trois-quarts à la française.
Des centaines de plumes et de claviers vont louer mieux que moi les hauts faits de cet artiste du ballon ovale, qui fut pour les Landes ce que fut Jean Dauger pour le pays Basque. Les deux seront encore comparés et cités aux quatre coins du globe pour saluer le « french flair » et le génie français du maniement de l’ovale.
Mais, je suis l’ami de son ami qui est son alter ego dans la renommée rugbystique. Et je crois savoir ce que Pierre Albaladejo me laisserait écrire sur André Boniface. Car Pierrot Bala et Dédé Boni, ce fut l’amitié « à la vie-à la mort ». Ils ont tout fait ensemble ou vis à vis l’un de l’autre. Outre la gloire, nombre d’évènements symétriques ont scandé, buriné, martelé la vie de ces deux frères de coeur que tout eut pu opposer. « Fratrie » est le thème commun de leur destin croisé.
Boni et Bala ont tous deux vu leur vie de champion basculer quand Raymond Albaladejo en 1964 et Guy Boniface en 1968 disparurent dans des accidents de voiture. Leurs frères étaient aussi de grands joueurs de rugby et tous les quatre avaient joué, les uns contre les autres, la grande finale Mont-de-Marsan/Dax de 1963 que l’on va encore et encore raconter. Oui, ce jour-là André Boniface fut le capitaine de l’équipe qui ramena dans les Landes le bouclier de Brennus conquis à Bordeaux.
Mais que me laisserait écrire sur son ami André, mon ami Pierrot ? Tout est consigné dans notre livre publié en 2023. Bala m’avait, avec son indulgente finesse, suggéré d’étoffer le paragraphe sur son appréciation des grands trois-quarts-centres de son époque, car il trouvait que la valeur qu’il attribuait à André méritait mieux que mon texte en projet. J’avais alors pensé à l’anecdote racontée par Jean Lacouture dans la préface du deuxième tome de sa trilogie sur De Gaulle. D’un petit livre qu’il lui avait consacré voici vingt ans, De Gaulle avait simplement dit : « Je crains que l’auteur n’ait pas tout à fait pris la dimension du personnage… ». Mais Bala n’a pas attendu vingt ans que je reprenne la dimension de « son » Boni…
Et voici l’extrait du paragraphe « les bons contes font les bons amis » qui met en scène le conteur nº10 Albaladejo sur son compère 3/4 centre, André Boniface :
« …Et puis, il reste André. Celui des deux frères Boniface qui a survécu à leur légende. « Quel est le meilleur des frères Boni ? » disait-on. « Celui qui n’a pas le ballon ! »
« Tout aurait pu opposer Bala à Boni, les capitaines landais du match du siècle. Leurs personnalités ont été faussement perçues aux antipodes l’une de l’autre. L’adolescence, l’amitié et l’admiration mutuelle ont tranché. L’un ouvrant une voie royale à l’autre, artiste-premier-centre des plus belles envolées sous le maillot bleu. Entre « Monsieur Drop » et son compère de jeu du temps scolaire des cadets de Dax, la vie a marqué son empreinte. Elle ne les a jamais éloignés. »
« Comme une passe croisée d’André à Pierrot. Croisée comme le destin de ces deux grands Landais, nés avec quelques mois de différence, à quelques kilomètres de distance, sous la même bonne étoile. »
(Dans la peau d’Albaladejo – rugby, feria, Bala, Philippe Darmuzey, Editions Sud Ouest, 2023)
L’étoile d’André vient de s’éteindre. Mais son oeuvre terrestre restera gravée dans la mémoire collective et la culture du rugby. L’ingénieur de la « passe-croisée », cette invention qu’il expérimenta in situ avec son frère Guy, restera dans le coeur et l’esprit des aficionados Landais et de l’ovalie globale. Que Dieu nous préserve de la voir disparaître sous l’appellation multiforme et vulgarisée de « chistera ». Car, elle fut créée ex nihilo et son application par les frères Boni ne laissa pas, hélas, de trace écrite à l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle.
Soit ! Alors militons pour l’inscription de la « passe-croisée » au patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
Philippe Darmuzey, Hossegor le 8 avril 2024.
Obsèques à Montfort en Chalosse
La cérémonie religieuse sera célébrée le lundi 15 avril , à 15h30 en l'église Saint-Pierre de Montfort-en-Chalosse. Un dernier hommage peut lui être rendu au funérarium d'Hossegor, salon Chalosse, jusqu'à dimanche.
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