Regardons ça de près ! Si les paroles s’envolent, c’est qu’elles ont des ailes, comme les rêves. Mon identité est donc onirique. Et je me souviens des mots d’André Breton : « L’homme est un rêveur définitif ». Les paroles s’envolent, nous les regardons s’élever dans le ciel, rejoindre les nuages. Et c’est de la rencontre entre les paroles et les nuages que naissent les souvenirs.
Les écrits restent, oui, mais le plus souvent à quai, lourds comme des containers, tournant le dos à la mer, aux vagues, à l’écume, à la couleur bleu... Et je me souviens de Boris Vian : « Les articles de fond ne remontent jamais à la surface ». Mon identité est moqueuse. Je suis un drôle d’oiseau : un merle.
Donc légèreté de la parole. Cette légèreté n’est pas celle, inerte, du briquet dans la poche, mais celle, animée, de Sylvie Guillem sur la scène de l’Opéra. Les paroles sont Sylvie Guillem. Mon identité est chorégraphique.
Qui suis-je ? Je vous le redis : je suis un homme de paroles. Et je ne suis pas de notre temps. Car notre temps n’est pas celui de la parole, contrairement à ce que pourrait laisser croire la prolifération des haut-parleurs et des écouteurs. Notre temps est celui du bavardage permanent, des mots morts, de cette langue qui ne parle pas et qu’ils nomment langue de bois.
Langue de bois : je ne peux pas laisser passer ça ! Nommer langue de bois une langue qui ne parle pas, c’est outrager les arbres, les forêts, le bois, c’est-à-dire ces « meubles luisants, polis par les ans, dont parlent Charles Baudelaire dans son poème « L’invitation au voyage ». Si leur langue était de bois, ils auraient de la sève à la place de la salive. Si leur langue était de bois, ils auraient sur la langue non un cheveu mais une coccinelle. Si leur langue était de bois, leur bouche serait tapissée d’humus. Si leur langue était de bois, elle serait comprise des rossignols. Leur langue n’est pas de bois, ne charrie aucun nuage, n’accouche d’aucun souvenir, ne véhicule que des mots morts.
J’appelle mots morts, les acronymes, comme TAFTA. On est passé de Teufteuf à TAFTA, Et TAFTA, c’est pas Teufteuf. Teufteuf, c’est l’onomatopée, la bouche qui tente de capter ce que dit l’oreille, c’est l’homme enfantin, émerveillé. TAFTA, c’est l’homme desséché, marchandisé, dont le sort est semblable à celui de la poule. Car la poule, comme l’homme, n’a plus droit à l’onomatopée, à son matinal, son enfantin, son joyeux, son fier cot cot codet. Aujourd’hui, dans le matin saturé de particules fines, l’œuf ayant été pondu, la poule est sommée de crier : Cac cac cac 40 ! Cac cac cac 40 !
Nous en sommes là.
(à suivre)
Christian Laborde
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