La dame chère au mec d’Astaffort avait trente ans quand elle avait débarqué en Haute-Savoie, avec des rêves, des envies, « des projets pour les hommes comme la nature/ faire tomber les barrières, les murs, /les vieux parapets d'Arthur. » Elle voulait « confier son cœur/au pouvoir des fleurs/ jasmin, lilas. » Les fleurs étaient ses « divisions, ses soldats/pour changer tout ça ». C’est ce qu’elle disait, qu’elle fredonnait.
La dame de Haute Savoie avait retapé, elle-même, le vieux chalet devant lequel, lors de son arrivée dans la vallée, sa caisse était tombée en rade. Mort, le moteur. Elle y avait vu un signe : sa place était là. Le chalet, elle l’avait acheté. Elle avait repeint les volets. Elle était montée sur le toit à plusieurs reprises pour ramoner la cheminée, remplacer quelques ardoises. Cela lui avait pris du temps, occasionné bien des courbatures, mais, dans son chalet, dans la main verte de la vallée, elle dormait comme elle n’avait jamais dormi auparavant, enveloppée par la nuit. Elle s’était débarrassée de son réveil. Elle n’était plus l’esclave des sonneries, la dame de Haute Savoie. Elle n’obéissait à personne, n’avait pas de patron, de chef de rayon. Le vent lui tenait compagnie, soulevait ses cheveux. Le soleil se posait sur ses épaules comme un chat, et elle découvrait, émerveillée, le charme de la pluie. On lui avait répété sur toutes les chaînes de télé au moment de la météo que la pluie n’était que « mauvais temps ». Elle découvrait en Haute Savoie que la pluie, c’était d’abord un orchestre. L’orchestre des gouttes. Ah le solo des gouttes sur le toit, leur chant dans la gouttière ! Un chant qui l’enivrait, qui la poussait hors de sa chalet, et toutes les gouttes tombaient sur elles, glissaient le long de son corps.
En ce temps-là, la dame de Haute Savoie ne pleurait pas, sauf quand elle avait du chagrin, quand un homme, après avoir passé la nuit dans son chalet, repartait à l’aube. Elle savait qu’elle ne pouvait le retenir, qu’il ne lui appartenait pas. Elle savait tout cela, ils en avaient parlé. Mais chaque fois, elle pleurait. Et elle aimait ses larmes. Les larmes, c’était sa pluie à elle, une petite averse salée qui faisaient briller ses yeux si clairs.
Aujourd’hui, la dame de Haute-Savoie pleure tous les jours et cache ses yeux irrités derrière des lunettes de soleil. Elle pleure, non à cause d’un homme qui ne viendrait plus dormir chez elle mais de la pollution, des pics de pollution. Elle pleure, et elle tousse. Et les fleurs, « jasmins, lilas » qui étaient « ses divisions, ses soldats » toussent aussi.
Christian Laborde
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