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    Edito

    Je suis Charlie

    Voilà, c'était perdu d'avance. Un combat à armes inégales : des crayons à dessin contre des Kalachnikov ; de l'intelligence face à du radicalisme assassin ; de l'humour face à des oeillères intellectuelles ; des envies de démocratie face à des sous êtres qui ne respectent pas l'intégrité humaine.

    Aujourd'hui, je voudrais savoir dessiner, posséder ce talent incroyable de pouvoir, d'un coup de trait, croquer ce que nous, gribouilleurs, mettons parfois un billet d'humeur entier à raconter. Pas pour vexer, pas pour faire mal, juste pour le plus précieux des sésames : un sourire de nos lecteurs, une lueur éclairée dans leur regard.

    Et je me demande comment vont faire tous ces parents, tous ces instituteurs, pour expliquer aux enfants, que faire un dessin, parfois ça peut tuer !

    Il y aura un avant et un après Charlie, c'est certain. Le Canard Enchaîné parle d'un "état de choc qui est aussi un choc d'Etat". C'est un sale attentat que celui-là et un tweet hier m'a interpellée "Charlie Hebdo - 12 morts - 66 millions de blessés".

    Mais…

    PL je-suis-charlieMais le changement que je redoute va au-delà de toutes les belles manifestations que l'on voit éclore sur l'hexagone et partout sur la planète. Peut-être impalpable, peut-être sourd, mais bien réel.

    Et ce changement, à prévoir, c'est lui qui doit inquiéter, davantage même que les faits en eux-mêmes, faisant l'unanimité dans le rejet, l'horreur et le dégoût qu'ils suscitent. Ce changement, c'est le fait de ne plus oser l'insolence. On bâillonne peu à peu la liberté d'expression.

    Le retour de la censure. Chez Charlie, dans les interdits rédactionnels, il n'y en avait que deux : racisme et antisémitisme. Tout le reste était permis. Et que l'on adhère ou pas, que l'on cautionne ou pas, il fallait ce biais latéral d'expression.

    Jacques Brel assurait, à raison que "L'humour est la forme la plus saine de lucidité". Qui, demain, va oser ce qu'osaient des Cabu, des Tignous, des Charb', des Wolinski ou des Honoré ? Comment combler l'absence de l'intelligence d'un Bernard Maris ? Un trou béant qui n'est pas prêt de se reboucher.

    Combien de créativités vont ainsi s'autolimiter ? Je ne vais pas écrire ceci, je ne vais pas dessiner cela, je ne vais même plus oser le penser. Sait-on jamais, je pourrais en mourir.

    Nous aurions tout pour être des êtres humains d'une grandeur exceptionnelle. Des cerveaux qui font l'admiration des scientifiques, un accès de plus en plus grand au savoir et à la connaissance, et ce qui nous différencie peut-être le plus des animaux : la possibilité du rire.

    Et dans ce monde où tout nous est offert sur un plateau de technologies modernes, que faisons-nous ? Nos esprits reculent. La liberté d'expression, l'aspiration à la démocratie pour tous, le droit des femmes... Je ne parle même pas des sentiments aigres du petit racisme ordinaire, des "bashing" à tout-va et pour tout ou plutôt contre tout.

    Peu à peu, nos esprits se laissent gangrener par la haine facile, le dénigrement systématique et stérile, et au lieu de nous grandir, ces expressions nous rabaissent. Combien faudra-t-il encore d'horreurs pour que la prise de conscience soit effective ? Pas simplement en brandissant des évidences, des solidarités d'un jour avant de retourner à nos bassesses quotidiennes ?

    Aujourd'hui, il faut un soubresaut plus grand, plus haut, plus fort. Définitif. Se refuser à soi-même de tomber dans quelque forme de jugement à l'emporte-pièce, refuser de porter des oeillères, de se laisser happer à notre tour par les radicalismes, quels qu'ils soient. Pour toujours.

    Ce sera difficile, parfois nous abandonnerons et retomberons dans nos pires travers, mais sur le fond, TOUS, nous devons changer.

    Certains scandent "Ils voulaient mettre la France à genoux, ils l'ont mise debout". C'est vrai. Mais pour combien de temps ? Avant que les récupérations politiques n'interviennent, avant que les polémiques ne naissent, et salissent les élans d'un peuple mondial uni autour de valeurs belles et sûres ?

    Pourtant, c'est notre seule arme pour lutter contre la folie de ceux qui font parler les armes à la place des crayons à dessin, ou des ordinateurs des journalistes.

    Il y a ceux qui commercialisent déjà les tee-shirts, "Je suis Charlie" et comptent faire leur beurre sur l'atrocité. Je dis NON. Et puis, j'entends de ci, de là, déjà, des phrases dangereuses : "bizarre, il y avait des Arabes dans les tués, des Arabes qui tuent des Arabes ?", ou "C'est Charb qui était visé", ou pire "Quand même, ils l'avaient un peu cherché, non ?". Là, j'ai envie de hurler. NON !

    Cette horreur n'a rien à voir avec la religion de l'Islam, non ce n'était pas un dessinateur qui était visé, non ils ne l'ont pas cherché. Parce que c'est la démocratie et la liberté d'expression qui étaient visées, point.

    Ces autres qui ont succombé aux sirènes djiahadistes ont amputé leur coeur et atrophié leur cerveau. Charb' leur proposait un combat à armes égales, par dessins interposés, mais c'était leur prêter une âme et un talent plus grand qu'ils ne le possédaient. Bon sang, ce n'étaient que des dessins. Un crayon et une feuille de papier, et beaucoup de talent.

    Les doués ne sont plus tandis que subsiste la haine. Pitoyable. Nous ne parlons pas le même langage. Là où nous raisonnons, ils lapident des femmes. Là où nous rions, ils tuent. Là où nous pleurons, ils se réjouissent.

    Alors oui, vivre debout plutôt que mourir couché, selon la volonté de Charb', mais pas simplement pendant trois jours ou une semaine, pour toujours...

    Je suis Charlie, partout dans le monde, et pour toujours.

    Gracianne Hastoy

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