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À travers Raymond Mastrotto, le «taureau de Nay», rendons hommage aux sans grade du Tour

C’est parti pour un Tour ! Ce qui signifie que nous avons adopté, depuis une semaine, la position avachie dans ce fauteuil en véritable simili cuir de buffle, qu’il va falloir songer à balancer à la décharge, pour cause de ressorts saillants. Tu t’en charges, maman ?
Raymond Mastrotto gagnant de l'étape passant la ligne d'arrivée à Pau©Raymond Mastrotto / photo Sud Ouest

Le Tour. Une vraie addiction. Même si on se doute des noms du vainqueur final, du souverain à pois de la montagne, et de monsieur géant Vert. Un peu comme au foot avec le Real ou le PSG : ce sont rarement Osasuna ou Chevilly-Larue qui l’emportent. Quoique nos champions de la pédale doivent beaucoup à ces obscurs, ces sans grade, ces gregorios qui se mettent chiffon pour leur permettre d’honorer leurs rangs. Ce n’est pas pour rien que le vainqueur du Tour reverse ses gains à l’ensemble de ses coéquipiers. Il sait ce qu’il leur doit. Ne pleurez pas, il lui en reste assez pour vivre dans la soie.

Dans cette catégorie, le Béarnais Raymond Mastrotto est à asseoir devant l’Horloge du Pavillon de Sèvres, tant il est régulier et exemplaire. On le découvre se crevant la paillasse auprès du Grand fusil, le volubile Raphaël Geminiani, de l’étoile filante Roger Rivière, mort trop jeune dans la dope médicinale et la souffrance, de l’Aigle de Tolède Federico Bahamontes et de notre Dédé Darrigade (toujours vaillant du haut de ses 93 ans). Cela n’empêche pas Raymond de figurer honorablement au Critérium du Dauphiné libéré, au Grand Prix du Midi Libre, et même sur le Tour de France, qu’il court durant huit saisons, avec en 1967 un exploit sur l’étape Pau–Luchon. 250  kilomètres à se fader, avec au menu les cols de Peyresourde, Aspin, Tourmalet et Aubisque, où il revient tel un petit bolide sur le groupe de tête dans la descente, place selon son expression une « figasse », avant la traversée de Nay pour franchir la ligne en vainqueur à Pau. L’Almanach Vermot cycliste a retenu son mot à l’arrivée : « Je suais tellement que je graissais ma chaîne ». Beurk, on ne veut pas savoir.

Et comme ce billet vélocipédique est dédié aux serviteurs de la petite reine, saluons le palois Victor Fontan, le plus grand coureur français des années 20 (comprendre : 1920), maillot jaune sur deux étapes en 1929, qui aurait pu l’emporter s’il n’avait cassé la fourche de son vélo et été obligé de la réparer avec ses petites mains, comme l’exigeait le règlement crétin, sans doute élaboré par un forgeron, ou un esprit pervers. Autre époque. Et autre exemple, également palois, avec Stéphane Augé, opérationnel de 2000 à 2010, coéquipier impeccable, régulièrement classé sur le Tour entre la 115e et la 153e place, alors qu’il aurait pu prétendre à une position plus honorable s’il ne s’était pas sacrifié pour ses leaders.

Enfin, voici dans la ligne droite, venu du diable-vauvert, un autre régional, Gilbert Duclos-Lassalle, un leader celui-là, originaire de Lembeye, avec au compteur une cinquantaine de victoires, dont deux Paris–Roubaix, un Paris–Nice, un Bordeaux–Paris et un Grand Prix du Midi Libre. Ça, c’est du palmarès ! Mais avant d’en arriver là, Gilbert en a bavé, grave. Ainsi en 1977, il passe chez les pros, dans l’équipe Peugeot qui compte plusieurs leaders, dont Bernard Thévenet. Chic, il va pouvoir s’étalonner en côtoyant les meilleurs. L’euphorie ne dure pas longtemps, puisque sur les courses préparatoires de printemps, il est carrément largué par ses copains d’équipe, et envisage de mettre une fin prématurée à sa carrière et de reprendre son job de mécanicien, dans un garage de Pau. La clef à molettes y aurait sans doute gagné, le vélo beaucoup perdu, bien que sur le Tour il n’ait jamais fait des étincelles, sa meilleure place étant la 28e, en 1981.

Comment reconnaître un équipier modèle sur le Tour ? Facile, il porte un casque et des lunettes de soleil, quoiqu’en disant ça on a conscience de ne pas aider vraiment. Alors cherchez plutôt (ouah ouah) en queue de peloton, le gus qui porte les bidons d’eau, refile les musettes aux potes, sa roue à son leader, termine à dix minutes, traite les organisateurs d’assassins et n’est jamais interviewé. Oui, c’est lui. Conscient de vous avoir beaucoup aidés, je retourne à mon fauteuil. Maman, n’oublie pas d’aller à la décharge !

Dominique Padovani

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