Le saint homme, avant d’entrer dans les ordres, avait été marin et négociant. Et c’est à bord de son bateau, un trois-mâts, baptisé L’Orgueilleuse, qu’il a introduit dans la cité papale, par la porte de L’Oulle, le rhum. La population adopta cet alcool qui remplaça très vite, dans la plupart des églises de la ville, le vin de messe. Dans les églises, il fait très froid, c’est bien connu, et les bigotes toussent. Il faisait chaud dans les églises d’Avignon, elles sentaient le rhum, et les bigotes se trémoussaient en chantant les cantiques. Le pape s’en émut, on passa un savon à Agricol qui enfila une soutane et fit la carrière que l’on sait.
Je pensais à Saint Agricol en rejoignant le théâtre de l’Oulle, pour y répéter, sous la direction de Laurent Rochut, metteur en scène et propriétaire des lieux, en compagnie de Bernard Ariu, accordéoniste délicat. Répéter quoi ? « L’homme aux semelles de swing », le spectacle sur Claude Nougaro que nous avons joué, en juillet dernier, 24 fois, durant le Festival d’Avignon. Nous allons jouer prochainement à Nogaro (20 mai), puis à Pamiers (9 juin). On refait les lumières, on revoit les placements, les enchaînements, et l’on se dit que l’on aura du… temps. A Avignon, aucun spectacle ne peut dépasser 1h15. Le rideau se ferme, les techniciens vident la scène, un autre spectacle s’installe, le rideau s’ouvre de nouveau. A Avignon, c’est à fond les ballons. Ailleurs, on aura du temps. Et si le public crie : une autre !, les lumières se rallumeront, et je remonterai sur scène, avec Bernard Ariu.
Une autre, une autre ! Je me souviens d’un concert de Claude, dans la banlieue parisienne. Le public, à deux reprises, avait exigé qu’il revienne, qu’il chante de nouveau. A deux reprises, il était remonté sur scène, s’était approché du micro. Ayant rechanté deux fois, il avait rejoint, épuisé, les coulisses. Je l’attendais au pied de l’escalier avec une serviette éponge. La salle scandait : une autre, une autre ! Il avait saisi la serviette, avait essuyé la sueur sur son visage. Le public le réclamait de plus belle. Claude m’avait rendu la serviette et, me fixant : « Tu les entends, ils veulent me sucer le sang…. Ce sont des vampires…. Mais moi, j’aime les vampires. »
Et il était remonté une troisième fois sur scène. Maurice Vander avait pris place au piano et Claude avait dit « Armé d’amour ». Je dirai « Armé d’amour » à Nogaro et à Pamiers. « Armé d’amour », le voici :
Un jour, un jour c'est sûr
Reviendra le jour pur
L'immense jour d'avant le Temps
Le couple moribond
Se lèvera d'un bond
Armé d'amour jusqu'aux dents
Mon bras c'est ton collier et tes doigts sont mes bagues
Tu es ma parure, je suis ton joyau
Mes orteils de soleil marchent sur tes vagues
Tu es ma pâture jusqu'au fond du boyau
Tu m'éclates de paix, je t'éclaire de rires
En dansant devant toi la nuit de Walpurgis
Puis je bois dans ton cou comme font les vampires
Mélangeant savamment nos vices à nos lis
Un jour, un jour c'est sûr
Reviendra le jour pur
L'immense jour d'avant le Temps
Alors la femme et l'homme
Retrouveront la pomme
Sans la morsure dedans
Je me courbe vers toi ma tremblante statue
Le miel de mille ciels ruisselle de tes cils
Qu'une ombre te traverse aussitôt je la tue
Que mon chant soit bloqué tu en dénoues le fil
Calmement tu t'endors quand je pars pour mes guerres
Le casque de mon front pour tout arsenal
Je pars saigner de l'eau sous le feu des mystères
Une étoile de mer me fera général
Un jour, un jour, c'est sûr
Reviendra le jour pur
L'immense jour d'avant le Temps
Et l'on verra l'enfant
Que plus rien ne défend
Être bercé par Satan
Cet enfant surgira d'un silence de perle
De nos vies échangées dans un éclair d\'azur
Et le noir aujourd'hui et l'effroi qui déferlent
S'enfuiront à jamais poursuivis par les murs
Les murs d'une maison qui se nomme le monde
Ouverte à tous les vents fredonnant des oiseaux
Il renaîtra de nous, ma brune à l'âme blonde
Et la mort plus jamais ne fera de vieux os.
Un jour, un jour, c'est sûr
Reviendra le jour pur
L'immense jour d'avant le Temps,
Le couple moribond
Se lèvera d'un bond
Armé d'amour jusqu'aux dents.
Les applaudissements crépitent. Le projecteur s’éteint. Tout est bien.
Christian Laborde
Réagissez à cet article
Vous devez être connecté(e) pour poster un commentaire